jeudi 21 janvier 2010
jeudi 7 janvier 2010
站台 Platform
On a beaucoup parlé de la durée exceptionnelle (3 heures) de votre film. Qu'avez-vous à en dire ?
Jia Zhang-Ke : Au départ, je n'ai pas trop pensé à la durée du film, mais comme la production m'a autorisé une grande liberté de tournage, le produit fini est tout simplement comme ça. Je ne sais pas si la durée se justifie vraiment pour raconter une histoire de dix ans, mais il me semblait nécessaire d'avoir une durée permettant d'exprimer la coexistence du temps et de l'espace.
A quel point ce film est-il autobiographique ?
Je ne m'identifie pas à un personnage précis, mais chaque personnage m'est proche, toutes les situations, tous ces destins, je les ai vécus. Par exemple, j'ai vécu exactement la même passion pour le train, le voyage. Mon premier voyage est un évènement que j'ai gardé précieusement dans ma mémoire.
Comment organise-t-on ses souvenirs en un scénario cohérent ?
Le tournage a été comme un processus de révélation du passé, de mes souvenirs. Et j'avais le sentiment étrange de me sentir moins confus face au passé que face au présent. Mes souvenirs m'ont guidé avec une grande clarté tout au long du tournage.
Vous avez déclaré que l'évolution de la Chine a commencé à se faire vraiment ressentir le jour où les gens ont préféré les chansons taïwanaises de Teresa Teng aux traditionnelles chansons propagandistes...
Avant l'introduction des chansons populaires de Taïwan en Chine, on vivait dans une culture assez puritaine. Il n'était pas question de pluralisme culturel. L'arrivée d'une culture populaire a évoqué pour nous des choses plus intimes, plus personnelles, plus sentimentales. Les gens plus âgés pensaient que c'était assez indécent. Mais pour nous, c'était véritablement la première fois qu'on sentait quelque chose échappant au collectivisme communiste.
On sent que dans le film, l'évolution passe aussi par les deux personnages de leaders de la troupe...
Le premier leader de la troupe représente l'autorité du régime. Au départ, la troupe est une troupe propagandiste, subventionnée par l'état. Après l'ouverture de la Chine, la troupe se transforme en troupe ambulante autofinancée. Le deuxième leader appartient à une nouvelle "race", à l'économie privée, libérale, mais en même temps il est encore très lié au régime, à mi-chemin du passé et de l'avenir, dans cette période de transition qui voit l'économie planifiée passer à une économie de type capitaliste.
Régnait-il une atmosphère de troupe sur le tournage ?
J'adopte sur le tournage des méthodes de travail qui favorisent la communication. C'est vrai qu'on se sent comme une famille, d'autant plus que l'équipe est composée de gens que je connais bien. Les acteurs et les actrices sont des amis proches. Donc nous travaillons dans une atmosphère familiale, nous avons de fortes affinités dans la création. Je crois que dans le cinéma il est important de croire aux valeurs d'un projet, et de s'y investir vraiment. Le Quai est une production plus importante que Pickpocket, nous avons eu plus de moyens, le projet impliquait plus de gens, mais le film reste très différent de ceux qui sont faits dans le réseau commercial, le producteur m'a donné beaucoup de liberté. Sur le tournage, j'ai pu utiliser pour la première fois un moniteur vidéo. Avant, je m'en remettais entièrement au cadreur. Toutes ces conditions de travail me permettent d'improviser pendant le tournage, c'est un processus d'écriture continue.
Monsieur Yu Lik Wai, on a vraiment la sensation en voyant Platform que la lumière fait partie intégrante du film...
Yu Lik Wai : C'est vrai. Il s'agit d'une lumière à la fois réaliste mais aussi très expressive. Quand une couleur, une lumière pouvait apporter quelque chose à la narration, nous n'hésitions pas à l'utiliser.
Chaque "époque" requérait-elle une lumière adaptée, particulière ?
Au départ, il y a une continuité, mais on a effectivement essayé d'exprimer la couleur, la lumière de chaque époque, sans qu'on puisse sentir l'artifice. Je joue beaucoup sur la lumière artificielle, avec des ampoules, des néons. A la fin du film, il y a beaucoup de néons; au début du film, les ampoules ont des tons plus chauds, mais il y a aussi un côté verdâtre, sale; dans les années 80/90, les tons sont plus froids, c'est une lumière plus monotone.
