dimanche 30 mars 2008

Anne-Prospère de Launay

Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n'être jamais qu'à lui, de ne jamais ni me marier, ni me donner à d'autres, de lui être fidèlement attachée, tant que le sang dont je me sers pour sceller ce serment coulera dans mes veines. Je lui fais le sacrifice de ma vie, de mon amour et de mes sentiments, avec la même ardeur que je lui ai fait celui de ma virginité, et je finis ce serment par lui jurer que si d'ici à un an, je ne suis pas chanoinesse et par cet état, que je n'embrasse que pour être libre de vivre avec lui et de lui consacrer tout, je lui jure, dis-je, que si ce n'est pas, de le suivre à Venise où il me veut mener, d'y vivre éternellement avec lui comme sa femme. Je lui permets en outre de faire tout l'usage qu'il voudra contre moi dudit serment, si j'ose enfreindre la moindre clause par ma volonté ou mon inconscience.

Anne-Prospère de Launay, 15 décembre 1769

Eugène Atget

Eugène Atget - Saint Cloud, juin 1926

Rossignol

Il n’est point d’homme bien organisé, à qui ce nom ne rappelle quelqu’une de ces belles nuits de printemps où le ciel étant serein, l’air calme, toute la Nature en silence, et pour ainsi dire, attentive, il a écouté avec ravissement le ramage de ce chantre des forêts. On pourroit citer quelques autres oiseaux chanteurs, dont la voix le dispute à certains égards à celle du rossignol ; les alouettes, le serin, le pinson, les fauvettes, la linotte, le chardonneret, le merle commun, le merle solitaire, le moqueur d’Amérique se font écouter avec plaisir, lorsque le rossignol se tait : les uns ont d’aussi beaux sons, les autres ont le timbre aussi pur et plus doux, d’autres ont des tours de gosiers aussi flatteurs ; mais il n’en est pas un seul que le rossignol n’efface par la réunion complète de ces talens divers, et par la prodigieuse variété de son ramage ; en sorte que la chanson de chacun de ces oiseaux prise dans toute son étendue, n’est qu’un couplet de celle du rossignol : le rossignol charme toujours, et ne se répète jamais, du moins jamais servilement ; s’il redit quelque passage, ce passage est animé d’un accent nouveau, embelli par de nouveaux agrémens ; il réussit dans tous les genres ; il rend toutes les expressions, il saisit tous les caractères, et de plus il sait en augmenter l’effet par les contrastes. Ce coryphée du printemps se prépare-t-il à chanter l’hymne de la Nature, il commence par un prélude timide, par des tons foibles, presque indécis, comme s’il vouloit essayer son instrument et intéresser ceux qui l’écoutent ; mais ensuite prenant de l’assurance, il s’anime par degrés, il s’échauffe, et bientôt il déploie dans leur plénitude toutes les ressources de son incomparable organe : coups de gosiers éclatans, batteries vives et légères ; fusées de chant, où la netteté est égale à la volubilité ; murmure intérieur et sourd qui n’est point appréciable à l’oreille, mais très-propre à augmenter l’éclat des tons appréciables ; roulades précipitées brillantes et rapides, articulées avec force et même avec une dureté de bon goût ; accens plaintifs cadencés avec mollesse ; sons filés sans art, mais enflés avec ame ; sons enchanteurs et pénétrans ; vrais soupirs d’amour et de volupté qui semblent sortir du cœur et font palpiter tous les cœurs, qui causent à tout ce qui est sensible une émotion si douce, une langueur si touchante : c’est dans ces tons passionnés que l’on reconnoît le langage du sentiment qu’un époux heureux adresse à une compagne chérie, et qu’elle seule peut lui inspirer, tandis que dans d’autres phrases plus étonnantes peut-être, mais moins expressives, on reconnoît le simple projet de l’amuser et de lui plaire, ou bien de disputer devant elle le prix du chant à des rivaux jaloux de sa gloire et de son bonheur.
Ces différentes phrases sont entre-mêlées de silences, de ces silences qui dans tout genre de mélodies concourent si puissamment aux grands effets ; on jouit des beaux sons que l’on vient d’entendre, et qui retentissent encore dans l’oreille ; on en jouit mieux parce que la jouissance est plus intime, plus recueillie, et n’est point troublée par des sensations nouvelles ; bientôt on attend, on desire une autre reprise : on espère que ce sera celle qui plaît ; si l’on est trompé, la beauté du morceau que l’on entend ne permet pas de regretter celui qui n’est que différé, et l’on conserve l’intérêt de l’espérance pour les reprises qui suivront. Au reste, une des raisons pourquoi le chant du rossignol est plus remarqué et produit plus d’effet, c’est, comme dit très-bien M. Barrington, parce que chantant la nuit, qui est le temps le plus favorable, et chantant seul, sa voix a tout son éclat, et n’est offusquée par aucune autre voix : il efface tous les autres oiseaux, suivant le même M. Barrington, par ses sons moelleux et flûtés, et par la durée non interrompue de son ramage qu’il soutient quelquefois pendant vingt secondes ; le même observateur a compté dans ce ramage seize reprises différentes, bien déterminées par leurs premières et dernières notes, et dont l’oiseau sait varier avec goût les notes intermédiaires : enfin il s’est assuré que la sphère que remplit la voix d’un rossignol, n’a pas moins d’un mille de diamètre, sur-tout lorsque l’air est calme ; ce qui égale au moins la portée de la voix humaine.
Il est étonnant qu’un si petit oiseau, qui ne pèse pas une demi-once, ait tant de force dans les organes de la voix : aussi M. Hunter a-t-il observé que les muscles du larynx, ou si l’on veut du gosier, étoient plus forts à proportion dans cette espèce que dans toute autre ; et même plus forts dans le mâle qui chante, que dans la femelle qui ne chante point.
Aristote, et Pline d’après lui, disent que le chant du rossignol dure dans toute sa force quinze jours et quinze nuits sans interruption, dans le temps où les arbres se couvrent de verdure, ce qui doit ne s’entendre que des rossignols sauvages, et n’être pas pris à la rigueur, car ces oiseaux ne sont pas muets avant ni après l’époque fixée par Aristote ; à la vérité ils ne chantent pas alors avec autant d’ardeur ni aussi constamment ; ils commencent d’ordinaire au mois d’avril, et ne finissent tout-à-fait qu’au mois de juin, vers le solstice ; mais la véritable époque où leur chant diminue beaucoup, c’est celle où leurs petits viennent à éclore, parce qu’ils s’occupent alors du soin de les nourrir, et que dans l’ordre des instincts la Nature a donné la prépondérance à ceux qui tendent à la conservation des espèces. Les rossignols captifs continuent de chanter pendant neuf ou dix mois, et leur chant est non-seulement plus long-temps soutenu, mais encore plus parfait et mieux formé : de-là M. Barrington tire cette conséquence, que dans cette espèce, ainsi que dans bien d’autres, le mâle ne chante pas pour amuser sa femelle, ni pour charmer ses ennuis durant l’incubation : conséquence juste et de toute vérité. En effet, la femelle qui couve, remplit cette fonction par un instinct, ou plutôt par une passion plus forte en elle que la passion même de l’amour ; elle y trouve des jouissances intérieures dont nous ne pouvons bien juger, mais qu’elle paroît sentir vivement, et qui ne permettent pas de supposer que dans ces momens elle ait besoin de consolation. Or, puisque ce n’est ni par devoir ni par vertu que la femelle couve, ce n’est point non plus par procédé que le mâle chante ; il ne chante pas en effet durant la seconde incubation : c’est l’amour, et sur-tout le premier période de l’amour qui inspire aux oiseaux leur ramage : c’est au printemps qu’ils éprouvent et le besoin d’aimer