jeudi 31 janvier 2008

The Doll is Mine

Bertrand Bonello : Je voulais partir d'une situation générale, inspirée d'une photo de Cindy Sherman, et aller ensuite vers quelque chose de plus personnel entre toi et moi.

Asia Argento : Inconsciemment, Cindy m'a permis de boucler un cycle de personnages qui dure depuis quinze ans et qui a culminé avec celui que je joue dans Le livre de Jérémie. Cette Sarah m'a pris deux ans. Aujourd'hui, je ne sens plus l'urgence de jouer moi-même dans mes films. C'est presque trop facile. Pendant la projection à Cannes, j'ai réalisé que la brunette que je joue, c'est toi. Je n'y avais pas pensé plus tôt, mais je porte tes habits, ta chemise, tes chaussures, etc.

Bertrand Bonello : La veille du tournage, tu as choisi trois poses de la première série des photos de Sherman, les Untitled : une où elle est allongée sur le plancher, une deuxième où elle se tient près d'une porte, une troisième où elle est assise dans un fauteuil. Ce sont à peu près les postures qu'on voit dans le film terminé. Le tournage a duré deux jours. Un jour pour la blonde, un jour pour la brune. On avait une toute petite équipe, cinq ou six personnes, dont la chef opératrice, toi et moi. C'est passionant de voir toute la journée quelqu'un jouer dans le vide. J'ai été obsédé par le fait que tu parlais à la fois à toi-même et à quelqu'un d'autre. Pour préserver cette incertitude, on a décidé que personne ne serait chargé de te donner hors champ de fausses répliques.

Asia Argento : C'était à la fois très effrayant et très beau. Nous étions comme deux amis sur un plateau vide.

Cahiers du Cinéma, juillet-août 2005

The Doll is Mine

"Cindy, the doll is mine" est un film de commande...

Oui, au mois de mai 2004, un producteur me contacte et m'explique qu'il demande à plusieurs réalisateurs de faire un film sur une oeuvre d'art. Ca ne m'intéressait pas de prendre un tableau ou une photo puis d'en faire un film. En revanche, je voulais un support vivant donc Cindy Sherman était l'artiste qu'il me fallait.

Avez-vous toujours eu de l'intérêt pour son oeuvre ?

Disons que je connais cette photographe depuis longtemps mais je n'ai jamais travaillé dessus ni même été obsédé... je suis passionné d'art contemporain en général. Ce qui me fascine chez Cindy Sherman qui a commencé vers 1975, c'est l'évolution de son travail sur la durée. Au début, c'est une femme américaine plutôt épanouie, sirotant un martini, fumant une cigarette puis progressivement, les larmes arrivent. Elle s'est ensuite dirigée vers le cauchemar incarné par des poupées démembrées, mais... tout cela très tranquillement et c'est ce que j'ai voulu saisir en faisant Cindy, the doll is mine. Ses Untitled Film Stills m'ont également inspiré, par exemple lorqu'elle pose comme une star de cinéma, c'est l'image du fantasme américain des années 50.

La créativité artistique semble vous fasciner ("Le Pornographe", ndlr). Etait-ce facile de se plonger dans l'univers de Cindy Sherman ? Etait-elle présente sur le plateau et vous a t-elle aiguillé ?

Oui. Je ne suis pas un grand connaisseur et pourtant sa manière de représenter les choses me semble très proche de la mienne. Même la mise en scène, dans la première séquence, me paraîssait naturelle (Le tas de poupées démembrées présent dans l'appartement, ndlr). Malheureusement, elle n'était pas présente sur le tournage ! C'est une grande star aux Etats-Unis et il faut passer par ses assistantes, ses avocats pour avoir une chance de lui parler ! Je lui ai finalement envoyé le scénario et son assistante m'a répondu "Mrs Sherman says that..." ! (rires). Elle a précisé qu'elle n'avait pas envie de jouer ce qui ne m'intéressait pas de toute façon. Je lui expliqué que ce n'était pas un documentaire mais que j'avais néanmoins besoin d'une autorisation pour m'inspirer de son travail. Et heureusement, elle n'a pas bloqué le film, la seule condition était que je ne cite pas son nom...

Sherman fonctionne par transferts d'identité. Fonctionnez-vous de la même façon, allez-vous parfois aussi loin sur le terrain de l'autobiographie ?

Il y a forcément de moi dans mes personnages mais pas de manière autobiographique non. Que ce soit clair, je n'ai jamais voulu être transsexuel ! (Référence à son film Tiresia, sorti en 2003, ndlr).

Comme dans l'oeuvre de Cindy Sherman, la poupée reflète t-elle la femme d'aujourd'hui ?

Elle reflète un fantasme, ce n'est pas pour rien que Barbie a tant de succès depuis plus de 50 ans. C'est d'ailleurs un fantasme des hommes et des femmes. Ce qui est beau dans le film, c'est cette beauté qui se fissure, tout va bien, la plaie s'ouvre et rien ne va plus. La plastique d'une poupée est particulièrement terrifiante de toute facon...

Vous avez-donc une peur profonde des poupées ?

Oui, je crois. (rires) J'ai une petite fille qui heureusement n'aime pas trop les poupées mais ça fait peur ! Quand je cherchais des accessoires pour le film, j'ai vu des trucs affolants, c'est fait pour faire des cauchemars !

Pensez-vous que toute femme ait le désir de changer d'identité ou de corps finalement ?

C'est une idée assez terrifiante...
Je pense que oui, mais est-ce uniquement féminin je ne sais pas... C'est peut-être humain, non ?

Alors dans ce cas, vous auriez pu filmer un homme ?

Oui sauf qu'aucun homme n'aurait pu accomplir l'oeuvre de Cindy Sherman. (Il réfléchit longuement) En théorie oui, mais je pense qu'il fallait oser prendre ces photos dans les années 70 et l'audace est pour moi très féminine. La pudeur aussi...


Comment avez-vous construit les décors ?

Je me suis focalisé sur les accessoires, c'est très minimaliste et d'ailleurs la photo de Cindy Sherman au teléphone m'a beaucoup influencé. Ca reflète la solitude de cette femme. On a tourné à Paris mais je voulais un endroit qui ne rappelle pas trop la ville... sans vouloir tomber dans le branché new-yorkais bien sûr, une boîte vide en somme. On a trouvé ce loft d'artiste qui pourrait être à Berlin, à New-York ou à Paris. Le monde extérieur n'apparaît pas trop dans le film de toute façon. Sur la lumière par contre, on a beaucoup travaillé. On a découpé l'appartement en deux, une partie très travaillée avec des contrastes, l'autre plus naturaliste. C'est plus la lumière qui fabrique le décor que le lieu.

Dans une séquence, Asia blonde doit pleurer. Auriez-vous pu lui demander d'éclater de rire ?

