lundi 1 novembre 2010

Benjamin Lazar

ODB-Opéra : Vous considérez-vous comme un des pionniers dans le domaine de la musique, du théâtre baroque ?

L’histoire de la musique baroque est compliquée. Il y a effectivement émergence dans les années 1970-1980 de gens qui se font construire les instruments, qui commencent à les apprivoiser, à lire les traités d’époque. En fait, je pense qu’il y a eu toute une histoire de l’intérêt pour cette musique qui n’a jamais complètement faibli. Au niveau du grand public c’est arrivé dans les années 1980, mais la notion en elle-même apparaît dans ces années-là. Il y a eu un intérêt constant pour cette musique. Il y a toujours eu des clavecins. On a joué du Monteverdi, il y a eu des reconstitutions d’opéra.

J’ai rencontré Eugène Green à la fin des années 80 quand j’avais 12 ans. Son intérêt pour le théâtre baroque a été motivé par son intérêt pour le théâtre oriental et l’idée qu’on pouvait trouver un équivalent, s’interroger sur les techniques de l’acteur au 17e siècle. Et puis aussi parce qu’il voyait bien la mouvance de la musique baroque, et que il y avait là un terrain de recherche possible et équivalent à trouver dans le théâtre.
Moi, j’y suis rentré d’abord par goût, par plaisir physique de jeu et plaisir intellectuel de la découverte de ces auteurs, d’une façon charnelle aussi parce que la gestuelle, la déclamation c’est d’abord un instrument de musique.

La rencontre avec Green à 12 ans semble une expérience fondatrice : qu’est-ce qui se passait pendant ces cours ?

Il nous exposait le théâtre comme il l’exposait à des acteurs professionnels même s’il était moins exigeant sur le résultat. Il expliquait le contexte, l’esthétique par l’observation de tableau, la lecture de poètes, de pièces.
Je me souviens d’une visite au Louvre où on allait regarder comment la lumière était construite, comment peinture et théâtre avait un dialogue étroit à cette époque là.
En termes de jeu, il y avait des exercices pour s’entraîner au contraposto, c’est-à-dire les oppositions corporelles toujours présentes dans la représentation du corps baroque, toujours en position de déséquilibre, de dissymétrie. Et puis un travail très minutieux sur la construction du vers, sur la prononciation restituée, sur la musicalité. A partir de ces principes là, très vite il favorisait l’invention personnelle, avec les gestes notamment.

Est-ce qu’on a un mode d’emploi sûr du jeu de l’acteur à la période baroque ?

Les traités de l’époque donne des exemples mais ils ne sont pas exhaustifs. Le principe est que l’orateur doit trouver les gestes adéquats pour exprimer son discours et pour convaincre. Certains traités disent par exemple qu’on peut étendre la main d’une façon concave pour montrer le règne, ou déplier les mains pour montrer la franchise, mais ça ne suffit pas à « gestuer » tout le texte. »
C’est vraiment la parole qui est l’énergie centrale, mais cette parole n’existe que dans son incarnation. Un texte baroque n’existe pas en dehors de sa réalisation contrairement à d’autres esthétiques.
Donc le noyau centrale c’est l’acteur. Mais cela forme un tout pas parce que si l’on travaille la gestuelle on voit bien que le geste demande de décoller les bras du corps, comme si les bras flottaient un peu toujours en l’air. Tout cela prend une réalité concrète quand on a le costume adéquat puisque la lourdeur de la manche, le poids d’une robe, mettent en valeur et rend nécessaire cette gestuelle.

Par quoi commence-t-on la mise en scène : une lecture, puis le geste, la musique après ou tout de suite ? On choisit les chaussures en premier ?