Qu'appréciez vous chez Jia Zhang-Ke ?
C'est quelqu'un qui aime beaucoup l'improvisation, alors quand je travaille avec lui c'est un peu la folie, car il demande toujours des choses impossibles qu'on n'a pas préparées, par exemple il va tourner dans un restaurant qu'on n'a jamais repéré, et en l'espace d'une demi-heure il faut tout préparer. Donc c'est toujours un défi, et ça m'intéresse de travailler avec ce défi. Aussi, nous avons de fortes affinités l'un avec l'autre, nous partageons le même sens de l'esthétique, surtout dans le sens de l'occupation physique de l'acteur dans le plan, de l'expression d'une émotion à travers l'acteur et l'espace, et Jia Zhang Ke a beaucoup de talent dans ce domaine.
Jia Zhang-Ke, qu'appréciez-vous le plus chez Yu Lik Wai?
Jia Zhang-Ke : Ce que j'apprécie le plus chez Yu Lik Wai, c'est que je sens une émotion derrière la caméra, c'est quelqu'un qui regarde, qui organise, mais qui respire, qui est affecté par les émotions du film. Et ce qui est vraiment fondamental, c'est qu'on partage la même esthétique dans la création cinématographique.
Existe-t-il actuellement en Chine une association de réalisateurs pouvant influer sur la situation culturelle ?
Oui, il existe une association de réalisateurs, mais elle ne se réunit que deux fois par an, donc je crois qu'il y a à cet égard un manque évident de communication, de dialogue et de réponses vives à l'actualité. Un autre problème, c'est que pour être emembre de cette association, il faut avoir fait au moins deux films montrés dans les salles en Chine, alors des réalisateurs comme moi dont les films ne sont jamais montrés en Chine, ne peuvent faire partie de cette association.
Platform a t-il rencontré des problèmes avec la censure ?
Mon premier film, Pickpocket, était un film souterrain, clandestin, nous n'avions pu passer la pré-censure qui juge des scénarios. Donc j'avais fait Pickpocket clandestinement, et j'ai été puni, on m'a interdit de tourner un deuxième film. Mais j'ai quand même fait des efforts pour que cette punition soit négociée. Pendant deux ans j'ai négocié avec les autorités l'autorisation de pouvoir faire un deuxième film. Mais ces négociations ont échoué. L'attente devenant très pénible, j'ai cherché des solutions du côté de la coproduction. Platform est ainsi une coproduction nippo-sino-française. La compagnie japonaise T-Mark, qui relève d'Office Kitano, a apporté la moitié du budget. Voilà pourquoi Masayuki Mori est crédité au générique comme producteur exécutif.
La Fondation Montecinemaverita a-t-elle contribué au financement du film?
Oui, nous avons reçu une somme d'argent pour la postproduction.
Comment les autorités se comportent-elles vis à vis des coproductions ?
Les coproductions rencontrent encore plus de problèmes, car l'Etat pense qu'elles peuvent échapper à son contrôle, sortir plus facilement du pays et voyager dans les festivals (ce qui est souvent le cas! NDR), alors il n'aime pas du tout ça.
Que vous permettent les festivals ?
Grâce aux festivals, je peux présenter mes films à un public assez large. Je ne réalise pas des films uniquement pour une audience chinoise, ils sont pour tout le monde. A la base, c'est vrai que le vécu qu'ils transmettent est très personnel et très chinois, mais je crois que ce vécu a tout de même des résonances universelles et qu'il peut ainsi être partagé par tout le monde.
Comment avez-vous vécu les années postérieures aux évènements de Tien An Men ?
Après Tien An Men, il y a eu une grande période de doute, nos convictions, nos utopies révolutionnaires, nos espoirs de changer le monde étaient atteints. Cependant, les années passant, les gens ont commencé à manifester de plus en plus clairement leur désir de sortir de la cadence communiste, de vivre d'une autre façon.
La fin de Platform est plutôt pessimiste...
Je ne le pense pas. Chez les Chinois, il y a une valeur qui est assez importante : l'endurance. Moins que d'espoir, nous parlons d'endurance.
Adhérez-vous à cette valeur ?
Oui, c'est la réalité des choses. J'ai du l'accepter et apprendre à vivre avec un sentiment d'attente...