Question piège ! Ca, pour le coup, ça aurait pu être plus fort visuellement, mais bien plus dérangeant. Disons que le rire aurait fait appel à l'hystérie et j'ai un gros problème avec ça... Je la fuis comme la peste dans mes films et dans la vie. C'est vrai cependant, ça aurait été intéressant mais Cindy Sherman ne rit pas beaucoup vous savez... sauf en clone ce qui est très inquiétant et ce qui nous ramène à ma peur des poupées ! (rires)

En visionnant le film, on est fasciné par le silence qui y règne à l'exception de la scène où Asia Argento pleure. Qui a composé cette musique ?

La musique vient du dernier album de Blonde Redhead, un groupe new-yorkais. Le titre "The doll is mine" sonnait juste. Pour le reste du film, c'était tout naturel qu'il n'y en ait pas, elle joue un rôle énorme...

Parlez-nous de votre collaboration avec Asia Argento...

Quand j'ai vu New Rose Hotel d'Abel Ferrara, j'ai su que l'on devait tourner ensemble... J'avais écrit Tiresia pour elle mais elle a malheureusement tourné Le Livre de Jérémie en même temps. On se connaît depuis longtemps tous les deux maintenant.

C'est troublant de voir la ressemblance entre Argento et Sherman sur cette photo, comment Asia s'est-elle préparée au rôle ?

Asia Argento avait choisi deux ou trois photos de Cindy Sherman, on les a étudiées. On a d'abord façonné la blonde en utilisant le plus d'artifices possibles comme la robe vintage par exemple et pour la brune, il se trouve qu'elle avait les cheveux courts quand elle est arrivée, on a décidé qu'elle passerait chez moi et qu'elle porterait mes vêtements. On voulait le rien (pas de maquillage, etc...) face au tout. Jouer la brune a été plus diffcile car elle n'avait rien à quoi se raccrocher ce qui donnait un coté tres beau, tres fantômatique. La laisser dans ce flottement était bien. Il n'y a pas eu plus de travail que ça en amont, je ne fais jamais lire le scénario avant, j'écris des lettres aux gens en général...

Warhol disait de Sherman qu'elle était une véritable actrice. Vous faites le même éloge à Asia ?

Oui, bien sûr. Pour moi, elle est faite pour être filmée. C'est ça la définition d'une actrice. Bien jouer ça ne veut rien dire car quels sont les critères de bien jouer finalement ? Avoir l'air juste et crédible ? Ca ne veut rien dire. La prestation d'Asia Argento fait que le film devient comme un doc' sur la photographe finalement.

Connaissiez-vous les talents de photographe d'Asia ?

Elle m'a envoyé quelques photos mais ça n'a pas du tout servi pour faire le film. D'ailleurs, elle était plutôt mal à l'aise avec l'appareil. Ce qui a servi c'est qu'elle soit actrice et réalisatrice, elle sait recevoir et donner des indications.

Vous êtes considéré comme un cinéaste du dérangeant, comment qualifiriez-vous celui-ci ? Pensez-vous qu'il sera bien accueilli par le public ?

Je ne pense pas que celui-ci soit dérangeant, d'ailleurs c'est mon meilleur film à ce jour ! Il est abordable pour tout public même s'il se prête à des interrogations psychanalytiques. Moi, je ne pense pas que Le Pornographe était dérangeant car finalement, c'est juste la vie d'un homme et Tiresia raconte juste la vie d'un transsexuel, le traitement les rendait très soft. Est-ce que Cindy, the doll is mine est dérangeant ... je ne sais pas en fait !

Une préférence pour les courts ou les longs-métrages ?

Disons que les courts que j'ai fait au début de ma carrière servaient à me faire connaître pour faire des longs. Cindy, the doll is mine est un film à part entière, ce n'est pas une carte de visite mais un élément de plus dans ma filmographie. C'est un court parce que le sujet ne se prêtait pas à faire autrement mais qui a autant d'importance à mes yeux que Tiresia. J'ai d'ailleurs comme projet deux films qui formeraient avec Cindy, the doll is mine une sorte de trilogie bien que ce serait des longs-métrages.

Propos recueillis par Anais Clanet le lundi 26 septembre 2005

mercredi 30 janvier 2008

Jürgen Teller


Lucie

Lucie s'avançait, à demi soutenue par ses femmes, une couronne d'oranger dans les cheveux, et plus pâle que le satin blanc de sa robe. Emma rêvait au jour de son mariage ; et elle se revoyait là-bas, au milieu des blés, sur le petit sentier, quand on marchait vers l'église. Pourquoi donc n'avait-elle pas, comme celle-là, résisté, supplié ? Elle était joyeuse, au contraire, sans s'apercevoir de l'abîme où elle se précipitait... Ah ! si, dans la fraîcheur de sa beauté, avant les souillures du mariage et la désillusion de l'adultère, elle avait pu placer sa vie sur quelque grand coeur solide, alors la vertu, la tendresse, les voluptés et le devoir se confondant, jamais elle ne serait descendue d'une félicité si haute. Mais ce bonheur-là, sans doute, était un mensonge imaginé pour le désespoir de tout désir. Elle connaissait à présent la petitesse des passions que l'art exagérait. S'efforçant donc d'en détourner sa pensée, Emma voulait ne plus voir dans cette reproduction de ses douleurs qu'une fantaisie plastique bonne à amuser les yeux, et même elle souriait intérieurement d'une pitié dédaigneuse, quand au fond du théâtre, sous la portière de velours, un homme apparut en manteau noir.
Son grand chapeau à l'espagnole tomba dans un geste qu'il fit ; et aussitôt les instruments et les chanteurs entonnèrent le sextuor. Edgar, étincelant de furie, dominait tous les autres de sa voix plus claire. Ashton lui lançait en notes graves des provocations homicides, Lucie poussait sa plainte aiguë, Arthur modulait à l'écart des sons moyens, et la basse-taille du ministre ronflait comme un orgue, tandis que les voix de femmes, répétant ses paroles, reprenaient en choeur, délicieusement. Ils étaient tous sur la même ligne à gesticuler ; et la colère, la vengeance, la jalousie, la terreur, la miséricorde et la stupéfaction s'exhalaient à la fois de leurs bouches entrouvertes. L'amoureux outragé brandissait son épée nue ; sa collerette de guipure se levait par saccades, selon les mouvements de sa poitrine, et il allait de droite et de gauche, à grands pas, faisant sonner contre les planches les éperons vermeils de ses bottes molles, qui s'évasaient à la cheville. Il devait avoir, pensait-elle, un intarissable amour, pour en déverser sur la foule à si larges effluves. Toutes ses velléités de dénigrement s'évanouissaient sous la poésie du rôle qui l'envahissait, entraînée vers l'homme par l'illusion du personnage, elle tâcha de se figurer sa vie, cette vie retentissante, extraordinaire, splendide, et qu'elle aurait pu mener cependant, si le hasard l'avait voulu. Ils se seraient connus, ils se seraient aimés ! Avec lui, par tous les royaumes de l'Europe, elle aurait voyagé de capitale en capitale, partageant ses fatigues et son orgueil, ramassant les fleurs qu'on lui jetait, brodant elle-même ses costumes ; puis, chaque soir, au fond d'une loge, derrière la grille à treillis d'or, elle eût recueilli, béante, les expansions de cette âme qui n'aurait chanté que pour elle seule ; de la scène, tout en jouant, il l'aurait regardée. Mais une folie la saisit : il la regardait, c'est sûr ! Elle eut envie de courir dans ses bras pour se réfugier en sa force, comme dans l'incarnation de l'amour même, et de lui dire, de s'écrier : «Enlève-moi, emmène-moi, partons ! À toi, à toi ! toutes mes ardeurs et tous mes rêves !»
Le rideau se baissa.