et celui de chanter ; ce sont les mâles qui ont le plus de desirs, et ce sont eux qui chantent le plus : ils chantent la plus grande partie de l’année lorsqu’on sait faire régner autour d’eux un printemps perpétuel qui renouvelle incessamment leur ardeur, sans leur offrir aucune occasion de l’éteindre ; c’est ce qui arrive aux rossignols que l’on tient en cage, et même comme nous venons de le dire, à ceux que l’on prend adultes ; on en a vu qui se sont mis à chanter de toutes leurs forces peu d’heures après avoir été pris. Il s’en faut bien cependant qu’ils soient insensibles à la perte de leur liberté, sur-tout dans les commencemens ; ils se laisseroient mourir de faim les sept ou huit premiers jours, si on ne leur donnoit la bequée, et ils se casseroient la tête contre le plafond de leur cage, si on ne leur attachoit les ailes ; mais à la longue la passion de chanter l’emporte, parce qu’elle est entretenue par une passion plus profonde. Le chant des autres oiseaux, le son des instrumens, les accens d’une voix douce et sonore les excitent aussi beaucoup ; ils accourent, ils s’approchent attirés par les beaux sons, mais les duos semblent les attirer encore plus puissamment, ce qui prouveroit qu’ils ne sont pas insensibles aux effets de l’harmonie ; ce ne sont point des auditeurs muets, ils se mettent à l’unisson et font tous leurs efforts pour éclipser leurs rivaux, pour couvrir toutes les autres voix et même tous les autres bruits : on prétend qu’on en a vu tomber morts aux pieds de la personne qui chantoit ; on en a vu un autre qui s’agitoit, gonfloit sa gorge et faisoit entendre un gazouillement de colère, toutes les fois qu’un serin qui étoit près de lui, se disposoit à chanter, et il étoit venu à bout par ses menaces de lui imposer silence ; tant il est vrai que la supériorité n’est pas toujours exempte de jalousie ! Seroit-ce par une suite de cette passion de primer, que ces oiseaux sont si attentifs à prendre leurs avantages, et qu’ils se plaisent à chanter dans un lieu résonnant ou bien à portée d’un écho ? Tous les rossignols ne chantent pas également bien ; il y en a dont le ramage est si médiocre, que les amateurs ne veulent point les garder ; on a même cru s’apercevoir que les rossignols d’un pays ne chantoient pas comme ceux d’un autre ; les curieux en Angleterre préfèrent, dit-on, ceux de la province de Surry à ceux de Middlessex, comme ils préfèrent les pinsons de la province d’Essex, et les chardonnerets de celle de Kent. Cette diversité de ramage dans des oiseaux d’une même espèce a été comparée, avec raison, aux différences qui se trouvent dans les dialectes d’une même langue : il est difficile d’en assigner les vraies causes, parce que la plupart sont accidentelles. Un rossignol aura entendu, par hasard, d’autres oiseaux chanteurs, les efforts que l’émulation lui aura fait faire, auront perfectionné son chant, et il l’aura transmis ainsi perfectionné à ses descendans ; car chaque père est le maître à chanter de ses petits ; et l’on sent combien dans la suite des générations, ce même chant peut être encore perfectionné ou modifié diversement par d’autres hasards semblables.
Passé le mois de juin, le rossignol ne chante plus, et il ne lui reste qu’un cri rauque, une sorte de croassement, où l’on ne reconnoît point du tout la mélodieuse Philomèle ; et il n’est pas surprenant qu’autrefois en Italie on lui donnât un autre nom dans cette circonstance ; c’est en effet un autre oiseau, un oiseau absolument différent, du moins quant à la voix, et même un peu quant aux couleurs du plumage.
Dans l’espèce du rossignol, comme dans toutes les autres, il se trouve quelquefois des femelles qui participent à la constitution du mâle, à ses habitudes et spécialement à celle de chanter. J’ai vu une de ces femelles chantantes qui étoit privée ; son ramage ressembloit à celui du mâle ; cependant il n’étoit ni aussi fort ni aussi varié : elle le conserva jusqu’au printemps ; mais alors subordonnant l’exercice de ce talent qui lui étoit étranger, aux véritables fonctions de son sexe, elle se tut pour faire son nid et sa ponte, quoiqu’elle n’eût point de mâle. Il semble que dans les pays chauds, tels que la Grèce, il est assez ordinaire de voir de ces femelles chantantes, et dans cette espèce et dans beaucoup d’autres, du moins c’est ce qui résulte d’un passage d’Aristote.
Un musicien, dit M. Frisch, devroit étudier le chant du rossignol et le noter ; c’est ce qu’essaya jadis le Jésuite Kirker, et ce qu’a tenté nouvellement M. Barrington, mais de l’aveu de ce dernier, ç’a été sans aucun succès ; ces airs notés, étant exécutés par le plus habile joueur de flûte, ne ressembloient point du tout au chant du rossignol. M. Barrington soupçonne que la difficulté vient de ce qu’on ne peut apprécier au juste la durée relative, ou si l’on veut la valeur de chaque note : cependant quoiqu’il ne soit point aisé de déterminer la mesure que suit le rossignol lorsqu’il chante, de saisir ce rythme si varié dans ses mouvemens, si nuancé dans ses transitions, si libre dans sa marche, si indépendant de toutes nos règles de convention, et par cela même si convenable au chantre de la Nature ; ce rythme en un mot fait pour être finement senti par un organe délicat, et non pour être marqué à grand bruit par un bâton d’orquestre ; il me paroît encore plus difficile d’imiter avec un instrument mort les sons du rossignol, ses accens si pleins d’ame et de vie, ses tours de gosier, son expression, ses soupirs ; il faut pour cela un instrument vivant, et d’une perfection rare, je veux dire une voix sonore, harmonieuse et légère, un timbre pur, moelleux, éclatant ; un gosier de la plus grande flexibilité, et tout cela guidé par une oreille juste, soutenu par un tact sûr, et vivifié par une sensibilité exquise : voilà les instrumens avec lesquels on peut rendre le chant du rossignol. J’ai vu deux personnes qui n’en auroient pas noté un seul passage, et qui cependant l’imitoient dans toute son étendue, et de manière à faire illusion : c’étoit deux hommes ; ils siffloient plutôt qu’ils ne chantoient, mais l’un siffloit si naturellement, qu’on ne pouvoit distinguer à la conformation de ses lèvres, si c’étoit lui ou son voisin qu’on entendoit ; l’autre siffloit avec plus d’effort, il étoit même obligé de prendre une attitude contrainte ; mais quant à l’effet, son imitation n’étoit pas moins parfaite : enfin on voyoit, il y a fort peu d’années, à Londres, un homme qui par son chant savoit attirer les rossignols, au point qu’ils venoient se percher sur lui et se laissoient prendre à la main.
