Bertrand Bonello : Je voulais partir d'une situation générale, inspirée d'une photo de Cindy Sherman, et aller ensuite vers quelque chose de plus personnel entre toi et moi.
Asia Argento : Inconsciemment, Cindy m'a permis de boucler un cycle de personnages qui dure depuis quinze ans et qui a culminé avec celui que je joue dans Le livre de Jérémie. Cette Sarah m'a pris deux ans. Aujourd'hui, je ne sens plus l'urgence de jouer moi-même dans mes films. C'est presque trop facile. Pendant la projection à Cannes, j'ai réalisé que la brunette que je joue, c'est toi. Je n'y avais pas pensé plus tôt, mais je porte tes habits, ta chemise, tes chaussures, etc.
Bertrand Bonello : La veille du tournage, tu as choisi trois poses de la première série des photos de Sherman, les Untitled : une où elle est allongée sur le plancher, une deuxième où elle se tient près d'une porte, une troisième où elle est assise dans un fauteuil. Ce sont à peu près les postures qu'on voit dans le film terminé. Le tournage a duré deux jours. Un jour pour la blonde, un jour pour la brune. On avait une toute petite équipe, cinq ou six personnes, dont la chef opératrice, toi et moi. C'est passionant de voir toute la journée quelqu'un jouer dans le vide. J'ai été obsédé par le fait que tu parlais à la fois à toi-même et à quelqu'un d'autre. Pour préserver cette incertitude, on a décidé que personne ne serait chargé de te donner hors champ de fausses répliques.
Asia Argento : C'était à la fois très effrayant et très beau. Nous étions comme deux amis sur un plateau vide.
Cahiers du Cinéma, juillet-août 2005