mercredi 30 avril 2014

Takashi Homma ホンマタカシ

Neon Magazine : Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Takashi Homma : Je suis un photographe qui s’intéresse à l’art contemporain et à la photographie. En fait, au Japon, la plupart des gens pensent que la photographie est juste de la photographie, que ce n’est pas un art contemporain. Mais je dirais que la photographie est en rapport avec l’art contemporain. C’est pour cette raison que je fais des expositions dans des musées d’art contemporain.

NM : Vous voulez dire que vous ne voudriez pas exposer au musée de la photographie à Ebisu par exemple ?
TH : Oui, en fait, il y a plusieurs années, ils m’ont contacté mais j’ai refusé pour cette raison précise. Le musée de la photographie d’Ebisu n’est pas un musée d’art contemporain. Dans quelques temps, je n’exclus pas la possibilité d’exposer là-bas mais d’abord, pour une grande exposition comme celle-ci, je tiens à le faire dans un musée d’art contemporain. Comme à Kanazawa au musée du XXIe siècle où cette rétrospective a commencé.


NM : Comment définissez-vous votre travail ?
TH : Avec cette exposition, j’avais la possibilité de montrer tout mon travail mais je n’ai pas souhaité cela. J’ai voulu montrer mes travaux récents, mes travaux en cours. En fait, l’idée de faire une rétrospective qui montre tout ne m’intéresse pas en soi. Donc j’ai décidé de changer le concept de cette exposition avec mes travaux en cours. C’est ce qu’on peut voir réparti ici dans les différentes pièces.


NM : Selon vous, quelle est la constante dans votre travail ?
TH : Les gens me disent souvent que ce que je fais est très disparate, que mes travaux sont très disparates. Mais pour moi, il n’y a pas de différence. Je choisis toujours le concept et le sujet n’est pas si important. Je recherche une façon de prendre des photos, une façon de faire en tant que photographe. Ici, j’ai mis New Documentary (NDLR : titre de l’exposition) parce que les gens pensent au documentaire comme une partie intégrante du journalisme, comme dans les reportages photo des magazines par exemple. Pour moi, ce n’est vraiment qu’un aspect… je réfléchis à d’autres façons, des chemins alternatifs parce que je pense qu’il y a beaucoup de manières d’approcher un thème ou un fait de société. Je veux ainsi proposer plusieurs chemins pour voir un documentaire. Par exemple, avec Tokyo and my daughter, j’ai fait un album photo. L’album photo de famille est un type de documentaire très important. Surtout avec le séisme du 11 mars, beaucoup de gens ont perdu leur famille et l’album de famille est un devenu un objet précieux pour eux quand ils le regardent. C’est un souvenir, une chose très importante et la photographie leur rappelle ce qui est perdu par exemple.


NM : Votre travail est-il objectif alors ?
TH : Les gens font ce qu’ils veulent de mes photos. Je propose une façon de voir ce qui m’entoure mais l’audience est libre de le voir comme elle le veut. Pour moi, un bon travail ou une bonne photo se trouve dans la combinaison de toutes les façons avec lesquelles on peut la regarder. Par exemple dans Trails (NDLR : son dernier travail), les gens voient ce qui apparait devant leurs yeux comme bon leur semble. « Oh, c’est du sang de cerf » pour l’un ou « Tiens des taches de peinture ! » pour l’autre et ça c’est ok. Justement, tout à l’heure, une femme qui m’interviewait me demandait : « Mais comment vous avez fait pour mettre du sang à cet endroit ? » (rires) Mais je trouve ça super, ça me fait plaisir. Une personne va voir du sang, une autre de la peinture ou autre chose et c’est ce que je veux !
À l’opposé, le documentaire photographique typique ne propose qu’une lecture : « Oh, regardez cet enfant qui meurt de faim ! » ou quelque chose comme cela. C’est très triste parce qu’il y a plein de possibilités dans chaque photo et que c’est ainsi qu’il faut les montrer.