Les chaussures sont importantes. Les chaussures à talon qui incite à l’ouverture des pieds en première position.
Pour monter une pièce, il y a la lecture personnelle, les premières lectures où je note très vite mes première impressions et mes premières intuitions parce que je me dis que ce je comprends, et ce que je ne comprends pas, ce qui me frappe, c’est important. C’est le moment où je me situe au plus proche de là où va être le spectateur qui voit la pièce pour la première fois. Plus je connais la pièce plus je m’éloigne de la première impression du spectateur. Mais il le faut, il faut creuser. Après, tout sert, tout fait résonance : un livre trouvé dans une librairie, qui va créer une occasion de réflexion, de comparaison.
Il y a le travail de documentation que je fais avec Louise Moati, un travail de recherche dramaturgique autour de l’œuvre qui me fais amener du matériau à la scénographe, au costumier, à l’éclairagiste, qui eux-mêmes font une recherche parallèle et complémentaire.
Le tout étant d’arriver à construire un terrain de jeu signifiant mais qui en même temps n’empêche pas l’invention des comédiens et leur expression. Je n’aime pas trop les scénographie « explication de texte » qui ont tout réglé, où l’espace est tellement précis dans ses déambulations que c’est fini, on ne peut plus rien faire !
Pour finir il y a un travail de lecture à la table avec les chanteurs ou les comédiens, où il y a confirmation de ce qu’on a pu se dire et aussi découverte. Il y a des scènes à côté desquelles on peut passer et puis d’un coup on se rend compte que c’est extrêmement fort.

Vous n’avez pas de méthode fixe en somme, vous mettez en place un cadre, vous utilisez les techniques à disposition et puis quoi ? Vous comptez sur l’expérience pratique du plateau ?

C’est sur un fil, entre l’authenticité historique et l’authenticité personnelle. Mais c’est moins empirique qu’il n’y parait parce que la déclamation cadre un peu les choses dans un premier temps. Un acteur ne peut pas arriver et le faire comme il sent. Ca ne marche pas. Il y a un premier exercice d’humilité. Un oubli de soit, de ce que l’on est. Certains acteurs qui débutent ne comprennent plus le texte. Ils ne le comprennent plus parce qu’ils sont dans l’effort de la prononciation. Mais ça créé un étourdissement bénéfique. C’est un moyen de déjouer le texte. Une technique moderne comme celle de faire hurler les jeunes premières pour qu’elles ne soient pas ingénues, de prendre le contre-pied systématique. Ce qui n’est pas toujours la solution. Et surtout il y a l’expérience du plateau, qui est toujours très surprenante.

La journée type d’un metteur en scène ? On se lève tôt on se couche tard ?

Ca dépend. En général on se couche tard. Moi je me couche tard parce que j’ai pas mal d’idées le soir. Donc je les notes et je vois ce que ça donne le lendemain matin.

Un jeune metteur en scène comme vous gagne-t-il bien sa vie ?

Depuis 2003, je vis de mon métier. Je n’ai pas d’agent d’opéra. Je ne suis pas rentré dans une mise aux enchères de mes capacités de metteurs en scène en faisant monter les salaires jusqu’à des dizaines de millier d’euros pour un opéra ! Il y a des salaires qui sont assez fous… Après on peut toujours se dire : « gagner plus d’argent ça pourrait financer des projets ». J’aimerais ouvrir un lieu de répétition à moi pour pouvoir faire des ateliers. Ca ça pourrait être une motivation pour gagner plus d’argent. Mais pour l’instant je ne manque de rien. Je peux m’acheter un livre par jour si je veux.

Est-ce que vous avez du temps pour vous, ou bien metteur en scène c’est un mode de vie ?

(Un silence, puis:)
Je vais au théâtre. Mais je ne m’intéresse pas qu’aux pièces baroques. Passant énormément de temps sur cette période, j’ai besoin d’aller voir un Heiner Muller, un Bertold Brecht, un Valère Novarina… je ne me lasse pas de l’émotion de la salle qui s’éteint, parce que je n’y vais pas si souvent que ça. Mais j’aime les gens devant moi qui comme ça… racontent une histoire… qui font les choses au présent.

L’émotion de la première en tant que metteur en scène ?