Gustave Flaubert

[Les brouillons de Madame Bovary sont édités dans leur intégralité. On peut les lire ici.]

Piranesi


dimanche 27 janvier 2008

Vos mépris chaque jour

Vos mépris chaque jour me causent mille alarmes,
Mais je chéris mon sort, bien qu'il soit rigoureux.
Hélas ! Si dans mes maux je trouve tant de charmes,
Je mourrois de plaisir, si j'estois plus heureux.

Anonyme (XVIIeme siècle)

Piranesi


samedi 26 janvier 2008

Il lamento d'Arianna

Lasciatemi morire!
E chi volete voi che mi conforte
In così dura sorte,
In così gran martire?
Lasciatemi morire.
O Teseo, O Teseo mio,
Si, che mio ti vo' dir, che mio pur sei,
Benchè t'involi, ahi crudo, a gli occhi miei
Volgiti, Teseo mio,
Volgiti, Teseo, O Dio!
Volgiti indietro a rimirar colei
Che lasciato ha per te la Patria e il Regno,
E in queste arene ancora,
Cibo di fere dispietate e crude,
Lascierà l'ossa ignude!
O Teseo, O Teseo mio,
Se tu sapessi, O Dio!
Se tu sapessi, ohimè, come s'affanna
La povera Arianna,
Forse pentito
Rivolgeresti ancor la prora aIlito!
Ma con l'aure serene
Tu te ne vai felice et io qui piango.
A te prepara Atene
Liete pompe superbe, ed io rimango
Cibo di fere in solitarie arene.
Te l'uno e l'altro tuo vecchio parente
Stringeran lieti, et io
Più non vedrovvi,
O Madre, O Padre mio!
Dove, dov'è la fede
Che tanto mi giuravi?
Così ne l'alta fede
Tu mi ripon degl'Avi?
Son queste le corone
Onde m'adorni il crine?
Questi gli scettri sono,
Queste le gemme e gl'ori?
Lasciarmi in abbandono
A fera che mi strazi e mi divori?
Ah Teseo, ah Teseo mio,
Lascierai tu morire
Invan piangendo, invan gridando 'aita,
La misera Arianna
Ch'a te fidossi e ti diè gloria e vita?
Ahi, che non pur rispondi!
Ahi, che più d'aspe è sordo a' miei lamenti!
O nembri, O turbi, O venti,
Sommergetelo voi dentr'a quell'onde!
Correte, orche e balene,
E delle membra immonde
Empiete le voragini profonde!
Che parlo, ahi, che vaneggio?
Misera, ohimè, che chieggio?
O Teseo, O Teseo mio,
Non son, non son quell'io,
Non son quell'io che i feri detti sciolse;
Parlò l'affanno mio, parlò il dolore,
Parlò la lingua, sì, ma non già il cuore.
Misera! Ancor dò loco
A la tradita speme?
E non si spegne,
Fra tanto scherno ancor, d'amor il foco?
Spegni tu morte, ornai, le fiamme insegne!
O Madre, O Padre, O dell'antico Regno
Superbi alberghi, ov'ebbi d'or la cuna,
O servi, O fidi amici (ahi fato indegno!)
Mirate ove m'ha scort'empia fortuna,
Mirate di che duol m'ha fatto erede
L'amor mio,
La mia fede,
E l'altrui inganno,
Così va chi tropp'ama e troppo crede.

Claudio Monteverdi

Eugène Atget

Parc de Sceaux

Plainte de Vénus

Ah ! quelle cruauté de ne pouvoir mourir,
Et d’avoir un coeur tendre & formé pour souffrir !
Cher Adonis que ton sort est funeste,
Et que le mien est digne de pitié !
Vien, Monstre furieux, vien devorer le reste,
Et n’en fay pas à moitié,
Que les traits de la mort auroient pour moy de charmes !
Mais sur mes jours ils n’ont point de pouvoir,
Et ma divinité réduit mon desespoir
A d’éternels soûpirs, à d’éternelles larmes.
Ah ! quelle cruauté, &c.
Vous le voulez, Destins, est-il possible
Que luy mourant je conserve le jour,
Et ne devrois-je pas parestre aussi sensible
A sa mort qu’à son amour ?
Luy qui des Dieux jaloux attira le tonnerre,
Qui m’ayma tant, que je n’aymay pas moins,
Et qui par de si doux, & de si tendres soins
M’osta le goust du Ciel en faveur de la Terre.
Ah ! quelle cruauté, &c

Isaac de Benserade

Rochers vous êtes sourds

Rochers vous êtes sourds, vous n'avez rien de tendre
Et sans vous ébranler vous m'écoutez ici.
L'ingrat dont je me plains est un Rocher aussi :
Mais hélas, il s'enfuit pour ne pas entendre.
Ces voeux que tu faisois et dont j'étais charmée
Que sont-ils devenus lasche et perfide amant
Hélas t'avoir aymé toûjour si tendrement,
Etait-ce une raison pour n'être plus aimée ?

Attribué à Michel Lambert

vendredi 25 janvier 2008

Princesse

La singularité de l'aventure me pique autant que vous, Monsieur, et la curiosité de savoir si la friponnerie me réussira me fait accepter votre proposition. Le ton avec lequel vous en parlez me fait croire qu'elle n'est pas aussi nouvelle pour vous que pour moi. J'espère que vous me conduirez dans une carrière que je ne connais point et je m'abandonne à vos conseils. J'attends votre retour presque avec impatience, pour juger mieux que par vos discours de la solidité de vos préceptes.

Louise Anne de Bourbon, Mademoiselle de Charolais, 1725


Machine à désirer

Le cinéma est aussi une machine à désirer au sens le plus sensuel du mot. Un désir de désir. La scène du strip-tease de la belle métisse entourée de ses boys, dans la boîte de nuit où les Pontano commencent la soirée, est emblématique, de ce point de vue. Mais le désir peut être plus chaste, il peut tenir à ce simple privilège que nous donne le gros plan d'entrer dans la proximité et l'aura - et l'haleine, dirait-on - d'un visage. Warhol justifiait les longs gros plans de certains de ses films par la frustration où cet amateur de films hollywoodiens disait avoir souvent été de ne pouvoir contempler à loisir les traits de ses stars favorites : des projectionnistes, disait-il, amputent même à cet effet les copies des films pour en garder, comme autant d'icônes, les photogrammes les plus désirables. C'est pour éviter un si cruel expédient et permettre à chacun de se livrer tout son saoul à ce fétichisme filmique que l'albinos disait avoir fait ses 13 Most Beautiful Women ou 13 Most Beautiful Boys. Il y a là une des vérités du cinéma -en même temps qu'un de ses non-dits les plus constants.