Comme il n’est pas donné à tout le monde de s’approprier le chant du rossignol par une imitation fidèle, et que tout le monde est curieux d’en jouir, plusieurs ont tâché de se l’approprier d’une manière plus simple, je veux dire en se rendant maîtres du rossignol lui-même, et le réduisant à l’état de domesticité ; mais c’est un domestique d’une humeur difficile, et dont on ne tire le service desiré qu’en ménageant son caractère. L’amour et la gaieté ne se commandent pas, encore moins les chants qu’ils inspirent : si l’on veut faire chanter le rossignol captif, il faut le bien traiter dans sa prison, il faut en peindre les murs de la couleur de ses bosquets, l’environner, l’ombrager de feuillages, étendre de la mousse sous ses pieds, le garantir du froid et des visites importunes, lui donner une nourriture abondante et qui lui plaise ; en un mot, il faut lui faire illusion sur sa captivité, et tâcher de la rendre aussi douce que la liberté, s’il étoit possible. A ces conditions le rossignol chantera dans la cage ; si c’est un vieux pris dans le commencement du printemps, il chantera au bout de huit jours et même plus tôt, et il recommencera à chanter tous les ans au mois de mai et sur la fin de décembre ; si ce sont des jeunes de la première ponte, élevés à la brochette, ils commenceront à gazouiller dès qu’ils commenceront à manger seuls ; leur voix se haussera, se formera par degrés ; elle sera dans toute sa force sur la fin de décembre, et ils l’exerceront tous les jours de l’année, excepté au temps de la mue : ils chanteront beaucoup mieux que les rossignols sauvages ; ils embelliront leur chant naturel de tous les passages qui leur plairont dans le chant des autres oiseaux qu’on leur fera entendre, et de tous ceux que leur inspirera l’envie de les surpasser : ils apprendront à chanter des airs si on a la patience et le mauvais goût de les siffler avec la rossignolette, ils apprendront même à chanter alternativement avec un chœur, et à répéter leur couplet à propos ; enfin, ils apprendront à parler quelle langue on voudra. Les fils de l’empereur Claude en avoient qui parloient Grec et Latin, mais ce qu’ajoute Pline est plus merveilleux, c’est que tous les jours ces oiseaux préparoient de nouvelles phrases, et même des phrases assez longues, dont ils régaloient leurs maîtres : l’adroite flatterie a pu faire croire cela à de jeunes princes, mais un Philosophe tel que Pline ne devoit se permettre, ni de le croire, ni de chercher à le faire croire, parce que rien n’est plus contagieux que l’erreur appuyée d’un grand nom : aussi plusieurs Écrivains se prévalant de l’autorité de Pline, ont renchéri sur le merveilleux de son récit. Gesner, entre autres, rapporte la lettre d’un homme digne de foi (comme on va le voir) où il est question de deux rossignols, appartenans à un maître d’hôtellerie de Ratisbonne, lesquels passoient les nuits à converser, en allemand, sur les intérêts politiques de l’Europe, sur ce qui s’étoit passé, sur ce qui devoit arriver bientôt, et qui arriva en effet ; à la vérité, pour rendre la chose plus croyable, l’auteur de la lettre avoue que ces rossignols ne faisoient que répéter ce qu’ils avoient entendu dire à quelques militaires, ou à quelques députés de la Diète, qui fréquentoient la même hôtellerie ; mais avec cet adoucissement même, c’est encore une histoire absurde et qui ne mérite pas d’être réfutée sérieusement.
J’ai dit que les vieux prisonniers avoient deux saisons pour chanter, le mois de mai et celui de décembre ; mais ici l’art peut encore faire une seconde violence à la Nature, et changer à son gré l’ordre de ces saisons, en tenant les oiseaux dans une chambre rendue obscure par degrés, tant que l’on veut qu’ils gardent le silence, et leur redonnant le jour, aussi par degrés, quelque temps avant celui où l’on veut les entendre chanter ; le retour ménagé de la lumière, joint à toutes les autres précautions indiquées ci-dessus, aura sur eux les effets du printemps. Ainsi l’art est parvenu à leur faire chanter et dire ce qu’on veut et quant on veut ; et si l’on a un assez grand nombre de ces vieux captifs, et qu’on ait la petite industrie de retarder et d’avancer le temps de la mue, on pourra, en les tirant successivement de la chambre obscure, jouir de leur chant toute l’année sans aucune interruption. Parmi les jeunes qu’on élève, il s’en trouve qui chantent la nuit, mais la plupart commencent à se faire entendre le matin sur les huit à neuf heures dans le temps des courts jours, et toujours plus matin à mesure que les jours croissent.
On ne se douteroit pas qu’un chant aussi varié que celui du rossignol, est renfermé dans les bornes étroites d’une seule octave ; c’est cependant ce qui résulte de l’observation attentive d’un homme de goût, qui joint la justesse de l’oreille aux lumières de l’esprit : à la vérité il a remarqué quelques sons aigus qui alloient à la double octave, et passoient comme des éclairs ; mais cela n’arrive que très-rarement, et lorsque l’oiseau, par un effort de gosier, fait octavier sa voix, comme un flûteur fait octavier sa flûte en forçant le vent.
Cet oiseau est capable à la longue de s’attacher à la personne qui a soin de lui ; lorsqu’une fois la connoissance est faite, il distingue son pas avant de la voir, il la salue d’avance par un cri de joie, et s’il est en mue, on le voit se fatiguer en efforts inutiles pour chanter, et suppléer par la gaieté de ses mouvemens, par l’ame qu’il met dans ses regards, à l’expression que son gosier lui refuse ; lorsqu’il perd sa bienfaitrice, il meurt quelquefois de regret ; s’il survit, il lui faut long-temps pour s’accoutumer à une autret ; il s’attache fortement parce qu’il s’attache difficilement, comme font tous les caractères timides et sauvages ; il est aussi très-solitaire ; les rossignols voyagent seuls, arrivent seuls aux mois d’avril et de mai, s’en retournent seuls au mois de septembre, et lorsqu’au printemps le mâle et la femelle s’apparient pour nicher, cette union particulière semble fortifier encore leur aversion pour la société générale ; car ils ne souffrent alors aucun de leurs pareils dans le terrein qu’ils se sont approprié ; on croit que c’est afin d’avoir une chasse assez étendue pour subsister eux et leur famille ; et ce qui le prouve, c’est que la distance des nids est beaucoup moindre dans un pays où la nourriture abonde ; cela prouve aussi que la jalousie n’entre pour rien dans leurs motifs, comme quelques-uns l’ont dit, car on sait que la jalousie ne trouve jamais les distances assez grandes, et que l’abondance des vivres ne diminue ni ses ombrages ni ses précautions.
Chaque couple commence à faire son nid vers la fin d’avril et au commencement de mai ; ils le construisent de feuilles, de joncs, de brins d’herbe grossière en dehors, de petites fibres, de racines, de crin, et d’une espèce de bourre en dedans ; ils le placent à une bonne exposition, un peu tournée au levant, et dans le voisinage des eaux ; ils le posent ou sur les branches les plus basses des arbustes, tels que les groseilliers, épines blanches, pruniers sauvages, charmilles, etc. ou sur une touffe d’herbe, et même à terre, au pied de ces arbustes ; c’est ce qui fait que leurs œufs ou leurs petits, et quelquefois la mère, sont la proie des chiens de chasse, des renards, des fouines, des belettes, des couleuvres, etc.
Dans notre climat, la femelle pond ordinairement cinq œufs, d’un brun verdâtre uniforme, excepté que le brun domine au gros bout, et le verdâtre au petit bout : la femelle couve seule, elle ne quitte son poste que pour chercher à manger, et elle ne le quitte que sur le soir, et lorsqu’elle est pressée par la faim : pendant son absence le mâle semble avoir l’œil sur le nid. Au bout de dixhuit ou vingt jours d’incubation, les petits commencent à éclore : le nombre des mâles est communément plus que double de celui des femelles ; aussi lorsqu’au mois d’avril on prend un mâle apparié, il est bientôt remplacé auprès de la veuve par un autre, et celui-ci par un troisième ; en sorte qu’après l’enlèvement successif de trois ou quatre mâles, la couvée n’en va pas moins bien. La mère dégorge la nourriture à ses petits, comme font les femelles des serins ; elle est aidée par le père dans cette intéressante fonction : c’est alors que celui-ci cesse de chanter, pour s’occuper sérieusement du soin de la famille : on dit même que durant l’incubation ils chantent rarement près du nid, de peur de le faire découvrir ; mais lorsqu’on approche de ce nid, la tendresse paternelle se trahit par des cris que lui arrache le danger de la couvée et qui ne font que l’augmenter. En moins de quinze jours les petits sont couverts de plumes, et c’est alors qu’il faut sevrer ceux qu’on veut élever : lorsqu’ils volent seuls, les père et mère recommencent une autre ponte, et après cette seconde, une troisième ; mais pour que cette dernière réussisse, il faut que lés froids ne surviennent pas de bonne heure : dans les pays chauds ils font jusqu’à quatre pontes, et par-tout les dernières sont les moins nombreuses.