Entretien avec Robin Gatto, 21 - 28 novembre 2000, trouvé ici.
Jia Zhang-Ke : Au départ, je n'ai pas trop pensé à la durée du film, mais comme la production m'a autorisé une grande liberté de tournage, le produit fini est tout simplement comme ça. Je ne sais pas si la durée se justifie vraiment pour raconter une histoire de dix ans, mais il me semblait nécessaire d'avoir une durée permettant d'exprimer la coexistence du temps et de l'espace.
A quel point ce film est-il autobiographique ?
Je ne m'identifie pas à un personnage précis, mais chaque personnage m'est proche, toutes les situations, tous ces destins, je les ai vécus. Par exemple, j'ai vécu exactement la même passion pour le train, le voyage. Mon premier voyage est un évènement que j'ai gardé précieusement dans ma mémoire.
Comment organise-t-on ses souvenirs en un scénario cohérent ?
Le tournage a été comme un processus de révélation du passé, de mes souvenirs. Et j'avais le sentiment étrange de me sentir moins confus face au passé que face au présent. Mes souvenirs m'ont guidé avec une grande clarté tout au long du tournage.
Vous avez déclaré que l'évolution de la Chine a commencé à se faire vraiment ressentir le jour où les gens ont préféré les chansons taïwanaises de Teresa Teng aux traditionnelles chansons propagandistes...
Avant l'introduction des chansons populaires de Taïwan en Chine, on vivait dans une culture assez puritaine. Il n'était pas question de pluralisme culturel. L'arrivée d'une culture populaire a évoqué pour nous des choses plus intimes, plus personnelles, plus sentimentales. Les gens plus âgés pensaient que c'était assez indécent. Mais pour nous, c'était véritablement la première fois qu'on sentait quelque chose échappant au collectivisme communiste.
On sent que dans le film, l'évolution passe aussi par les deux personnages de leaders de la troupe...
Le premier leader de la troupe représente l'autorité du régime. Au départ, la troupe est une troupe propagandiste, subventionnée par l'état. Après l'ouverture de la Chine, la troupe se transforme en troupe ambulante autofinancée. Le deuxième leader appartient à une nouvelle "race", à l'économie privée, libérale, mais en même temps il est encore très lié au régime, à mi-chemin du passé et de l'avenir, dans cette période de transition qui voit l'économie planifiée passer à une économie de type capitaliste.
Régnait-il une atmosphère de troupe sur le tournage ?
J'adopte sur le tournage des méthodes de travail qui favorisent la communication. C'est vrai qu'on se sent comme une famille, d'autant plus que l'équipe est composée de gens que je connais bien. Les acteurs et les actrices sont des amis proches. Donc nous travaillons dans une atmosphère familiale, nous avons de fortes affinités dans la création. Je crois que dans le cinéma il est important de croire aux valeurs d'un projet, et de s'y investir vraiment. Le Quai est une production plus importante que Pickpocket, nous avons eu plus de moyens, le projet impliquait plus de gens, mais le film reste très différent de ceux qui sont faits dans le réseau commercial, le producteur m'a donné beaucoup de liberté. Sur le tournage, j'ai pu utiliser pour la première fois un moniteur vidéo. Avant, je m'en remettais entièrement au cadreur. Toutes ces conditions de travail me permettent d'improviser pendant le tournage, c'est un processus d'écriture continue.
Monsieur Yu Lik Wai, on a vraiment la sensation en voyant Platform que la lumière fait partie intégrante du film...
Yu Lik Wai : C'est vrai. Il s'agit d'une lumière à la fois réaliste mais aussi très expressive. Quand une couleur, une lumière pouvait apporter quelque chose à la narration, nous n'hésitions pas à l'utiliser.
Chaque "époque" requérait-elle une lumière adaptée, particulière ?
Au départ, il y a une continuité, mais on a effectivement essayé d'exprimer la couleur, la lumière de chaque époque, sans qu'on puisse sentir l'artifice. Je joue beaucoup sur la lumière artificielle, avec des ampoules, des néons. A la fin du film, il y a beaucoup de néons; au début du film, les ampoules ont des tons plus chauds, mais il y a aussi un côté verdâtre, sale; dans les années 80/90, les tons sont plus froids, c'est une lumière plus monotone.
Qu'appréciez vous chez Jia Zhang-Ke ?