Je préfère quand je joue dedans, parce que je continue à mettre la main à la patte, je préfère me dire que je continue à travailler dans ce spectacle là, plutôt qu’il existe sans que je puisse plus continuer à travailler dessus.
Sur Cadmus et Hermione, la complexité technique, les monstres et les dragons qui pouvaient sortir du sol, venir du ciel etc. on fait que je regardais si le Soleil arrivait au bon moment… J’étais dans un souci technique.

Parlons de vos envies. Vous restez sur la période baroque ou bien vous voulez essayer autre chose : le XVIIIe, la période moderne ?

Le 18e m’intéresse pour l’instant moins. Je pour l’instant suis moins séduit par la force des livrets, qui sont souvent plus faibles. Même s’il y en a des sublimes. Rameau c’est magnifique. J’ai un goût pour les livrets assez denses.
Le jeu du XIXe m’intéresse aussi, et il y a un travail à faire sur les techniques de l’acteur au XIXe qui pourrait être intéressant.

Côté théâtre, côté opéra ?

Côté théâtre. Ce que je peux apporter à des chanteurs, je l’ai travaillé au théâtre. Le théâtre est pour moi un lieu de recherche fondamentale et l’opéra dans une certaine mesure de recherche appliquée. Même si quand une production se passe bien, il y a une notion de recherche.
Je tiens à cette nuance parce que je n’ai pas l’impression d’appliquer simplement des recettes quand je mets en scène Sant’Alessio ou Cadmus et Hermione : on cherche, on avance aussi. Mais pour ce qui est du détail du jeu… un chanteur on doit lui fournir un certain nombre de clé assez rapidement. Alors qu’un comédien on peut lui demander de mettre en question la forme qu’il utilise et de la faire évoluer. Ce qui se passe avec certains chanteurs mais c’est beaucoup plus rare. Il a déjà tellement de chose à mettre en œuvre.
Donc du théâtre vers l’opéra. C’est plutôt dans ce sens là que ça peut se passer. Au XIXe on a quitté la gestuelle rhétorique, on la fustige même chez ceux qui continuent à l’utiliser et donc on est dans un jeu qui peint les impressions, les émotions par des attitudes, par des pantomimes. Ca se prête à un autre genre de travail où le livret a, de fait, moins d’importance parce que le texte existe mais il est complété en grande partie par un travail sur tout ce qui précède la parole, ce qui suit la parole.

On vous propose du moderne, Brecht, Berg ?

J’ai pris les devants plutôt que d’attendre qu’on m’appelle pour me le proposer. Depuis deux ans et demi je suis en écriture avec deux autres personnes d’un opéra contemporain dans le matériau de base est la chanson de variété, retravaillée, recomposée ce qui a abouti au spectacle Lalala, opéra en chanson. Le matériau allant de la fin du XIXe au début du XXIe composant une histoire originale, écrite par trois compositeurs contemporains. J’enchaîne sur un travail sur la première nouvelle orientale de Marguerite Yourcenar Comment Wang-Fô fut sauvé, texte du XXe siècle mise en musique par un compositeur contemporain, et interprété par un quatuor de saxophones.

Mon intérêt pour le théâtre baroque m’a aussi donné l’envie d’aller vers des formes nouvelles, de les inventer et de ne pas me contenter d’une forme. Même si elle n’arrête pas d’évoluer. C’est une recherche ouverte, concrète sur le plateau et pas seulement une chose figée dans les traités. C’est important de la confronter à d’autres envies, que les choses se nourrissent l’une de l’autre.
Sur les auteurs du XXe siècle je suis en cours de réflexion avec un directeur de théâtre. Et puis j’ai projet d’écriture contemporaine à plusieurs voix. Un projet qui a un lien avec la déclamation, sur la harangue publique. En prenant le principe de Hyde Park Corner, ce lieu à Londres où chacun à le droit de s’exprimer du moment qu’il ne dit pas de mal de la Reine et qu’il s’élève à quelques centimètres du sol.

Propos recueillis par Yannick Boussaert, octobre 2008. Trouvé
ici.