L’homme qui ne croit posséder que lorsqu’il peut user et abuser de ce qu’il posède, a trouvé le moyen de faire nicher les rossignols dans la prison ; le plus grand obstacle étoit l’amour de la liberté qui est très-vif dans ces oiseaux ; mais on a su contre-balancer ce sentiment naturel par des sentimens aussi naturels et plus forts, le besoin d’aimer et de se reproduire, l’amour de la géniture, etc. on prend un mâle et une femelle appariés, et on les lâche dans une grande volière, ou plutôt dans un coin de jardin planté d’ifs, de charmilles et autres arbrisseaux, et dont on aura fait une volière, en l’environnant de filets : c’est la manière la plus douce et la plus sûre d’obtenir de leur race ; on peut encore y réussir, mais plus difficilement, en plaçant ce mâle et cette femelle dans un cabinet peu éclairé, chacun dans une cage séparée, leur donnant tous les jours à manger aux mêmes heures, laissant quelquefois les cages ouvertes afin qu’ils fassent connoissance avec le cabinet, la leur ouvrant tout-à-fait au mois d’avril pour ne la plus fermer, et leur fournissant alors les matériaux qu’ils ont coutume d’employer à leurs nids, tels que feuilles de chêne, mousse, chien-dent épluché, bourre de cerf, des crins, de la terre, de l’eau ; mais on aura soin de retirer l’eau quand la femelle couvera. On a aussi cherché le moyen d’établir des rossignols dans un endroit où il n’y en a point encore eu ; pour cela on tâche de prendre le père, la mère et toute la couvée avec le nid, on transporte ce nid dans un site qu’on aura choisi le plus semblable à celui d’où on l’aura enlevé ; on tient les deux cages qui renferment le père et la mère à portée des petits, jusqu’à ce qu’ils aient entendu leur cri d’appel, alors on leur ouvre la cage, sans se montrer ; le mouvement de la Nature les porte droit au lieu où ils ont entendu crier leurs petits ; ils leur donnent tout de suite la bequée, ils continueront de les nourrir tant qu’il sera nécessaire, et l’on prétend que l’année suivante ils reviendront au même endroit ; ils y reviendront, sans doute, s’ils y trouvent une nourriture convenable et les commodités pour nicher, car sans cela tous les autres soins seroient à pure perte, et avec cela ils seront à peu-près superflus.
Si l’on veut élever soi-même de jeunes rossignols, il faut préférer ceux de la première ponte, et leur donner tel instituteur que l’on jugera à propos ; mais les meilleurs, à mon avis, ce sont d’autres rossignols, sur-tout ceux qui chantent le mieux.
Au mois d’août les vieux et les jeunes quittent les bois pour se rapprocher des buissons, des haies vives, des terres nouvellement labourées, où ils trouvent plus de vers et d’insectes ; peut-être aussi ce mouvement général a-t-il quelque rapport à leur prochain départ ; il n’en reste point en France pendant l’hiver, non plus qu’en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Grèce, etc. ; et comme on assure qu’il n’y en a point en Afrique, on peut juger qu’ils se retirent en Asie. Cela est d’autant plus vraisemblable que l’on en trouve en Perse, à la Chine et même au Japon, où ils sont fort recherchés, puisque ceux qui ont la voix belle s’y vendent, dit-on, vingt cobangse. Ils sont généralement répandus dans toute l’Europe, jusqu’en Suède et en Sibérie, où ils chantent très-agréablement ; mais en Europe comme en Asie, il y a des contrées qui ne leur conviennent point, et où ils ne s’arrêtent jamais ; par exemple, le Bugey jusqu’à la hauteur de Nantua, une partie de la Hollande, l’Écosse, l’Irlande ; la partie nord du pays de Galles et même de toute l’Angleterre, excepté la province d’Yorck ; le pays des Dauliens aux environs de Delphes, le royaume de Siam, etc.. Par-tout ils sont connus pour des oiseaux voyageurs, et cette habitude innée est si forte en eux, que ceux que l’on tient en cage, s’agitent beaucoup au printemps et en automne, sur-tout la nuit, aux époques ordinaires marquées pour leurs migrations : il faut donc que cet instinct qui les porte à voyager, soit indépendant de celui qui les porte à éviter le grand froid et à chercher un pays où ils puissent trouver une nourriture convenable ; car dans la cage ils n’éprouvent ni froid ni disette, et cependant ils s’agitent.
Cet oiseau appartient à l’ancien continent, et quoique les Missionnaires et les Voyageurs parlent du rossignol du Canada, de celui de la Louisiane, de celui des Antilles, etc. on sait que ce dernier est une espèce de moqueur ; que celui de la Louisiane est le même que celui des Antilles, puisque selon le Page Dupratz, il se trouve à la Martinique et à la Guadeloupe ; et l’on voit par ce que dit le Père Charlevoix de celui du Canada, ou que ce n’est point un rossignol, ou que c’est un rossignol dégénéré. Il est possible en effet que cet oiseau qui fréquente les parties septentrionales de l’Europe et de l’Asie, ait franchi les mers étroites qui, à cette hauteur, séparent les deux continens, ou qu’il ait été porté dans le nouveau par un coup de vent ou par quelque navire, et que trouvant le climat peu favorable, soit à cause des grands froids, soit à cause de l’humidité, ou du défaut de nourriture, il chante moins bien au nord de l’Amérique qu’en Asie et en Europe, de même qu’il chante moins bien en Écosse qu’en Italie ; car c’est une règle générale que tout oiseau ne chante que peu ou point du tout lorsqu’il souffre du froid, de la faim, etc. et l’on sait d’ailleurs que le climat de l’Amérique, et sur-tout du Canada, n’est rien moins que favorable au chant des oiseaux ; c’est ce qu’aura éprouvé notre rossignol transplanté au Canada ; car il est plus que probable qu’il s’y trouve aujourd’hui, l’indication trop peu circonstanciée du P. Charlevoix ayant été confirmée depuis par le témoignage positif d’un Médecin résidant à Québec et de quelques Voyageurs.
Comme les rossignols, du moins les mâles, passent toutes les nuits du printemps à chanter, les Anciens s’étoient persuadé qu’ils ne dormoient point dans cette saison, et de cette conséquence peu juste est née cette erreur que leur chair étoit une nourriture antisoporeuse, qu’il suffisoit d’en mettre le cœur et les yeux sous l’oreiller d’une personne pour lui donner une insomnie ; enfin ces erreurs gagnant du terrein et passant dans les arts, le rossignol est devenu l’emblème de la vigilance. Mais les modernes qui ont observé de plus près ces oiseaux, se sont aperçus que dans la saison du chant, ils dormoient pendant le jour, et que ce sommeil du jour, sur-tout en hiver, annonçoit qu’ils étoient prêts à reprendre leur ramage. Non-seulement ils dorment, mais ils rèvent, et d’un rève de rossignol, car on les entend gazouiller à demi-voix et chanter tout bas. Au reste, on a débité beaucoup d’autres fables sur cet oiseau, comme on fait sur tout ce qui a de la célébrité ; on a dit qu’une vipère, ou selon d’autres, un crapaud, le fixant lorsqu’il chante, le fascine par le seul ascendant de son regard, au point qu’il perd insensiblement la voix et finit par tomber dans la gueule béante du reptile. On a dit que les père et mère ne soignoient parmi leurs petits que ceux qui montroient du talent, et qu’ils tuoient les autres, ou les laissoient périr d’inanition (il faut supposer qu’ils savent excepter les femelles). On a dit qu’ils chantoient beaucoup mieux lorsqu’on les écoutoit que lorsqu’ils chantoient pour leur plaisir. Toutes ces erreurs dérivent d’une source commune, de l’habitude où sont les hommes de prêter aux animaux leurs foiblesses, leurs passions et leurs vices.
