Antoine Watteau, Pierrot content
lundi 2 mars 2009
Ermenonville
Les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement de la terre. Rien n'est si triste que l'aspect d'une campagne nue et pelée qui n'étale aux yeux que des pierres, du limon et des sables. Mais vivifiée par la nature et revêtue de sa robe de noces au milieu du cours des eaux et du chant des oiseaux, la terre offre à l'homme dans l'harmonie des trois règnes un spectacle plein de vie, d'intérêt et de charmes, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son coeur ne se lassent jamais.
Plus un contemplateur a l'âme sensible, plus il se livre aux extases qu'excite en lui cet accord. Une rêverie douce et profonde s'empare alors de ses sens, et il se perd avec une délicieuse ivresse dans l'immensité de ce beau système avec lequel il se sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent, il ne voit et ne sent rien que dans le tout. Il faut que quelque circonstance particulière resserre ses idées et circonscrive son imagination pour qu'il puisse observer par partie cet univers qu'il s'efforçait d'embrasser.
C'est ce qui m'arriva naturellement quand mon coeur resserré par la détresse rapprochait et concentrait tous ses mouvements autour de lui pour conserver ce reste de chaleur prêt à s'évaporer et s'éteindre dans l'abattement où je tombais par degré. J'errais nonchalamment dans les bois et dans les montagnes, n'osant penser de peur d'attiser mes douleurs. Mon imagination qui se refuse aux objets de peine laissait mes sens se livrer aux impressions légères mais douces des objets environnants. Mes yeux se promenaient sans cesse de l'un à l'autre, et il n'était pas possible que dans une variété si grande il ne s'en trouvât qui les fixaient davantage et les arrêtaient plus longtemps.
Je pris goût à cette récréation des yeux, qui dans l'infortune repose, amuse, distrait l'esprit et suspend le sentiment des peines. La nature des objets aide beaucoup à cette diversion et la rend plus séduisante. Les odeurs suaves, les vives couleurs, les plus élégantes formes semblent se disputer à l'envi le droit de fixer notre attention. Il ne faut qu'aimer le plaisir pour se livrer à des sensations si douces, et si cet effet n'a pas lieu sur tous ceux qui en sont frappés, c'est dans les uns faute de sensibilité naturelle et dans la plupart que leur esprit trop occupé d'autres idées ne se livre qu'à la dérobée aux objets qui frappent leurs sens.
Jean Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire.
Plus un contemplateur a l'âme sensible, plus il se livre aux extases qu'excite en lui cet accord. Une rêverie douce et profonde s'empare alors de ses sens, et il se perd avec une délicieuse ivresse dans l'immensité de ce beau système avec lequel il se sent identifié. Alors tous les objets particuliers lui échappent, il ne voit et ne sent rien que dans le tout. Il faut que quelque circonstance particulière resserre ses idées et circonscrive son imagination pour qu'il puisse observer par partie cet univers qu'il s'efforçait d'embrasser.
C'est ce qui m'arriva naturellement quand mon coeur resserré par la détresse rapprochait et concentrait tous ses mouvements autour de lui pour conserver ce reste de chaleur prêt à s'évaporer et s'éteindre dans l'abattement où je tombais par degré. J'errais nonchalamment dans les bois et dans les montagnes, n'osant penser de peur d'attiser mes douleurs. Mon imagination qui se refuse aux objets de peine laissait mes sens se livrer aux impressions légères mais douces des objets environnants. Mes yeux se promenaient sans cesse de l'un à l'autre, et il n'était pas possible que dans une variété si grande il ne s'en trouvât qui les fixaient davantage et les arrêtaient plus longtemps.
Je pris goût à cette récréation des yeux, qui dans l'infortune repose, amuse, distrait l'esprit et suspend le sentiment des peines. La nature des objets aide beaucoup à cette diversion et la rend plus séduisante. Les odeurs suaves, les vives couleurs, les plus élégantes formes semblent se disputer à l'envi le droit de fixer notre attention. Il ne faut qu'aimer le plaisir pour se livrer à des sensations si douces, et si cet effet n'a pas lieu sur tous ceux qui en sont frappés, c'est dans les uns faute de sensibilité naturelle et dans la plupart que leur esprit trop occupé d'autres idées ne se livre qu'à la dérobée aux objets qui frappent leurs sens.
