Le jardin chinois proposé par Érik Bullot n’est pas en Chine. Il n’est pas non plus à Rome, où a été tourné le film. Il n’est, à proprement parler, nulle part, sinon dans une espèce de “ chambre des intervalles ” qui ferait communiquer la bambouseraie miniature de la Villa Médicis, un dragon de papier que l’on peint, un faux mandarin que précède, en plein jour, un serviteur portant une lanterne, et bien sûr une allusive cérémonie du thé.
Le Jardin chinois ne cherche pas à imiter un jardin chinois, des Chinois, mais à les signifier. L’étrangeté du film – constitutive du style Bullot – est qu’il ne cesse de dévoiler sa fausseté, de “ mettre à nu le procédé ”, un peu comme chez Brecht auquel on ne peut se retenir de penser (ou chez le Barthes de l’Empire des signes). À la fin du film, une superlative mise à nu du procédé fait sortir de l’espace du jeu – de la fiction – une des figures (incarnée par Danielle Shirman) ; elle prend un tramway romain typique, on la voit traverser des quartiers sans qualités, visage neutre, obtus, débarrassée de la Chine. Seul le vêtement la signifie encore, résiduellement. L’exotisme, c’est en fin de compte cela, cette défroque dérisoire.
Jacques Aumont - L’œil sa muse - Notes sur le cinéma d’Érik Bullot