Les rossignols qu’on tient en cage, ont coutume de se baigner après qu’ils ont chanté : M. Hebert a remarqué que c’étoit la première chose qu’ils faisoient le soir, au moment où l’on allumoit la chandelle ; il a aussi observé un autre effet de la lumière sur ces oiseaux, dont il est bon d’avertir : un mâle qui chantoit très-bien, s’étant échappé de sa cage, s’élança dans le feu où il périt avant qu’on pût lui donner aucun secours.
Ces oiseaux ont une espèce de balancement du corps qu’ils élèvent et abaissent tour-à-tour, et presque parallèlement au plan de position ; les mâles que j’ai vus avoient ce balancement singulier, mais une femelle que j’ai gardée deux ans ne l’avoit pas : dans tous, la queue a un mouvement propre de haut en bas, fort marqué, et qui sans doute a donné occasion à M. Linnæus de les ranger parmi les hoche-queues ou motacilles.
Les rossignols se cachent au plus épais des buissons : ils se nourrissent d’insectes aquatiques et autres, de petits vers, d’œufs ou plutôt de nymphes de fourmis ; ils mangent aussi des figues, des baies, etc. mais comme il seroit difficile de fournir habituellement ces sortes de nourritures à ceux que l’on tient en cage, on a imaginé différentes pâtées dont ils s’accommodent fort bien. Je donnerai dans les notes celle dont se sert un amateur de ma connoissance, parce qu’elle est éprouvée, et que j’ai vu un rossignol qui, avec cette seule nourriture, a vécu jusqu’à sa dix-septième année : ce vieillard avoit commencé à grisonner dès l’âge de sept ans ; à quinze il avoit des pennes entièrement blanches aux ailes et à la queue ; ses jambes ou plutôt ses tarses, avoient beaucoup grossi, par l’accroissement extraordinaire qu’avoient pris les lames dont ces parties sont recouvertes dans les oiseaux ; enfin il avoit des espèces de nodus aux doigts comme les gouteux, et on étoit obligé de temps en temps de lui rogner la pointe du bec supérieur ; mais il n’avoit que cela des incommodités de la vieillesse ; il étoit toujours gai, toujours chantant, comme dans son plus bel âge, toujours caressant la main qui le nourrissoit. Il faut remarquer que ce rossignol n’avoit jamais été apparié : l’amour semble abréger les jours, mais il les remplit, il remplit de plus le vœu de la Nature ; sans lui les sentimens si doux de la paternité seroient inconnus ; enfin, il étend l’existence dans l’avenir, et procure au moyen des générations qui se succèdent, une sorte d’immortalité ; grands et précieux dédommagemens de quelques jours de tristesse et d’infirmités qu’il retranche peut-être à la vieillesse !
On a reconnu que les drogues échauffantes et les parfums excitoient les rossignols à chanter ; que les vers de farine et ceux du fumier leur convenoient lorsqu’ils étoient trop gras, et les figues lorsqu’ils étoient trop maigres ; enfin, que les araignées étoient pour eux un purgatif : on conseille de leur faire prendre tous les ans ce purgatif au mois d’avril : une demi-douzaine d’araignées sont la dose ; on recommande aussi de ne leur rien donner de salé.
Lorsqu’ils ont avalé quelque chose d’indigeste, ils le rejettent sous la forme de pilules ou de petites pelotes, comme font les oiseaux de proie, et ce sont en effet des oiseaux de proie très-petits, mais très-féroces, puisqu’ils ne vivent que d’êtres vivans. Il est vrai que Belon admire la providence qu’ils ont de n’avaler aucun petit verm qu’ils ne l’aient premièrement fait mourir ; mais c’est apparemment pour éviter la sensation désagréable que leur causeroit une proie vivante, et qui pourroit continuer de vivre dans leur estomac à leurs dépens.
Tous les piéges sont bons pour les rossignols ; ils sont peu défians, quoiqu’assez timides : si on les lâche dans un endroit où il y a d’autres oiseaux en cage ils vont droit à eux, et c’est un moyen, entre beaucoup d’autres, pour les attirer : le chant de leurs camarades, le son des instrumens de musique, celui d’une belle voix, comme on l’a vu plus haut, et même des cris désagréables, tels que ceux d’un chat attaché au pied d’un arbre, et que l’on tourmente exprès, tout cela les fait venir également ; ils sont curieux et même badauds ; ils admirent tout et sont dupes de toutr ; on les prend à la pipée, aux gluaux, avec le trébuchet des mésanges, dans des reginglettes tendues sur de la terre nouvellement remuées, où l’on a répandu des nymphes de fourmis, des vers de farine, ou bien ce qui y ressemble, comme de petits morceaux de blancs d’œufs durcis, etc. Il faut avoir l’attention de faire ces reginglettes et autres piéges de même genre avec du tafetas et non avec du filet où leurs plumes s’embarrasseroient, et où ils en pourroient perdre quelques-unes, ce qui retarderoit leur chant ; il faut au contraire, pour l’avancer au temps de la mue, leur arracher les pennes de la queue, afin que les nouvelles soient plutôt revenues ; car tant que la Nature travaille à reproduire ces plumes, elle leur interdit le chant.
Ces oiseaux sont fort bons à manger lorsqu’ils sont gras, et le disputent aux ortolans ; on les engraisse en Gascogne pour la table ; cela rappelle la fantaisie d’Héliogabale qui mangeoit des langues de rossignols, de paons, etc. et le plat fameux du comédien Ésope, composé d’une centaine d’oiseaux tous recommandables par leur talent de chanter ou par celui de parler. Comme il est fort essentiel de ne pas perdre son temps à élever des femelles, on a indiqué beaucoup de marques distinctives pour reconnoître les mâles ; ils ont, dit-on, l’œil plus grand, la tête plus ronde, le bec plus long, plus large à sa base, sur-tout étant vu par-dessous ; le plumage plus haut en couleur, le ventre moins blanc, la queue plus touffue et plus large lorsqu’ils la déploient ; ils commencent plutôt à gazouiller, et leur gazouillement est plus soutenu : ils ont l’anus plus gonflé dans la saison de l’amour, et ils se tiennent long-temps en la même place, portés sur un seul pied, au lieu que la femelle court çà et là dans la cage ; d’autres ajoutent que le mâle a à chaque aile deux ou trois pennes dont le côté extérieur et apparent est noir, et que ses jambes, lorsqu’on regarde la lumière au travers, paroissent rougeâtres, tandis que celles de
la femelle paroissent blanchâtres : au reste, cette femelle a dans la queue le même mouvement que le mâle, et lorsqu’elle est en joie elle sautille comme lui, au lieu de marcher. Ajoutez à cela les différences intérieures qui sont plus décisives : les mâles que j’ai disséqués au printemps, avoient deux testicules fort gros, de forme ovoïde ; le plus gros des deux (car ils n’étoient pas égaux) avoit trois lignes et demie de long, sur deux de large ; l’ovaire des femelles que j’ai observées dans le même temps, contenoit des œufs de différentes grosseurs, depuis un quart de ligne jusqu’à une ligne de diamètre.
Il s’en faut bien que le plumage de cet oiseau réponde à son ramage ; il a tout le dessus du corps d’un brun plus ou moins roux ; la gorge, la poitrine et le ventre, d’un gris blanc ; le devant du cou d’un gris plus foncé ; les couvertures inférieures de la queue et des ailes, d’un blanc-roussâtre, plus roussâtre dans les mâles ; les pennes des ailes d’un gris-brun tirant au roux, la queue d’un brun plus roux ; le bec brun, les pieds aussi, mais avec une teinte de couleur de chair ; le fond des plumes cendré-foncé.

