mercredi 28 mai 2008

Rithy Panh

AlloCiné : Comment vous est venue l'idée de faire ce documentaire ?

Rithy Panh: Il y a longtemps j'ai assisté à une scène, je travaillais dans le building blanc (lieu où a été tourné le documentaire, NDLR), lorsqu'un jour j'aperçois une jeune fille qui voulait essayer de sortir d'un appartement, mais on l'en avait empêché. A ce moment là, je n'ai pas pu agir, je ne sais pas pourquoi... Est-ce que la situation n'était pas bonne pour que je réagisse ? Etait-ce par manque de courage ? Je ne sais pas, mais il s'avère que c'est une image qui me reste. Je me suis dit qu'un jour il faudrait que je fasse un film, raconter l'histoire de ces filles-là, je trouvais que c'était important de leur donner la parole. Dans la plupart des films qui ont été fait sur ce sujet, nous n'entendons pas ce qu'elles ont à dire : on parle souvent à leur place et on ne donne pas le temps à ces personnes de s'exprimer.

Comment s'est déroulé le premier jour du tournage ? Est-ce qu'elles vous ont fait tout de suite confiance ?

Ça c'est fait progressivement, parce que d'abord je suis un homme, et l'image qu'elles ont des hommes est mauvaise. La confiance ne s'est pas installée tout de suite, mais c'est normal, elles avaient le droit de savoir ce que j'avais l'intention de faire. Petit à petit, elles se sont rendues compte qu'on ne faisait pas un film sur elles mais avec elles, ce n'est pas comme un reportage qui se déroule sur trois ou quatre jours. Quand on vend son corps, on n'a pas fait ce choix, on le fait soit par nécessité financière, soit parce qu'on vient d'une famille éclatée, soit parce qu'on a pas eu la chance de faire des études. Il y a plusieurs autres raisons.... Quand on vend son corps, on meurt un petit peu chaque jour, on perd son humanité. Je trouve que la meilleure chose pour se réapproprier son identité et exprimer sa dignité, c'est la prise de parole. C'est pour ça que j'ai laissé le temps à ces jeunes femmes. C'est un film qui s'est fait sur 18 mois, donc c'est quand même long... Depuis que le film est terminé, on continue encore à se voir.

Vous avez encore des nouvelles de ces filles ?

Pour certaines oui, pour d'autres non. Ces dernières ne souhaitaient pas maintenir le contact avec nous parce qu'en faisant le film, elles pensent qu'elles se donnent le courage de s'en sortir, et comme elles replongent, c'est compliqué, elles ont peut-être honte de cet échec. Pour celles qui s'en sortent à peu près, on essaye de les accompagner. On essaye de savoir comment elles vont, il y en a d'autres avec lesquelles nous n'avons plus de contact car elles ont déménagé... Ces filles qui vendent leur corps pour nourrir leur famille, sont en retour rejetées par les leurs.

Comment pouviez-vous justifier un tel comportement de leur part ?

Vous savez, ce n'est pas facile pour une famille cambodgienne de perdre sa fille de cette manière-là... Les valeurs sont bousculées et bafouées, donc est-ce que c'est à cause de la guerre ? Est-ce que c'est à cause de la misère ? C'est un peu de tout. Bon évidemment, je ne dis pas que c'est à cause de la guerre qu'elles sont prostituées. Mais je dirais que sans la guerre, elles ne seraient peut-être pas là. Vous savez, parfois quand je tourne un film, je me dis que ça pourrait être moi... Pourquoi elles ? C'est notre devoir de les écouter.

Qu'est ce qui vous a le plus choqué dans leurs témoignages ?

Choqué non. Quand on est choqué, ça veut dire que c'est négatif. J'espère que j'ai tort, mais pour une majorité de ces filles qui vendent leur corps, elles perdent quelque chose à jamais, et c'est là que je suis très inquiet. Il faudrait accentuer l'effort dans l'accès à l'éducation, dans des développements à la campagne, pour que ces gens-là n'arrivent pas là comme des esclaves...Elles peuvent évoluer par la suite, mais avant il faut savoir lire et écrire, il faut savoir compter...

Pensez-vous que la page sera tournée sur le génocide qu'il y a eu au Cambodge ?

Bien sûr. Pour tourner la page il faut déja écrire. Moi, je ne fais qu'initier. C'est aussi aux générations suivantes d'écrire la page, d'écrire l'histoire. Il faut encore une ou deux générations encore pour tourner la page.

Le documentaire se termine sur une note positive... Le voyez-vous sous cet angle ?