C'est quelqu'un qui aime beaucoup l'improvisation, alors quand je travaille avec lui c'est un peu la folie, car il demande toujours des choses impossibles qu'on n'a pas préparées, par exemple il va tourner dans un restaurant qu'on n'a jamais repéré, et en l'espace d'une demi-heure il faut tout préparer. Donc c'est toujours un défi, et ça m'intéresse de travailler avec ce défi. Aussi, nous avons de fortes affinités l'un avec l'autre, nous partageons le même sens de l'esthétique, surtout dans le sens de l'occupation physique de l'acteur dans le plan, de l'expression d'une émotion à travers l'acteur et l'espace, et Jia Zhang Ke a beaucoup de talent dans ce domaine.
Jia Zhang-Ke, qu'appréciez-vous le plus chez Yu Lik Wai?
Jia Zhang-Ke : Ce que j'apprécie le plus chez Yu Lik Wai, c'est que je sens une émotion derrière la caméra, c'est quelqu'un qui regarde, qui organise, mais qui respire, qui est affecté par les émotions du film. Et ce qui est vraiment fondamental, c'est qu'on partage la même esthétique dans la création cinématographique.
Existe-t-il actuellement en Chine une association de réalisateurs pouvant influer sur la situation culturelle ?
Oui, il existe une association de réalisateurs, mais elle ne se réunit que deux fois par an, donc je crois qu'il y a à cet égard un manque évident de communication, de dialogue et de réponses vives à l'actualité. Un autre problème, c'est que pour être emembre de cette association, il faut avoir fait au moins deux films montrés dans les salles en Chine, alors des réalisateurs comme moi dont les films ne sont jamais montrés en Chine, ne peuvent faire partie de cette association.
Platform a t-il rencontré des problèmes avec la censure ?
Mon premier film, Pickpocket, était un film souterrain, clandestin, nous n'avions pu passer la pré-censure qui juge des scénarios. Donc j'avais fait Pickpocket clandestinement, et j'ai été puni, on m'a interdit de tourner un deuxième film. Mais j'ai quand même fait des efforts pour que cette punition soit négociée. Pendant deux ans j'ai négocié avec les autorités l'autorisation de pouvoir faire un deuxième film. Mais ces négociations ont échoué. L'attente devenant très pénible, j'ai cherché des solutions du côté de la coproduction. Platform est ainsi une coproduction nippo-sino-française. La compagnie japonaise T-Mark, qui relève d'Office Kitano, a apporté la moitié du budget. Voilà pourquoi Masayuki Mori est crédité au générique comme producteur exécutif.
La Fondation Montecinemaverita a-t-elle contribué au financement du film?
Oui, nous avons reçu une somme d'argent pour la postproduction.
Comment les autorités se comportent-elles vis à vis des coproductions ?
Les coproductions rencontrent encore plus de problèmes, car l'Etat pense qu'elles peuvent échapper à son contrôle, sortir plus facilement du pays et voyager dans les festivals (ce qui est souvent le cas! NDR), alors il n'aime pas du tout ça.
Que vous permettent les festivals ?
Grâce aux festivals, je peux présenter mes films à un public assez large. Je ne réalise pas des films uniquement pour une audience chinoise, ils sont pour tout le monde. A la base, c'est vrai que le vécu qu'ils transmettent est très personnel et très chinois, mais je crois que ce vécu a tout de même des résonances universelles et qu'il peut ainsi être partagé par tout le monde.
Comment avez-vous vécu les années postérieures aux évènements de Tien An Men ?
Après Tien An Men, il y a eu une grande période de doute, nos convictions, nos utopies révolutionnaires, nos espoirs de changer le monde étaient atteints. Cependant, les années passant, les gens ont commencé à manifester de plus en plus clairement leur désir de sortir de la cadence communiste, de vivre d'une autre façon.
La fin de Platform est plutôt pessimiste...
Je ne le pense pas. Chez les Chinois, il y a une valeur qui est assez importante : l'endurance. Moins que d'espoir, nous parlons d'endurance.
Adhérez-vous à cette valeur ?
Oui, c'est la réalité des choses. J'ai du l'accepter et apprendre à vivre avec un sentiment d'attente...
Entretien avec Robin Gatto, 21 - 28 novembre 2000, trouvé ici.
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