On prétend que les rossignols qui sont nés dans les contrées méridionales, ont le plumage plus obscur, et que ceux des contrées septentrionales ont plus de blanc : les jeunes mâles sont aussi, dit-on, plus blanchâtres que les jeunes femelles, et en général la couleur des jeunes est plus variée avant la mue, c’est-à-dire, avant la fin de juillet, et elle est si semblable à celle des jeunes rouge-queues, qu’on les distingueroit à peine s’ils n’avoient pas un cri différent ; aussi ces deux espèces sont-elles amies.
Longueur totale ; six pouces un quart ; bec, huit lignes, jaune en dedans, ayant une grande ouverture, les bords de la pièce supérieure échancrés près de la pointe ; tarse, un pouce ; doigt extérieur uni à celui du milieu par sa base ; ongles déliés, le postérieur le plus fort de tous ; vol, neuf pouces ; queue, trente lignes, composée de douze pennes, dépasse les ailes de seize lignes. Tube intestinal, du ventricule à l’anus, sept pouces quatre lignes ; œsophage près de deux pouces, se dilatant en une espèce de poche glanduleuse avant son insertion dans le gésier, celui-ci musculeux, il occupoit la partie gauche du bas-ventre, n’étoit point recouvert par les intestins, mais seulement par un lobe du foie ; deux très-petits cœcum ; une vésicule du fiel : le bout de la langue garni de filets et comme tronqué, ce qui n’étoit pas ignoré des Anciens, et peut avoir donné lieu à la fable de Philomèle qui eut la langue coupée.