Jean Jacques Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire.
dimanche 1 mars 2009
李嘉欣 Michelle Reis
Tsui Hark est à la fois un cinéaste novateur et une personne attachée aux figures traditionnelles du cinéma chinois. J'ai dû apprendre les arts martiaux pour ses films, car il yavait beaucoup de scènes d'action, de bagarres qui demandaient de la technique. Pendant trois ou quatre mois, on m'a enseigné les bonnes positions, les gestes ancestraux qui ont fait la beauté du cinéma classique. Avec Tsui, j'ai aussi découvert qu'une actrice de Hong Kong était sujette à tortures, déformations, cruauté... Je me souviens avoir dû sauter dans un bassin glacé, ou rester suspendue à un toit, être obligée de faire toutes les cascades moi-même.
Chez Hou Hsiao-Hsien, un espace, le cadre, est offert aux acteurs, qui peuvent en faire ce que bon leur semble, comme dans la vie, à partir du moment où ils respectent une certaine généalogie de gestes - ici, par exemple, une manière de fumer la pipe comme autrefois. Nul besoin de faire coïncider tel dialogue avec telle marque au sol, puisque HHH n'en utilise pas. Il donne quelques instructions, puis filme ce qu'il nomme des répétitions... Parfois au contraire, il a besoin de quinze ou vingt prises, de voir les acteurs fatigués, moins alertes. Il estime alors que le souffle de la vie est plus prégnant. Sa recherche, et la nôtre avec lui, est celle des comportements les plus naturels. Je me souviens qu'une fois habillée et maquillée, je me rendais sur le plateau et n'avais qu'à sentir l'atmosphère créée par le cinéaste venir à moi, à m'en pénétrer. Le Shanghaï rêvé des maisons closes du XIX° siècle était là. Tout était reconstitué avec une telle précision que l'âme et l'attitude des hommes et des femmes qui évoluaient dans ces milieux à cette époque semblaient flotter sur le plateau.
Cahiers du cinéma, numéro hors série Made in China.
Chez Hou Hsiao-Hsien, un espace, le cadre, est offert aux acteurs, qui peuvent en faire ce que bon leur semble, comme dans la vie, à partir du moment où ils respectent une certaine généalogie de gestes - ici, par exemple, une manière de fumer la pipe comme autrefois. Nul besoin de faire coïncider tel dialogue avec telle marque au sol, puisque HHH n'en utilise pas. Il donne quelques instructions, puis filme ce qu'il nomme des répétitions... Parfois au contraire, il a besoin de quinze ou vingt prises, de voir les acteurs fatigués, moins alertes. Il estime alors que le souffle de la vie est plus prégnant. Sa recherche, et la nôtre avec lui, est celle des comportements les plus naturels. Je me souviens qu'une fois habillée et maquillée, je me rendais sur le plateau et n'avais qu'à sentir l'atmosphère créée par le cinéaste venir à moi, à m'en pénétrer. Le Shanghaï rêvé des maisons closes du XIX° siècle était là. Tout était reconstitué avec une telle précision que l'âme et l'attitude des hommes et des femmes qui évoluaient dans ces milieux à cette époque semblaient flotter sur le plateau.
Cahiers du cinéma, numéro hors série Made in China.