Dominique Noguez

dimanche 13 janvier 2008

晶子 Akiko

晶子 Akiko

晶子 Akiko

晶子 Akiko

Tony Conrad - The Flicker

What was the inspiration behind The Flicker?

There are really three roots to the answer. I suppose that the first inkling of any sort was through the fact that while I was in college I took an elective course that was called... Um, can't remember the name of it. It was a course in neurophysiology, and neuroanatomy, and one of the parameters of the course was studies that dealt with CFF, Flicker Fusion Frequency or Critical Flicker Frequency. This was, I guess, around 1959, and so this was an area of experimental psychology that was active. The course included things like intra -cranial self stimulation and Critical Fusion Frequency as parameters for the investigation of central nervous system events and activity. So, at the time, for me as a college student, this was largely an abstraction.
Then a couple of years later, in a context that was as different from that as any that can be imagined, I was living at New York in an apartment which at the time I shared with Jack Smith, the filmmaker of Flaming Creatures, which was a film that I worked on, and Jack had cultivated a coterie of superstars, in quotes with a capital S. In fact, he was the person who invented the idea of an underground superstar and brought it to Andy Warhol who later made the whole notion part of his panorama of film concepts and so-forth. But, in this environment of Superstardom, ah, among the Superstars a couple of them dropped by regularly, or lived nearby, and in particular Mario Montez, who lived one flight down in the slum, in a fantastically, elaborately, a self-designer appointed aqua and blue and gold apartment (laughter)... Yeah, Mario came over one evening and was in drag and Jack became overstimulated and dimmed the lights and put on some funky, or should I say moldy, records, and in a frantic and desperate effort to put Mario on the silver screen, grabbed an antiquated projector, a 16 mm projector which he had found somewhere and pointed the pathetic instrument at Mario, to glimmer in the lamp of the machine. At this point I have to add that the projector I'm talking about was non-functional. It was a silent film projector, it had no lens, and about all it did have was variable speed. And it turned out it flickered and flashed. I thought to myself, I wonder if this flickering light could be anything like I studied in school, and turned the control for the frame rate down to as low as it would go, and to everyone's astonishment, Mario's sequins began to glimmer and shake in the shimmering light, and every highlight of the lipstick and makeup began to become unreal, and everything glowed with an unearthly ambiance. This particular event and moment happened to be recorded because at the time I was taping a lot of these evenings, and is in fact released on a tape of such recordings that I assembled and put out through Table of the Elements on my Audio ArtKive label about two years ago. The cut, I think is called Rene and the flickering jewel.
This moment was taped, and on the recording we hear Jack Smith gasping in pleasure. So this was indeed interesting and astonishing, to find the tools of cinema brought the experience of flicker within reach of some kind of practice. It was pretty natural at that point for me, and I guess conceivably for Jack, to think how wonderful it would be to find that it might be possible to incorporate this kind of visual experience into a later film of some kind.
I began to wonder at that point also what kind of relationship there might be between the sort of subjective psychological, let's say even phenomenological conditions of flicker, which as I understood it had something to do with alterations of the actual functioning of the brain on the one hand. Then on the other hand understandings of narrative, storytelling, linguistic and visual, more complex linguistic and visual activity, speaking in a subjective framework. Basically what sort of things might happen if one were to combine images and flicker in one place. This seemed like a very novel approach to me. I found this extremely interesting to ponder, and the more I thought about it the more I realized it might be a good idea to generalize the whole technology by construction a set of film masks that could be used with other material to cause it to flicker. Basically the idea would be to turn off frames in some regular, organized sequence, so that only some of the frames would be projected. In order to do that, it should be possible to basically make a film out of the sequences of film out of the sequences of frames that one would select to do that, and then use that film as a mask or bipack element as it would be technically called, in order to alter the frame's narrative context, within some kind of subjective phenomenological 'altered state.'
This was probably the earliest form of inspiration for heading into the project. However, it happened that also at this time I was involved with a music performance group which was exploring a kind of sound production which generated the kind of music that we now call minimal music, very early in terms of that sort of thing. Which is to say that the more well-known sounds of Phil Glass and Steve Reich really emerged a little later, and this was really more of a continuous sound environment that actually is somewhat closer to the sort of interest in minimal sound of the late 90s and the last few years, than the work of Glass or Reich. So this was an influential situation, although at the time we were just getting started with it. The key to the practices in this group, which included me, John Cale, La Monte Young, Marian Zezeela, and Angus MacLise , for the most part . The key to it turned out to be an understanding of musical pitch in terms of frequency ratios, and the whole idea of harmonic structure in music, which goes directly back to the time of Pythagoras, and is thus one of the most enduring principles of the entire western cultural panorama, is somewhat problematic in that this number relationship that obtains between pitch and consonance , doesn't seem to pop up in other fields of experience. It seems that it's possible to structure music according to some kind of arithmetical principles. If you look for a comparable way of understanding experience in visual terms, or in terms of touch, taste or other modalities, you just have a lot of trouble locating anything that makes sense. I was spending a lot of time on this and it occurred to me along the way that flickering light was one of the very few frequency - dependent modalities in the whole human sensorium, and the question occurred to me was whether there might be harmonic structures that would obtain within a range of experiences which are afforded by flickering light.
Well, it's central to the way in which harmonic structures function in sound that the band of frequencies that one can hear extends over the range of several octaves. In fact, people can hear pitches over about 10 octaves, a range of about 10 octaves.... So the chances of there being any kind of harmonic expression in flicker seemed to me pretty slim, because flicker really ranges from, well possibly as low as four flashes per second, if you really stretch it, up to forty, let's say. So that is about a range of 10 to one, not a thousand to one, and ten to one is more like a three octave range, so since you need at the very, very minimum two octaves in order to produce coherent harmonic interactions, it seemed just vaguely possible that one might find some sort of harmonic experience in a frequency spectrum that would be up to three octaves wide. At the time, of course, there was no video, which is a