Leclerc, Comte de Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, avec a description du cabinet du Roy. Tome Vingtième. M. DCCLXXVIII.
[Le site Buffon du CNRS se trouve ici.]

Eugène Atget

Eugène Atget

William Chambers

The cascades of the Chinese, which are always introduced, where the ground admits, and here the supply of water is sufficient, are sometimes regular, like those of Marli, Frescati and Tivoli; but more frequently they are rude, like the falls of Trolhetta and the Nile. In one place a whole river is precipitated from the summit of the mountain, into the vallies beneath; where it foams and whirls Amongst the rocks, till it falls down other precipices, and buries itself in the gloom of impenetrable forests. in another place the waters burst out with violence from many parts, spouting a great number of cascades, in different directions; which, through various impediments, at last unite, and form one great expanse of water. Sometimes the view of the cascade is in a great measure intercepted by the branches which hang over it; sometimes its passage is obstructed by trees, and heaps of enormous stones, that seem to have been brought down by the fury of the torrent; and frequently rough wooden bridges are thrown from one rock to another, over the steepest parts of the cataract; narrow winding paths are carried along the edges of the precipices; and mills and huts are suspended over the waters; the seeming dangerous situation of which, adds to the horror of the scene.
As the Chinese are so very fond of water, their Gardeners endeavour to obtain it by art, wherever it is denied by Nature. For this purpose, they have many ingenious inventions to collect water; and many machines, of simple construction, which raise it to almost any level, at a trifling expense. They use the same method for overflowing vallies, that is practiced in Europe; by raising heads of earth or masonry at their extremities; where the soil is too porous to hold water, they clay the bottom, in the same manner that we do to make it tight; and in order to prevent the inconveniences arising from stagnant waters, they always contrive a considerable discharge to procure motion, even where the supply is scanty; which is done by conveying the discharged water back, through subterraneous drains, into reservoirs; whence it is against raised in to the lake or river, by means of pumps, and other machines, proper for that purpose. They always give a considerable depth to their waters, at least five or six feet, to prevent the rising of scum, and the floating of weeds upon the surface; an they are always provided with swans, and such other birds as feed on weeds, to keep them under.
In overflowing their grounds, and also in draining them, they take all possible care not to kill many of their old trees, either by over moistening their roots, or draining them too much; saying, that the loss of a fine old plant is irreparable; that it impairs the beauty o the adjacent plantations; and often likewise destroys the effect of the scenery, from many distant points of view; and in shaping their grounds, they are, for the same reason, equally cautious with regard to the old plantations; carefully observing never to bury the stems, nor to expose the roots of any trees which they mean to preserve.
In their plantations, the Chinese artists do not, as is the practice of some European Gardeners, plant indiscriminately every thing that comes in their way; nor do they ignorantly imagine that the whole perfection of plantations consist in the variety of the trees and shrubs of which they are composed; on the contrary, their practice is guided by many rules, founded on reason and long observation, from which they seldom or ever deviate.
Many trees, shrubs and flowers, sayeth Li-Tfong, a Chinese author of great antiquity, œthrive best in low moist situations; many on hills and mountains; some require a rich roil; but others will grow on clay, in sand, or even upon rocks; and in the water; to some a sunny exposition is necessary; but for others, the shade is preferable. There are plants which thrive best in exposed situations; but, in general, shelter is requisite. The skilful Gardener, to whom study and experience have taught these qualities, carefully attends to them in his operations; knowing that thereon depend the health and growth of his plants; and consequently the beauty of his plantations.


William Chambers, A Dissertation on Oriental Gardening (London, 1772)

