samedi 31 octobre 2009

Screen Test

Andy Warhol - Edie Sedgwick

Chris Marker

La pauvreté des moyens, qui est (au moins dans mon cas) plus souvent question de circonstances que de choix, ne m’a jamais paru devoir fonder une esthétique, et les histoires de Dogme me sortent par les yeux. C’est plutôt à titre d’encouragement pour jeunes cinéastes démunis que je mentionne ces quelques détails techniques : le matériel de La Jetée a été créé avec un appareil photo Pentax 24x36, et le seul passage tourné « cinéma », celui qui aboutit au battement d’yeux, avec une caméra 35mm Arriflex empruntée pour une heure. Sans Soleil a été tourné intégralement avec une caméra Beaulieu 16mm, muette (il n’y a pas un plan synchrone dans tout le film) avec bobines de 30m – 2’44 d’autonomie ! – et un petit magnétophone à cassettes – même pas un walkman, qui n’existait pas encore… Le seul élément sophistiqué – pour l’époque – était le synthétiseur d’images Spectre, également emprunté pour quelques jours. Ceci pour dire que les outils de base pour ces deux films étaient littéralement à la portée de n’importe qui. Je n’en tire pas une sotte gloriole, seulement la conviction qu’aujourd’hui, avec en plus l’ordinateur et les petites caméras DV, hommage involontaire à Dziga Vertov, un cinéaste débutant n’a aucune raison de suspendre son destin à l’imprévisibilité des producteurs ou l’arthritisme des télévisions, et qu’en suivant ses idées, ou ses passions, il verra peut-être un jour ses bricolages élevés au rang de DVD par des gens sérieux.

Chris Marker (2003)

vendredi 30 octobre 2009

Empire

Andy Warhol - Empire

王超 Wang Chao

Après avoir réalisé L'Orphelin d'Anyang, Jour et nuit et Voiture de luxe, trois films, mettant en perspective la réalité chinoise contemporaine à l’échelle de l’humain, j’ai décidé de faire une pause. Un auteur se doit constamment de rester en alerte, de s’interroger sans cesse : Suis-je capable de continuer à me soucier d’autrui et à exercer un esprit critique ? Mes propres réalité et intériorité ne posent-elles pas problème ? Oserai-je réellement me faire face, comme je l’ai déjà fait avec la Chine contemporaine ?

En septembre 2006, lors de l’avant-première de Voiture de luxe en France, je me suis retrouvé dans une situation amoureuse qui m’était inconnue. A Paris, alors que j’échangeais chaque jour des coups de téléphone avec ma petite amie chinoise étudiante aux Etats-Unis, j’ai été confronté à l’enthousiasme d’une jeune ballerine chinoise venue exprès de Munich pour me voir à Paris.
A cause des tiraillements de mon coeur et de mon corps, je ne distinguais plus mon visage, mais je faisais pourtant tout pour m’en approcher, comme un jeu sucré voué à la souffrance, aussi réel, aussi vaniteux. Dans les cinémas parisiens, lorsque je regardais mon film avec le public français, les difficultés de la Chine présentes dans Voiture de luxe s’éloignaient de moi peu à peu. Je ressentais uniquement ce que j’appelais amour ou non-amour à ce moment-là ainsi que les souffrances et l’angoisse que provoquent les contradictions entre loyauté et trahison.

En septembre à Paris, sous un ciel sans nuages, je pouvais à tout moment inconsciemment ou consciemment tourner le dos à cette femme. Dans ces cas-là, se faire face avec tolérance et franchise est la seule façon d’être en paix, mais nous sommes souvent incapables de faire preuve de vraie tolérance et de vraie franchise et notre âme n’est jamais vraiment en paix.

Memory of Love explore ainsi l’âme humaine : ce film essaie d’être tolérant et franc… envers cette femme, ces deux hommes font tous les efforts possibles, tout comme moi je le fais à présent. Pourtant l’avenir n’est pas rose, la route est difficile. Parce que le début est peut-être la fin. Or la fin est nécessairement un nouveau début. Si nous n’avons pas encore renoncé, si nous persistons, si nous continuons de croire que la tolérance et la franchise sont les seuls moyens de calmer l’âme, alors l’amour sera toujours là. Et même si nous ne pouvons plus jamais avoir cette femme, l’espoir sera toujours présent.

WANG Chao, Pékin, le 4 juin 2007.

Elevator, Miami Beach

Robert Frank - Elevator, Miami Beach 1955

jeudi 29 octobre 2009

L'oeil sa muse

Le jardin chinois proposé par Érik Bullot n’est pas en Chine. Il n’est pas non plus à Rome, où a été tourné le film. Il n’est, à proprement parler, nulle part, sinon dans une espèce de “ chambre des intervalles ” qui ferait communiquer la bambouseraie miniature de la Villa Médicis, un dragon de papier que l’on peint, un faux mandarin que précède, en plein jour, un serviteur portant une lanterne, et bien sûr une allusive cérémonie du thé.

Le Jardin chinois ne cherche pas à imiter un jardin chinois, des Chinois, mais à les signifier. L’étrangeté du film – constitutive du style Bullot – est qu’il ne cesse de dévoiler sa fausseté, de “ mettre à nu le procédé ”, un peu comme chez Brecht auquel on ne peut se retenir de penser (ou chez le Barthes de l’Empire des signes). À la fin du film, une superlative mise à nu du procédé fait sortir de l’espace du jeu – de la fiction – une des figures (incarnée par Danielle Shirman) ; elle prend un tramway romain typique, on la voit traverser des quartiers sans qualités, visage neutre, obtus, débarrassée de la Chine. Seul le vêtement la signifie encore, résiduellement. L’exotisme, c’est en fin de compte cela, cette défroque dérisoire.

Jacques Aumont - L’œil sa muse - Notes sur le cinéma d’Érik Bullot

Erik Bullot

La plupart de mes films sont des jeux poétiques. Les relations entre les images sont ironiques. J’ai aussi réalisé un journal filmé qui suit mon fils depuis sa naissance. Ce journal filmé est très simple. Il montre mon fils grandir peu à peu au fil des années. Réfléchir sur le cinéma et filmer l’enfance sont pour moi indissociables. Je rêve de réaliser des films pour des enfants savants.

Erik Bullot, Chroniques Chinoises qu'on peut lire sur Le Silo

Le Jardin chinois

Une nouvelle des Enfantines de Valery Larbaud, la Grande époque, décrit les pays imaginaires traversés par des enfants dans un jardin sans doute minuscule. Un continent à l’échelle d’une plate-bande. Le Jardin chinois obéit à une même règle du jeu. Dans un jardin classique, celui de la Villa Médicis à Rome, lieu des grandes vacances par excellence, le jeu consiste à provoquer l’apparition de l’Empire céleste par les moyens les plus ténus possibles, jusqu’au rêve absolu : filmer Rome en Chine, ériger le principe d’étrangeté poétique en méthode. Deux oiseaux en bois peint, un éventail et une ombrelle suffisent à introduire le soupçon d’un léger décalage dans un univers d’artifice où l’humain frôle la marionnette, où le fantôme de la peinture se profile dans le goût exacerbé du tableau et la pigmentation produite par le gonflage du super-8. Exténuer peu à peu l’image jusqu’à sa déréalisation par excès de blancheur, à la manière des visions embuées au sortir de l’eau, du passage de l’ombre à la vive lumière : tel est le paradoxe poétique de ce jardin chinois.

Erik Bullot, Le Jardin chinois