(break)
Maybe I would really blow people's brains right out the back of their head. I didn't know. I was concerned, lest there be some kind of untoward outcome. Consequently I consulted with Beverly's mentor, Sandor Rado, who was a very prominent psychoanalyst, who was president of the Manhattan State Hospital, and president at one time of the American Psychiatric Association, who had been a student of Freud, and who was responsible for spiriting some of Freud's papers out of Europe during the Nazi era. Quite a remarkable guy, extremely smart and widely informed. Speaking with Sandor was very helpful, because as it turned out he recalled having actually used flicker himself in the treatment of what was called shell shock during the First World War, when he did some battlefield medical, psychological treatment to soldiers who had I guess what we would now call post traumatic stress syndrome, and he treated some of these people with flicker, successfully, and he was able to attest to the breadth of application and effectiveness of this tool. In part, through his recommendation , I contacted the American Epilepsy Association, and was referred to a doctor who was the chief at the time in New York, I forget at which hospital now. Anyway, I spoke to this doctor, and he had clinical experience with flicker-induced seizures. I told him that I was concerned about this and thought that perhaps I should put a warning or notice at the beginning of my film to alert people who had epilepsy, photogenic epilepsy, that there might be trouble ahead. He was able to fill me in on the statistics, and let me know that the danger would be greatest for the one in 15,000 people who actually suffered from photogenic epilepsy, although he also mentioned that it was maybe five times more common among children, and then he mentioned that in his clinical experience there were at least as many, or perhaps more people who showed up wishing to have epilepsy than actually did have clinical cases, and that this was something that happened because epilepsy has always been perceived since the time of Caesar , or seizure as we call him, as a rather romantic and somewhat harmless but quaintly disabling disease, a romantic disorder of some sort . And he suggested that it might be a good idea not to use the disclaimer or warning because I would probably get more seizures from having the warning, than from anything else. I toyed with the idea of just making a film out of the warning, to see if I could get anybody to have seizures. But to tell you the truth, I never did have people complain about epileptic seizures without cause, and in the whole life of the film to date, I've only heard of one case where someone did have a seizure. I don't remember the circumstances and never heard who it was. But it was reported to me at one time that there had been a screening where someone did suffer a seizure.
On the other hand , the first public screening took place at the Filmmakers Cinematheque , an underground film, alternative cinema that at the time was located on 41 st Street in Manhattan, in 1966. I was back at the theatre some days later, and the guy who ran the theatre told me he had had a horrible horrible headache after seeing my film that had persisted for days, and that he had then consulted a doctor and it had been determined that he had a condition called photogenic migraine, which astonished me, and gave me some reason for concern. And in fact, photogenic migraine has turned out to be the main problem with the film, if you can speak of such a thing, in that perhaps, oh, as many as half a dozen people, have had the experience of a photogenic migraine after seeing the film.
This gave me some reason to question my responsibility and possible exposure, but thinking about it, I realized that for people who perhaps had latent photogenic disorders, that might be brought to the surface by their experience of watching The Flicker, it could be that this would be a valuable diagnostic situation for them. It might be far better for them to discover this condition in the context of the safe experience of a movie theatre, than to discover the problem while they are driving past a row of trees, or while swimming, or otherwise, where there might actually be even a life threatening situation that could develop.

That's the hell, right? Huxley said there is a heaven but there is also a hell, but of the people who experienced it would there not have been a larger proportion who would have had positive effects from The Flicker?


During the first year that the film came out it drew quite a bit of attention, for two reasons I think. One because it was a heck of a good movie, which was the reason that I had finally felt that I had wanted to make it. I had felt that my own experience with flicker was a transporting experience in the way that movies affect the imagination at their best by sweeping one away from reality into a completely different psychic environment. Especially when I was younger, as a teenager, my experience with movies was extraordinarily rich in the way that they transported me to some other place and time. I remember coming blinking out of the theatre into the sun and awakening from the trance, of the film, a kind of narrativity trance, which can be very strong, and which as a kind of altered reality has an immense attractiveness as people sometimes find drugs do. So there is a relationship there that is problematically involved with escape and all which that entails. My youthful interest in science fiction was always somewhat compromised by the way that science fiction books seemed to back off from the most extreme phenomenological problems and by and large to focus on standard narrative conventions like fighting and shooting, or murders or love, or some kind of human interaction, so that often the science fiction escape setting resolved itself into a very pedestrian everyday kind of story that was simply disguised by the stage trappings, and I did think of The Flicker as a kind of science fiction movie at its best in which one experienced the full impact of narrative transport, but rather than being transported to some sort of planet that in the end really just looked like Earth, with The Flicker you did become transported to a different planet which was entirely abstract, a parallel universe that was structured in a way uncannily different from everything else. This idea of The Flicker as a movie, rather than a formal art piece, was very important to me, and the fact that it sustained in that way, in other words that one went to this as a film and saw things that were weird and became transported to some other space, this gratified me tremendously, and attested to the fact that the film would really function as a film. And, because of course, in this particular respect, it didn't entail any kind of period trappings, like it didn't have actors who looked like they were sixties people, it could survive. So it had a kind of timelessness about it, in that respect.
Now there was another way in which, of course, it was time-bound, and that was the way in which it was interpreted as an extremely effective high modernist art work, and so, since other filmmakers were making films at the time that dealt with structure as a foregrounded principle, and this seemed to be built around mathematical principles, it was adopted as a kind of flagship film for the structural film movement, where it dealt with abstract light-organizing ideas. I felt a little awkward about that, because first of all the film, although it was arithmetically conceived in its relation to harmonic structure, it wasn't a mathematical film. Although it had a simple sort of structural design, I saw this as sort of like a way of leading in and out of the trance space of the narrative, rather than being a structural feature. This was a part of the narrative design of the scenes in the film.
One other thing about this sort of reception of the film that I think is worth mentioning was the fact that after I was done, of course, Sandor Rado came to the film, and I talked to him about what it was like for him, and he said for him the most notable thing was what happened to the audience, that in his perception that the space around him, and the people in the audience became uncannily frozen. He brought my attention to this. It was something that I immediately confirmed for myself. The next time I watched the film I watched the audience. What it did to the audience was in fact extremely interesting and curious, and is nothing that I can properly describe to you, because of the way that it had some relation to the phenomenological flicker situation, that kind of bizarre visual quality, and then also had simultaneously to do with the fact that the audience that I viewed and myself both were projected into a trance-like situation. People were frozen, looked frozen, and looked uncanny all in one sweep. The space, the look of the screen and all of these things become very, very strange with the film.

Were there specific hallucinatory images that were reported to you by viewers?

During the first year, the film got some pretty wide attention, and I was approached by a student at NYU, Jetta Bernier, who was interested in psychology and was working in film, and it was her idea to actually take the film, to use the film in an experimental context. She got NYU to actually buy a print from me, and we took the titles off, and she used it in a test situation, where she got viewers to come in and watch the film and then fill in a whole questionnaire about what happened. She then wrote this whole thing up as a kind of study. I think she was an undergraduate at that time, but it was pretty competently done in some ways. Her results were formulated in terms of how correlations emerged among the different perceptual anomalies that she discerned in her viewership. There were parameters that she was interested in, such as whether people saw colours or shapes or objects, and if so what they were. How many they saw. And what their feelings were about the film, and about the experience of watching the film, how comfortable they were, whether they felt anxious. She also made notes of age, and so forth.

Was that published?

