Elle donne deux clés : la famille et l’anorexie. Fille d’un architecte d’origine russe dont le père, un général blanc, a immigré à la chute du tsar, et d’une mère qui renonce au journalisme pour s’occuper du foyer, Edith Helena Vladimirovna Scobeltzine a grandi dans le protestantisme qu’incarnait son grand-père maternel. Industriel du ver à soie, ce Cévenol se doublait d’un pasteur à la fibre sociale. Il fut précurseur des grandes vacances accordées aux ouvriers, cacha des Juifs pendant la guerre, intervint dans les prisons. Admiration de sa petite-fille, très croyante jusqu’à 14 ans. «Soudain, je ne suis plus arrivée à croire.» Un an plus tard, elle passe trois semaines en maison de repos pour anorexie. Sa vie sera «chaotique» jusqu’à 22 ans : «La psychanalyse m’a sauvé la vie.»Il est question d’un biotope-camisole, «très, très rigide, où il fallait rester entre soi, entre protestants et gens de même classe». 22 ans, c’est aussi l’âge auquel elle tourne les Yeux sans visage, alors qu’étudiante en lettres et apprentie comédienne. Le spectacle, c’est sa «petite révolte» vis-à-vis de la doxa familiale. Son frère aîné taille, lui, la route à vélo : Michel Scob devient notamment champion de France du demi-fond en 1970 (le cadet, André, se fait architecte). La rencontre avec Aperghis le Grec a aussi contribué à l’affranchissement, découverte d’«une autre culture, d’une autre façon d’être avec les autres, bien plus ouverte que les protestants».
Alors bon, il faut faire avec la culpabilité. «Je me vois comme un monstre d’égoïsme», dit Edith Scob, qui parle avec admiration de l’altruisme de sa mère, au sein de la Cimade, notamment : «Elle a commencé pendant la guerre d’Algérie, elle a ensuite été de tous les combats. Elle ne supportait pas l’injustice, était d’une grande écoute et d’une grande générosité.» Edith, elle, a essayé d’être instit : «J’ai tenu six mois.» Un temps encartée au PCF, elle minimise son engagement ; Mai 68, MLF, statut des intermittents : «J’ai tendance à suivre plus qu’autre chose.» Sur sa carrière : «J’ai toujours attendu qu’on vienne me chercher, je ne suis pas du genre à initier un projet ou à trouver un metteur en scène.» Vendredi, le soir des césars, elle sera au théâtre : à la fois dedans et dehors, présente et absente.
Reste que tout ça est dit comme un constat plus qu’un regret. Et quand Edith Scob parle de Virginia Woolf, dont elle va incessamment reprendre Une Chambre à soi en monologue, il y a de l’autoportrait dans l’air : «J’aime entre autres sa façon d’accepter ses errances, et sa liberté : elle est dans un entre-deux, elle met au jour une possibilité de ne pas être dans un moule, de ne pas être mouton.» Edith Scob a trouvé et accepté sa place. A part. Ailleurs.
Extrait de L'art de l'éclipse, portrait d'edith scob écrit par Sabrina Champenois, publié par Libération le 24 février 2009 et qu'on peut lire ici dans son intégralité.