Je vois plutôt l'espoir, le fait qu'elles acceptent de parler, çela veut dire qu'elles sont déjà dans le dynamisme d'espoir, ça veut dire qu'elles ont déjà envie de s'en sortir...Quand l'une des filles dessine sur le mur, ça veut dire beaucoup de choses. Il y a un journaliste qui a particulièrement bien analysé cette scène : il a dit qu'elle a transformé l'instrument d'aliénation en art brut. Le désespoir vient du fait que personne ne s'occupe d'elles et qu'elles sont considérées comme indésirables. Ici, il y a des lois et des droits qui les protègent. Au Cambodge, les filles sont vues comme des moins que rien, mais moi ça m'intéresse les moins que rien ! (Sourire)

Que faudrait-il faire pour protéger ces filles ?

Il faut leur apprendre à revenir à la vie. J'essaye d'aider une ou deux filles, mais si chacun tend la main à une fille, ce serait bien. Les ONG les sauvent mais elles replongent ensuite parce que ce n'est pas évident. Si on a la patience d'être avec elles, de les orienter, alors on peut les aider, mais c'est long, et ça personne ne veut le faire. Ce n'est plus un problème d'ONG, c'est un problème de solidarité entre les individus. Les ONG sont là pour colmater une urgence, mais à long terme il faudrait que les individus agissent.

Propos recueillis le 28 mars 2007 par Annie Chhan. On peut les trouver ici.

Rithy Panh

Why was it important for you to make this film?

I wanted to give these women a voice, to hear their thoughts and feelings. All too often people speak for them. You know I am often asked whether I scripted the dialogue, which disturbs me as it shows how people think they can’t speak for themselves. They can but few people ever ask them.

How did you manage to get access to the brothel?

I told them that I did not want to make a film about them, but with them. We got to know them over a period of one and a half years and I made it clear, that unlike their clients, we were not there to exploit them. It also helped that I got on with the brothel owner. I don’t condone what she does, but I sensed that as a woman, she knew what it meant to sell your body and understood how every time you do it, part of you dies.

Why did you choose to only film inside the brothel?

I wanted to concentrate on them and their daily lives rather than the sensational and sleazy world of the bars and pick up joints where they work. I did not want to make a film about prostitution but about the collective history of these women.

In the film, one of the girls recounts how an NGO persuaded her to testify against her father who raped her. She says that her only wish now is to see him walk free from prison. Do you think NGOs often impose their western values to the detriment of the Cambodians?

Yes this can happen. There are more than a thousand NGOs in Cambodia and while they are very good at emergency relief, they struggle with long term assistance. They are too fragmented and the government has failed to co-ordinate them. It is a jungle out there.

Some NGOs say reconciliation is more important than trying surviving members of the Pol Pot regime at a war crimes tribunal, what is your view?

Many NGOs want reconciliation as donor governments are keen to fund this. But that has no sense if there is still a culture of impunity. I don’t care if the former head of state, Khieu Sampham, is tried or not. That won’t bring back my family or repair the damage done. But we do need a tribunal that delivers strong judgement so that future generations can start to rebuild the country.

Do you believe in collective culpability?

No. Increasingly, perpetrators are being seen as victims. But that is wrong. People need to face up to their responsibilities.

The UN does not recognise that what happened in Cambodia was genocide. Does that frustrate you?

No one wants to call it genocide. So what? You could call it a crime against humanity. What’s the difference? Don’t forget the Khmer Rouge did more than just kill people, they took away their humanity.

What difference can showing the film here in Geneva make?

Films don’t change the world. But, it is certainly a step in the right direction if somebody changes his attitudes as a result of seeing it. It is important that the guys at the UN agencies in town come and listen to these women.

The UN estimates there are 30 thousand prostitutes in Cambodia. How do you see the future?

I am more pessimistic than optimistic. It is so difficult to escape prostitution once you are in its clutches. The key is prevention, not cure. Helping poor women and children get an education is ultimately the solution.

Rithy Panh, entretien avec Claire Doole, réalisé le 9 mars 2007 pour Human Rights Tribune.

dimanche 11 mai 2008

Blind Woman

Were there older photographers that interested you?

No.

That you studied or looked at?

No. Nothing. Well, I did get excited over one Paul Strand picture. I remember his famous Blind Woman excited me very much. I said that’s the thing you do. That really charged me.

Do you remember what the qualities were of that photograph?

The Strand picture? Sure. It was strong and real it seemed to me. And a little bit shocking; brutal.

Well, those were qualities then that you worked for – right?

Well, that’s what attracted me in art. I mean I would read a book like Thompson’s Hunger and that was a joy because I thought that was real. It really wasn’t. But the lack of judgment of this particular youth – me – led me to believe that since I had a genteel upbringing that real life was starvation; so that it was honest to write about that. That’s all wrong; but that’s what I thought. I thought to photograph the Blind Woman was the thing to do.

Interview with Walker Evans. Conducted by Paul Cummings in Connecticut October 13, 1971 in New York City December 23, 1971.


[La transcription intégrale de l'entretien peut être lue ici.]