Not published to my knowledge. Some of her findings were anecdotal , and some of her findings were correlative among the different parameters. She found for example that younger people tended to be more relaxed, they tended to see more stuff and have a better experience. The older people tended to be more uptight, which was part, of course, of the sixties vernacular, and people who were anxious or intimidated by the situation or unprepared to relax in the context of the showing, reported seeing less in the way of colours and objects and so forth, and had a less positive or even negative experience. The more colours people reported having seen , the more positive their experience. The top correlative that she had was with the numbers of colours that people saw. As far as the things that they saw, or hallucinated, she reported that probably the most common were numbers and letters and then single objects or beings like insects, that sort of thing. A lot of people reported seeing spinning circles of colour, patterns, abstract patterns, often in motion or rotating. A few people saw more complex things than simple objects. One or two even reported having seen complex scenes, wagons and western scenes, a whole action sequence.

Were you aware of the work that Grey Walter had done?

I can't remember if my readings in that course were from Grey Walter's book, The Living Brain, I think maybe that was a part of the readings for that course.

Where was the course at?

Harvard. There was a Dr. Pierce that taught that. It was a young guy who I remember as being very energetic from the boring old farts that I usually had up there at that miserable haunted house, haunted by veritas.

How old were you when the film came out?

Well I guess I would have been 26.

Were you familiar with Brion Gysin?

When I was playing around with this whole thing, even early when I was toying around with the lensless projector, somebody who came by mentioned that there was this fellow named Brion Gysin who had made this Dream Machine, and so forth, but I never had contact with him or it and never knew very much about it. He was a little older and inhabited a slightly different scene at the time.

Have you ever seen a Dream Machine?

People told me it was based on a kind of phonograph, turntable situation, which I thought sounded just great because I very much like the way that the whole technology had a kind of daunting aura yet at the same time arose from the simplest and most easily constructed materials and mechanisms. I did have contact with the epilepsy association and as I learned children who are epileptic, because the seizures can be fun, they sometimes will go outdoors and look up at the sun and then just wave their hand in front of their eyes and this will take them into a trance. It's that simple.


Interview conducted 28 February, 2002 with Tony Conrad, by telephone from New York State University at Buffalo.

samedi 5 janvier 2008

Beuys

Manfred Leve - Block Beuys


Manfred Leve - Block Beuys


Manfred Leve - Block Beuys

vendredi 4 janvier 2008

Paul Sharits

J'aime l'expérience de la pure couleur. Pourtant, je trouve que si je regarde une couleur très définie, mon esprit reconnaît cette couleur et m'empêche de me perdre totalement en elle. Si bien que je tends à préfèrer des couleurs qui sont à côté, qui sont un peu moins définies. J'aime en particulier certains passages dans les peintures de Monet parce qu'en regardant ces zones, on se rend compte après quelque temps qu'il y a une multitude de couleurs en interaction, et on ne peut pas s'arrêter sur l'une ou l'autre. C'est comme de goûter une couleur ; c'est quelque chose de très physique. Un bleu pur fait plaisir, mais il a une telle définition qu'il n'a pas le pouvoir de m'engager sensuellement. L'une des raisons qui m'ont fait travailler avec le clignotement de couleurs était que je voulais créer des couleurs indéfinies, alterner, disons, trois couleurs de façon qu'en regardant cet effet chatoyant, l'esprit ne puisse pas le fixer ; on ne peut dire si c'est jaune, orange ou violet ; c'est une fusion constamment impossible. Pas vraiment une fusion, mais ça va trop vite pour qu'on puisse individualiser les tons. On entre dedans et on savoure cela comme si on voulait le goûter. C'est presque comme si on essayait de toucher quelque chose pour sentir ce que ça fait.

Paul Sharits

Paul Sharits

1. La puissance optique des films de Paul Sharits est sans équivalent. Structurées par une réflexion théorique fondamentale, ses images possèdent une force projective analogue à la flèche tirée par un archer zen : elles abolissent la différence entre le corps et l'écran, elles nous transforment en subjectiles.

2. Matérialisme, rappel.
Paul Sharits avait pour projet artistique de "déclarer" le cinéma et il l'a accompli. "Déclarer" signifie ici : contester, élucider, préciser, affirmer, déployer, ouvrir. Pour cela, il a provisoirement mis entre parenthèses la question de l'enregistrement, il a pensé les éléments concrets du dispositif un par un et refondé leurs rapports matériels et immatériels. Pour lui, le cinéma ne devait pas souscrire à la mimesis mais devenir présence sensible, pas un rappel, mais un appel. Ainsi, face au cinéma de la confirmation et de la déclamation (qui récite une leçon déjà dictée), il a inventé le cinéma de la déclaration, le declarative mode.

13. "Le chemin de la lumière paraît obscur. La grande image n'a pas de forme."
Voir un film de Paul Sharits, c'est comme si soudain un traducteur occidental de Lao-Tseu abandonnait son travail, se levait et se mettait à danser.

Nicole Brenez

Robert Frank

Robert Frank - London, 1951-1953


Robert Frank - London, 1951-1953

Eugène Atget

Paris, le 12 novembre 1920

Monsieur,
J'ai recueilli, pendant plus de vingt ans, par mon travail et mon initiative individuelle, dans toutes les vieilles rues du vieux Paris, des clichés photographiques, format 18 x 24, documents artistiques sur la belle architecture civile du XVI° au XIX° siècle : les vieux hôtels, maisons historiques ou curieuses, les belles façades, belles portes, belles boiseries, les heurtoirs, les vieilles fontaines, les escaliers de style (bois et fer forgé) ; les intérieurs de toutes les églises de Paris (ensembles et détails artistiques), Notre-Dame, Saint-Gervais et Protais, Saint-Séverin, Saint-Julien-le-Pauvre, Saint-Etienne-du-Mont, Saint-Roch, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, etc.
Marchant vers l'âge, c'est à dire vers soixante-dix ans, n'ayant après moi ni héritier ni successeur, je suis inquiet et tourmenté sur l'avenir de cette belle collection de clichés qui peut tomber dans des mains n'en connaissant pas la valeur et, finalement, disparaître, sans profit pour personne. Je serais très heureux, Monsieur le Directeur, s'il vous était possible de vous intéresser à cette collection. Naturellement, vous ne pouvez prendre en considération ma demande sans avoir soit une référence, soit des renseignements sur ma collection et sur ma personne. Comme renseignements : j'ai vendu toute ma collection d'épreuves 18 x 24 au musée de sculpture comparée, musée du Trocadéro ; j'ai vendu tout le côté pittoresque, vieilles rues, vieux coins, à M. Courboin, conservateur du cabinet des estampes à Bibliothèque nationale ; j'ai vendu toute la collection architecture et pittoresque à la grande bibliothèque de Londres, Board of education, et des fragments de la collection à la bibliothèque des Beaux-Arts, à la bibliothèque des Arts décoratifs et à M. André Michel, conservateur au Louvre. Enfin, je tiens à votre disposition, Monsieur le Directeur, sur un simple mot de vous, mes références sur le vieux Paris et toutes les explications qu'il vous plaira de me demander.
Je vous prie, Monsieur le Directeur, de recevoir mes très respectueuses salutations.

