Après avoir réalisé L'Orphelin d'Anyang, Jour et nuit et Voiture de luxe, trois films, mettant en perspective la réalité chinoise contemporaine à l’échelle de l’humain, j’ai décidé de faire une pause. Un auteur se doit constamment de rester en alerte, de s’interroger sans cesse : Suis-je capable de continuer à me soucier d’autrui et à exercer un esprit critique ? Mes propres réalité et intériorité ne posent-elles pas problème ? Oserai-je réellement me faire face, comme je l’ai déjà fait avec la Chine contemporaine ?
En septembre 2006, lors de l’avant-première de Voiture de luxe en France, je me suis retrouvé dans une situation amoureuse qui m’était inconnue. A Paris, alors que j’échangeais chaque jour des coups de téléphone avec ma petite amie chinoise étudiante aux Etats-Unis, j’ai été confronté à l’enthousiasme d’une jeune ballerine chinoise venue exprès de Munich pour me voir à Paris.
A cause des tiraillements de mon coeur et de mon corps, je ne distinguais plus mon visage, mais je faisais pourtant tout pour m’en approcher, comme un jeu sucré voué à la souffrance, aussi réel, aussi vaniteux. Dans les cinémas parisiens, lorsque je regardais mon film avec le public français, les difficultés de la Chine présentes dans Voiture de luxe s’éloignaient de moi peu à peu. Je ressentais uniquement ce que j’appelais amour ou non-amour à ce moment-là ainsi que les souffrances et l’angoisse que provoquent les contradictions entre loyauté et trahison.
En septembre à Paris, sous un ciel sans nuages, je pouvais à tout moment inconsciemment ou consciemment tourner le dos à cette femme. Dans ces cas-là, se faire face avec tolérance et franchise est la seule façon d’être en paix, mais nous sommes souvent incapables de faire preuve de vraie tolérance et de vraie franchise et notre âme n’est jamais vraiment en paix.
Memory of Love explore ainsi l’âme humaine : ce film essaie d’être tolérant et franc… envers cette femme, ces deux hommes font tous les efforts possibles, tout comme moi je le fais à présent. Pourtant l’avenir n’est pas rose, la route est difficile. Parce que le début est peut-être la fin. Or la fin est nécessairement un nouveau début. Si nous n’avons pas encore renoncé, si nous persistons, si nous continuons de croire que la tolérance et la franchise sont les seuls moyens de calmer l’âme, alors l’amour sera toujours là. Et même si nous ne pouvons plus jamais avoir cette femme, l’espoir sera toujours présent.
WANG Chao, Pékin, le 4 juin 2007.