Edith Scob
Elle donne deux clés : la famille et l’anorexie. Fille d’un architecte d’origine russe dont le père, un général blanc, a immigré à la chute du tsar, et d’une mère qui renonce au journalisme pour s’occuper du foyer, Edith Helena Vladimirovna Scobeltzine a grandi dans le protestantisme qu’incarnait son grand-père maternel. Industriel du ver à soie, ce Cévenol se doublait d’un pasteur à la fibre sociale. Il fut précurseur des grandes vacances accordées aux ouvriers, cacha des Juifs pendant la guerre, intervint dans les prisons. Admiration de sa petite-fille, très croyante jusqu’à 14 ans. «Soudain, je ne suis plus arrivée à croire.» Un an plus tard, elle passe trois semaines en maison de repos pour anorexie. Sa vie sera «chaotique» jusqu’à 22 ans : «La psychanalyse m’a sauvé la vie.»Il est question d’un biotope-camisole, «très, très rigide, où il fallait rester entre soi, entre protestants et gens de même classe». 22 ans, c’est aussi l’âge auquel elle tourne les Yeux sans visage, alors qu’étudiante en lettres et apprentie comédienne. Le spectacle, c’est sa «petite révolte» vis-à-vis de la doxa familiale. Son frère aîné taille, lui, la route à vélo : Michel Scob devient notamment champion de France du demi-fond en 1970 (le cadet, André, se fait architecte). La rencontre avec Aperghis le Grec a aussi contribué à l’affranchissement, découverte d’«une autre culture, d’une autre façon d’être avec les autres, bien plus ouverte que les protestants».
Alors bon, il faut faire avec la culpabilité. «Je me vois comme un monstre d’égoïsme», dit Edith Scob, qui parle avec admiration de l’altruisme de sa mère, au sein de la Cimade, notamment : «Elle a commencé pendant la guerre d’Algérie, elle a ensuite été de tous les combats. Elle ne supportait pas l’injustice, était d’une grande écoute et d’une grande générosité.» Edith, elle, a essayé d’être instit : «J’ai tenu six mois.» Un temps encartée au PCF, elle minimise son engagement ; Mai 68, MLF, statut des intermittents : «J’ai tendance à suivre plus qu’autre chose.» Sur sa carrière : «J’ai toujours attendu qu’on vienne me chercher, je ne suis pas du genre à initier un projet ou à trouver un metteur en scène.» Vendredi, le soir des césars, elle sera au théâtre : à la fois dedans et dehors, présente et absente.
Reste que tout ça est dit comme un constat plus qu’un regret. Et quand Edith Scob parle de Virginia Woolf, dont elle va incessamment reprendre Une Chambre à soi en monologue, il y a de l’autoportrait dans l’air : «J’aime entre autres sa façon d’accepter ses errances, et sa liberté : elle est dans un entre-deux, elle met au jour une possibilité de ne pas être dans un moule, de ne pas être mouton.» Edith Scob a trouvé et accepté sa place. A part. Ailleurs.
Extrait de L'art de l'éclipse, portrait d'edith scob écrit par Sabrina Champenois, publié par Libération le 24 février 2009 et qu'on peut lire ici dans son intégralité.
Alors bon, il faut faire avec la culpabilité. «Je me vois comme un monstre d’égoïsme», dit Edith Scob, qui parle avec admiration de l’altruisme de sa mère, au sein de la Cimade, notamment : «Elle a commencé pendant la guerre d’Algérie, elle a ensuite été de tous les combats. Elle ne supportait pas l’injustice, était d’une grande écoute et d’une grande générosité.» Edith, elle, a essayé d’être instit : «J’ai tenu six mois.» Un temps encartée au PCF, elle minimise son engagement ; Mai 68, MLF, statut des intermittents : «J’ai tendance à suivre plus qu’autre chose.» Sur sa carrière : «J’ai toujours attendu qu’on vienne me chercher, je ne suis pas du genre à initier un projet ou à trouver un metteur en scène.» Vendredi, le soir des césars, elle sera au théâtre : à la fois dedans et dehors, présente et absente.
Reste que tout ça est dit comme un constat plus qu’un regret. Et quand Edith Scob parle de Virginia Woolf, dont elle va incessamment reprendre Une Chambre à soi en monologue, il y a de l’autoportrait dans l’air : «J’aime entre autres sa façon d’accepter ses errances, et sa liberté : elle est dans un entre-deux, elle met au jour une possibilité de ne pas être dans un moule, de ne pas être mouton.» Edith Scob a trouvé et accepté sa place. A part. Ailleurs.
Extrait de L'art de l'éclipse, portrait d'edith scob écrit par Sabrina Champenois, publié par Libération le 24 février 2009 et qu'on peut lire ici dans son intégralité.
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