E. Atget.


Paris, le 22 novembre 1926

Monsieur,
Il y a deux parties dans ma collection : "L'art dans le vieux Paris" et "Paris pittoresque".
C'est la première partie que je vous adresse. Dans la deuxième partie, aussi nombreuse, il y a aussi de l'architecture, mais surtout des ensembles : les fontaines, les enseignes, au nombre de 100, presque toutes disparues ; l'intérêt du pittoresque, c'est que la collection est aujourd'hui complètement disparue : par exemple, le quartier Saint-Séverin est complètement changé. J'ai tout le quartier, depuis vingt ans, jusqu'en 1914, démolitions comprises.
Je dépose aujourd'hui, selon votre désir, "L'art dans le vieux Paris".
25 albums, représentant 1053 clichés. Le prix de la collection est de 10 F, dix francs, le cliché. Les albums, les épreuves, les clichés, le tout compris. Je compte 10 F sur 1000 clichés, les 53 en surplus, et même probablement plusieurs autres que j'ai dans des boîtes, non classés, et qu'il me faut rechercher. Donc : 1053 clichés pour 1000 à 10 F le cliché, album et épreuves.
Je pense, Monsieur, que ce prix vous satisfera.
Je vous prie, Monsieur, de recevoir mes respectueuses salutations.

E. Atget


Paris, le 29 novembre 1926

Monsieur,
Selon votre désir, je consens à vous laisser les deux parties pour la somme de dix mille francs. Ayant été encouragé par les différents services de l'Etat, je préfère que ce soit l'Etat qui profite de la totalité de la collection.
La collection se compose de 2621 clichés, 1053 pour la première partie, 1568 pour la seconde. Plus quelques clichés en surcharge demi-cassés ou abîmés par l'humidité des caves pendant le bombardement. Presque tous les clichés de la deuxième partie ont disparu. Les enseignes, par exemple : sur 70 enseignes, il n'en reste que 10 à peu près, tout le reste a été démoli. Le quartier Saint-Séverin est au complet depuis vingt ans. Jusqu'aux démolitions de 1914. La deuxième partie n'est pas complètement tirée, il y avait dans cette partie des clichés que je ne tirais que sur commande.
J'ai travaillé cette année à une nouvelle collection : "L'art décoratif dans le vieux Paris" et "L'art dans les environ" (Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne). Puisque, d'après M. Roussel, vous consentez à m'encourager, jevous prie, Monsieur, de bien vouloir me faire avoir une carte d'étude ou autorisation pour photographier les intérieurs de églises : Louvres, Goussainville, Fontenay-le-Louvres, Gassicourt, Saint-Prix, Orry-la-Ville, Saint-Sauveur, Limay,etc.
Reste la question de faire enlever la collection. Il y a 145 boîtes contenant les 2621 clichés. Je suis sûr de moi pour le haut, mais c'est en bas. Il faudrait quelqu'un de compétent. Entre des mains maldroites, les clichés cassent facilement.
Je vous prie, Monsieur, de recevoir mes respectueuses salutations.

E. Atget.

Lettres d'Eugène Atget à Paul Léon, Directeur des Beaux-Arts de Paris

Au hasard Balthasar

Anne Wiazemsky et Balthasar

jeudi 3 janvier 2008

Jürgen Teller

Snow White

mercredi 2 janvier 2008

Anna Karina - Vivre sa vie

Thierry Jousse : Et quand, dans Vivre sa vie, vous pleurez devant La passion de Jeanne d'Arc, c'était prévu ou non ?

Anna Karina : Pour moi, c'était naturel de pleurer devant la bouleversante image de Falconetti dans le chef-d'oeuvre de Carl Dreyer. Mais sur les sentiments dans les films de Jean-Luc, on se comprenait toujours, on n'avait pas besoin de discuter. De toute façon, il n'y a jamais eu de fausses larmes.

Robert Frank

Robert Frank - Andrea and Pablo, 1955-1956

Jonas Mekas

Brian Frye: Well, one of the reasons I ask is because your films seem to have a quality or themes to them that are uncharacteristic of American films. For example, this theme of exile…

Jonas Mekas: Yes, well, because I happen to be an exile, while Americans in general, they are not exiles. They are not even immigrants, those who make films. They grew up here. So that theme does not really exist for them. But I cannot avoid it. One thing I was thinking the other day about the terms: I think that I have not seen anywhere recently what we call avant-garde, experimental referred to as oppositional cinema. I think that the dynamics, what made the '60s so exciting was that oppositional aspect. In the same way I would say that bohemia is an oppositional way of life, as compared to the rest of society. This duality is always needed, it produces a dynamic; energy is created. The independent, the avant-garde cinema is the opposition to Hollywood cinema. If you eliminate the oppositional cinema, the same as if you eliminate bohemia, cinema would become dead. A certain energy would go out. And there are little periods in various countries where that oppositional cinema disappears. In Italy, there was one in the '60s, for three or four years. They even had a filmmakers' cooperative there. And then it sort of disappeared. In Germany, also, there was one, and it disappeared. Somehow, in the United States, there was and still is, the oppositional cinema. It managed to keep alive, though it seems sometimes like there are three or four years where it falls asleep. But then it picks itself up again. I think we are in a good period now. There is an oppositional cinema.

Cy Twombly

Cy Twombly

Cy Twombly

Cy Twombly

Cy Twombly

Cy Twombly

Cy Twombly

Delie

CXXXVI

L'heur de nostre heur enflambant le desir
Unit double ame en un mesme povoir :
L'une mourant vit du doulx desplaisir,
Qui l'autre vive a fait mort recevoir.
Dieu aveuglé tu nous as fait avoir
Sans aultrement ensemble consentir,
Et posseder, sans nous en repentir,
Le bien du mal en effect desirable :
Fais que puissions aussi long temps sentir
Si doulx mourir en vie respirable.


CLII

Je sens le noud de plus en plus estraindre
Mon ame au bien de sa beatitude,
Tant qu'il n'est mal qui la puisse constraindre
A delaisser si doulce servitude.
Et si n'est fiebvre en son inquietude
Augmentant plus son alteration
Que fait en moy la variation
De cest espoir, qui, jour et nuict, me tente.
Quelle sera la delectation,
Si ainsi doulce est l'umbre de l'attente ?

Maurice Scève

Helen Levitt

Helen Levitt

Helen Levitt

Helen Levitt

Mondnacht

Es war, als hätt' der Himmel
Die Erde still geküßt,
Daß sie im Blütenschimmer
Von ihm nur träumen müßt.

Die Luft ging durch die Felder,
Die Ähren wogten sacht,
Es rauchten leis die Wälder,
So sternklar war die Nacht.

Um meine Seele spannte
Weit ihre Flügel aus,
flog durch die stillen Lande,
Als flöge sie nach Haus.