Volcans

Il y a en Europe trois fameux volcans, le mont Etna en Sicile, le mont Hécla en Islande, & le mont Vésuve en Italie près de Naples. Le mont Etna brûle depuis un temps immémorial, ses éruptions sont très-violentes, & les matières qu’il rejette si abondantes qu’on peut y creuser jusqu’à 68 pieds de profondeur, où l’on a trouvé des pavez de marbre & des vestiges d’une ancienne ville qui a été couverte & enterrée sous cette épaisseur de terre rejetée, de la même façon que la ville d’Héraclée a été couverte par les matières rejetées du Vésuve. Il s’est formé de nouvelles bouches de feu dans l’Etna en 1650, 1669 & en d’autres temps : on voit les flammes & les fumées de ce volcan depuis Malthe, qui en est à 60 lieues, il s’en élève continuellement de la fumée, & il y a des temps où cette montagne ardente vomit avec impétuosité des flammes & des matières de toute espèce. En 1537 il y eut une éruption de ce volcan qui causa un tremblement de terre dans toute la Sicile pendant douze jours, & qui renversa un très-grand nombre de maisons & d’édifices, il ne cessa que par l’ouverture d’une nouvelle bouche à feu qui brûla tout à cinq lieues aux environs de la montagne ; les cendres rejetées par le volcan étoient si abondantes & lancées avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’en Italie, & des vaisseaux qui étoient éloignez de la Sicile, en furent incommodez. Farelli décrit fort au long les embrasemens de cette montagne, dont il dit que le pied a 100 lieues de circuit. Ce volcan a maintenant deux bouches principales, l’une est plus étroite que l’autre ; ces deux ouvertures fument toûjours, mais on n’y voit jamais de feu que dans le temps des éruptions : on prétend qu’on a trouvé des pierres qu’il a lancées jusqu’à soixante mille pas. En 1683 il arriva un terrible tremblement en Sicile, causé par une violente éruption de ce volcan, il détruisit entièrement la ville de Catanéa & fit périr plus de 60 000 personnes dans cette ville seule, sans compter ceux qui périrent dans les autres villes & les villages voisins. L’Hécla lance ses feux à travers les glaces & les neiges d’une terre gelée ; ses éruptions sont cependant aussi violentes que celles de l’Etna & des autres volcans des pays méridionaux. Il jette beaucoup de cendres, des pierres ponces, & quelquefois, dit-on, de l’eau bouillante ; on ne peut pas habiter à six lieues de distance de ce volcan, & toute l’isle d’Islande est fort abondante en soufre. On peut voir l’Histoire des violentes éruptions de l’Hécla dans Dithmar Blessken. Le mont Vésuve, à ce que disent ls Historiens, n’a pas toûjours brûlé, & il n’a commencé que du temps du septième consulat de Tite Vespasien & de Flavius Domitien : le sommet s’étant ouvert, ce volcan rejeta d’abord des pierres & des rochers, & ensuite du feu & des flammes en si grande abondance, qu’elles brûlèrent deux villes voisines, & des fumées si épaisses, qu’elles obscurcissoient la lumière du soleil. Pline voulant considérer cet incendie de trop près, fut étouffé par la fumée. Voyez l’Épître de Pline le Jeune à Tacite. Dion Cassius rapporte que cette éruption du Vésuve fut si violente, qu’il jeta des cendres & des fumées sulphureuses en si grande quantité & avec tant de force, qu’elles furent portées jusqu’à Rome, & même au delà de la mer méditerranée en Afrique & en Égypte. L’une des deux villes qui fut couverte des matières rejetées par ce premier incendie du Vésuve, est celle d’Héraclée qu’on a retrouvée dans ces derniers temps à plus de 60 pieds de profondeur sous ces matières, dont la surface étoit devenue par la succession du temps, une terre labourable & cultivée. La relation de la découverte d’Héraclée est entre les mains de tout le monde, il seroit seulement à desirer que quelqu’un versé dans l’Histoire Naturelle & la Physique, prît la peine d’examiner les différentes matières qui composent cette épaisseur de terrein de 60 pieds ; qu’il fit en même temps attention à la disposition & à la situation de ces mêmes matières, aux altérations qu’elles ont produites ou souffertes elles-mêmes, à la direction qu’elles ont suivie, à la dureté qu’elles ont acquise, &c.
Il y a apparence que Naples est situé sur un terrein creux & rempli de minéraux brûlans, puisque le Vésuve & la Solfatare semblent avoir des communications intérieures ; car quand le Vésuve brûle, la Solfatare jette des flammes, & lorsqu’il cesse, la Solfatare cesse aussi. La ville de Naples est à peu près à égale distance entre les deux. Une des dernières & des plus violentes éruptions du Vésuve, a été celle de 1737 ; la montagne vomissoit par plusieurs bouches de gros torrens de matières métalliques fondues & ardentes, qui se répandoient dans la campagne & s’alloient jeter dans la mer. M. de Montealègre, qui communiqua cette relation à l’Académie des Sciences, observa avec horreur un de ces fleuves de feu, & vit que son cours étoit de 6 ou 7 milles depuis sa source jusqu’à la mer, sa largeur de 50 ou 60 pas, sa profondeur de 25 ou 30 palmes, & dans certains fonds ou vallées, de 120 ; la matière qu’il rouloit étoit semblable à l’écume qui sort du fourneau d’une forge, &c. Voyez l’Hist. de l’Acad. an. 1737, pag. 7 & 8.

Leclerc, Comte de Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, avec a description du cabinet du Roy. Tome Premier. M. DCCXLIX.
[Le site Buffon du CNRS se trouve ici.]

Ermenonville

Alan Humerose - Ermenonville


Alan Humerose - Ermenonville


Alan Humerose - Ermenonville

François-Joseph Bélanger

Madame,

Je crois devoir vous observer qu'un jardin étant le modèle en grand d'un tableau de paysage, il ne faut pas se priver des objets qui peuvent embellir la perspective du tableau, surtout quand ils sont d'accord avec les convenances. Un pont a du être inventé pour traverser un ruisseau, une rivière ; mais les Pyrénées et les Alpes nous offrent cent exemples de ponts pratiqués pour traverser les précipices, même de simples chemins creux. Les chinois, nos maîtres dans l'art de former les jardins-paysages, font un usage très frèquent de ponts artistement décorés qui traversent de simples chemins pour arriver à des kiosques ; ils poussent la magnificience jusqu'à dorer ces ponts artistement décorés, mais toujours ils y emploient le bois le plus précieux.

François-Joseph Bélanger, lettre à Madame Joly, datée du 28 ventôse, sans indication d'année.

samedi 29 mars 2008

Bagatelle

Vue du jardin

La "scène" du pavillon du philosophe

William Chambers

Mais de toutes les constructions aquatiques des chinois les plus extraordinaires, et en même temps les plus agréables, sont celles qu'ils nomment Hoie-ta, ou habitations submergées. Des salons et des cabinets bâtis entièrement sous l'eau composent ces édifices ; leurs murailles sont incrustées des plus beaux coquillages, mêlés de branches de corail et de plantes marines, aussi variées dans leurs formes que singulières dans leurs espèces. Ces décorations tapissent des niches bizarres dans lesquelles sont placées, chacune à son rang, les statues de Fun-Shan dieu des vents, et de Long Wong roi de l'océan oriental, et celles de toutes les divinités inférieures de l'humide élément. Des compartiments de jaspe, d'agate, et des plus curieuses madrépores de Haynan, forment le plancher des appartements. Le plafond composé de glaces admet la lumière au travers de l'eau qui le couvre, ainsi que la fabrique entière, à la hauteur de plusieurs pieds. Ces glaces brillantes de mille couleurs, sont jointes avec solidité, et ont assez de force pour résister à la pesanteur du fluide qui presse toute leur surface. C'est une singularité fort amusante d'observer, à travers le cristal du lambris, l'agitation de l'eau, le passage des navires, et les jeux des oiseaux aquatiques ou des poissons qui nagent au-dessus du spectateur. Les habitations submergées servent au même usage que les Miau-Ting dont nous avons déjà parlé ; on y prend le frais pendant la chaleur du jour, et les mandarins en font des retraites voluptueuses, consacrées aux festins et à l'amour.

William Chambers, Dissertation sur le jardinage de l'Orient (1772)