NM : Vous demandez donc aux gens d’apporter leurs histoires dans votre travail ?
TH : Tout à fait. J’aime beaucoup le mélange et les allers-retours entre la fiction et la réalité. C’est vraiment ce que j’aime, ce qui me plaît.


NM : Que dites-vous à quelqu’un qui vous dit qu’il n’aime pas ou ne comprend pas votre travail ?
TH : Je dirais… Mais vous savez, il y a tellement de types de gens… mais je me moque de ce que tout le monde peut penser.


NM : Quelle œuvre vous a le plus influencé ?
TH : Pas mal de choses… je dirais… les artistes contemporains qui utilisent la photographie mais pas les photographes qui font de la photographie. Comme Ed Ruscha ou Richard Prince.


NM : Qu’avez-vous acquis lors de votre deux années à Londres ?
TH : C’était au début de la trentaine. Je me cherchais à cette époque-là. Mon expérience principale là-bas est « l’individualité ». En fait, les Japonais sont très polis, gentils, aimables mais tout le monde regarde ou pense de la même façon. Je suis moi-même japonais mais déjà quand j’étais enfant, je trouvais ça lourd, difficile à porter. À Londres, l’individualité m’a beaucoup influencé, non pas comme une façon d’aller dans une autre direction mais plutôt de ne pas copier les autres. Pour moi, aller à Londres n’était pas seulement partir mais plutôt de devenir original ! Quand on part, on doit expliquer pourquoi, les gens ne comprennent pas et face à cela, j’ai fini par me dire que j’avais peut-être tort. Or, après Londres, j’ai su que j’avais eu raison de partir car j’avais pu me prouver quelque chose, trouver mon chemin. C’est une expérience très importante et très positive pour moi.


NM : Vous seriez prêt à repartir vivre à l’étranger ?
TH : Non… je suis trop vieux pour ça. (rires) Voyager me convient. De plus à Londres, au départ, je travaillais pour moi-même. Je photographiais la communauté gay, des soirées clubbing, des transsexuels… je faisais des portraits. Et un jour, j’ai montré mon travail au directeur artistique du magazine i-D (NDLR : Takashi Homma y a travaillé pendant son séjour) et il m’a félicité sur mon travail. Mais il ne comprenait pas pourquoi moi, un japonais hétéro, j’allais photographier des gays anglais. (rires) À l’époque, je me suis dit que je devais trouver ma personnalité photographique, ma marque. Ça a été un déclic. Et c’est après cette expérience que j’ai pu commencer Tokyo suburbia. Même si je peux voyager un peu partout car j’ai des amis un peu partout, maintenant je veux travailler sur Tokyo.


NM : Tokyo, amour de ma vie ?
TH : (rires) Non mais Tokyo est super stressante… mais je l’adore. C’est une vraie relation d’amour et de haine, moitié-moitié. Mais c’est cela aussi que j’ai compris quand je vais quelque part. Il y a du positif et du négatif. C’est aussi pour cela que je souhaite travailler sur ma ville.


NM : Pour prendre des gens en photo ?
TH : Je continue à prendre des gens en photo, des jeunes. Vous ne le savez peut-être pas mais en décembre dernier, j’étais éditeur en chef du magazine Coyote qui est spécialisé dans les portraits. Je continue ma recherche sur différents types de portraits. Par exemple, dans ce magazine, j’ai fait une quinzaine de pages du portrait de la même jeune fille de dix ans dans sa vie de tous les jours.


NM : Merci pour cet interview aujourd’hui. Une dernière petite question : quel adjectif choisiriez-vous pour qualifier votre travail ?
TH : « Superflat » créé par Murakami est intéressant et c’est d’ailleurs assez évident pour le Japon où tout est « superflat » comme avec les estampes par exemple. Mais en même temps, je n’ai pas vraiment de qualificatif pour mon travail.


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