Joseph von Eichendorff

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Words Apart

I
look for
new
forms
which
would
let me
let me
disclose
the whole
memory
of my
experience.
(Words Apart, 2.2.1-13)


It's just
this image

just this
river
-willow
a bird swings
just this burning
sun
in the lips
of a stream

just this.
(Words Apart, 1.4)

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Jonas Mekas - Walden

Tony Conrad - The Flicker

When I made the film The Flicker in 1965-66 my principal motivation was to explore the possibilities for harmonic expression using a sensory mode other than sound. The experience of "flicker" - its peculiar entrapment of the central nervous system, by ocular driving - occurs over a frequency range of about 4 to 40 flashes per second (fps). I used film (at 24 fps) as a sort of "tonic," and devised patterns of frames which would represent combinations of frequencies - heterodyned, or rather multiplexed together. I was interested to see whether there might be combination-frequency effects that would occur with flicker, analogous to the combination-tone effects that are responsible for consonance in musical sound.
That was a sophisticated idea. Even though the frequency range of flicker is theoretically large enough - though barely - for harmonic modulation products to occur, The Flicker did not convincingly demonstrate the existence of any harmonic flicker structures. Nevertheless, the hypnotic phenomena and trance states that characterize flicker drew my attention again later, when I was working in the 70s and 80s on mind-altering, on attentional states, and on Music and the Mind of the World.

Tony Conrad

Robert Frank

Robert Frank - Wales, 1953

Robert Frank - London, 1951-1953

Jonas Mekas

DEAR FRIENDS,

When Jonas, in 1964, got me a grant of $ 10 a week, he helped me,
when he brought me to New York and showed my films he be-
came one of my fathers,
when he beat me in a vodka drinking bout, he astonished me,
when he kept my bicycle in his living room for years, friendship
assumed a new meaning for me,
when he established his diary style of views and glimpses, he
forced me to put him into my category of special rascals like Bu-
ñuel, Brakhage, or Anger, whose work I have to envy,
when I saw him prepare yogurt for his daughter, I understood
why: out of a small container, he was cutting yogurt with a spoon
and placing the slides one by one on a cool white plate, careful not
to break them nor to destroy the consistency. Very slowly, very,
very carefully. Such love in the preparation of each single bite I had
witnessed only once before. It was in a Viennese early-morning
market kitchen. "Imagine every piece as a bite in the mouth, don't
just chop," the great cooking lady had said, as she cut the meat for
the goulash.

Jonas has realized that, whatever paradise there is, it should be
here and now. Loving care is a key to it. Like Arlecchino, the never-
resting lover, he moves on and moves in.

SINCERELY,
PETER KUBELKA

Gérard de Nerval

Il travaillait en marchant et de temps à autre il s'arrêtait brusquement, cherchant dans une de ses poches profondes un petit cahier de papier cousu, y écrivait une pensée, une phrase, un mot, un rappel, un signe intelligible seulement pour lui, et refermant le cahier reprenait sa course de plus belle. C'était sa manière de composer. Plus d'une fois nous lui avons entendu le désir de cheminer dans la vie le long d'une immense bandelette se repliant à mesure derrière lui, sur laquelle il noterait les idées qui lui viendraient en route de façon à former au bout du chemin un volume d'une seule ligne.

Théophile Gautier

Laura


Giorgione - Laura

Anna Karina

On m'a envoyée voir Hélène Lazareff au journal Elle et je suis arrivée là-bas vêtue de la seule robe que je possédais à l'époque : en tricot, noire, que j'étais obligée de laver tous les jours. En arrivant dans les bureaux, je suis tombée sur une femme très élégante, qui portait un tailleur magnifique : c'était Coco Chanel. J'ignorais qui elle était. Elle m'a demandé comment je m'appelais, j'ai répondu "Hanne-Karine Bayer". Elle m'a regardée de haut en bas et m'a dit du tac au tac "Tu t'appelleras Anna Karina". Je trouvais que ça sonnait bien, donc je l'ai gardé.

Anna Karina

Eugène Atget

Saint Cloud, 1906

Unsere Afrikareise

Autrement dit, même si Unsere Afrikareise, par la vulgarité naturelle des personnages filmés, par leurs postures néo-coloniales et déprédatrices, par la ruse aussi qui lui donna naissance (le détournement, on l'a vu, d'un reportage de commande sur un safari), est un film violemment ironique, la dénonciation politique n'est pas son propos premier : elle ne préexiste pas au travail formel, elle en découle - comme dans les romans de Flaubert, dont Sartre oubliait un peu trop vite, dans Situations 1, le caractère politiquement subversif, sous prétexte qu'il n'apparaît pas au niveau du "signifié". La pratique de Kubelka, qui relève de l'artisanat patient et désintéressé, détonne d'ailleurs dans un monde où le cinéma est essentiellement industriel. Comme chez Flaubert aussi, le matériau n'importe pas en lui-même : Yvetot vaut Constantinople, des chasseurs autrichiens valent des playboys hollywoodiens.
C'est le travail sur le signifiant qui importe. Travail de sélection, d'abord, comparable encore à celui de Flaubert dont Sainte-Beuve, je crois, disait qu'il abattait une forêt pour tailler une alumette. Et travail de structuration, ensuite : au niveau micro-structurel, aucune articulation (d'une image avec celle qui précède et celle qui suit, d'un son avec celui qui précède et celui qui suit, d'une image avec le son qui l'accompagne, etc.) n'est laissée au hasard.

Dominique Noguez

Arnulf Rainer

Ainsi Arnulf Rainer (1957-1960) : voulant rendre hommage à l'oeuvre de son ami Rainer, après l'avoir filmé dans son atelier et tenté toutes sortes d'expériences, Kubelka finit par faire un film sans image du tout (ou plutôt avec seulement l'horizon, le fondement de toute image), soit une succesion soigneusement structurée de photogrammes blancs ou noir, accompagnés ou non de son - utilisant ainsi les quatre figures audio-visuelles les plus simple de l'histoire du cinéma. Il n'est pas abusif de voir là l'équivalent du tableau en blanc de Malévitch et le premier de ces films à clignotement, de ces agencements de photogrammes monocolores (chaque photogramme, d'une durée, donc de 1/24° de seconde - étant pratiquement d'une couleur différente) que produiront peu après Tony Conrad (The Flicker, 1965) ou Paul Sharits (N:O:T:H:I:N:G:, 1968).

Je pense qu'Arnulf Rainer est le film le plus proche de l'essence du cinéma qui existe parce qu'il emploie les éléments qui constituent le cinéma dans leur forme la plus radicale et la plus pure. C'est la lumière et l'absence de lumière, c'est le son et l'absence de son et leur événement dans le temps.

Dominique Noguez

Charles Lhermitte

Epreuve au chlorure d'or, 1912-1913

Anna Karina - Vivre sa vie


El Desdichado

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Gérard de Nerval