Orient-Extrême : Dans Three Times, chacune des parties
semble parfaitement aboutie, au-delà de la cohérence de l’ensemble, avez-vous
tourné les trois parties au même moment ?
Hou Hsiao-Hsien : Oui, le film entier procède d’un seul et
unique tournage. Cependant, évidemment nous avons tourné les parties l’une après
l’autre, en commençant par la partie contemporaine. C’est également celle pour
laquelle nous avons le plus filmé, le plus exploré. C’est donc aussi celle qui a
été la plus dure à monter.
Orient-Extrême : Vous avez parlé de la mémoire comme un élément
essentiel de Three Times; peut-on considérer que les références à vos
précédents films dans Three Times procèdent de cette logique
?
Hou Hsiao-Hsien : Attention, Three Times n’est pas
un film sur la mémoire, c’est un film qui a exigé de ma part que je fasse jouer
les mécanismes de ma mémoire mais c’est avant tout un film sur l’amour. Pour ce
qui est des références à mes autres films, elles ne sont pas voulues, je n’y ai
pas prêté attention pendant la création du film. Elles sont certainement
inévitables quand on voit le film fini, mais je pense que tout cela est
inconscient.
Orient-Extrême : En plus de rappeler Les garçons de
Fengkuei, la première partie rappelle également Nos années
sauvages, de Wong Kar-Waï. Faut-il y voir une réponse ?
Hou Hsiao-Hsien : Non, je crois que fondamentalement nos
cinémas n’ont rien à voir ; Wong Kar-Waï est un shanghaïen parti à Hongkong, moi
je suis de Taïwan, nous évoluons dans des contextes culturels très différents.
En-dehors de ça, la première partie est issue de ma propre expérience, ou plutôt
de mes souvenirs ; la musique est celle que l’on écoutait à l’époque,
l’environnement est celui dans lequel j’ai vécu quelques mois de ma vie.
Orient-Extrême : Les trois temps ont beau être placés à des époques
différentes, ils sont tous les trois racontés au présent. Est-ce le seul temps
où l’on peut parler d’amour ?
Hou Hsiao-Hsien : Non, je ne pense pas. Là, c’est la nature
même du film qui l’imposait, mais même sans qu’il y ait explicitement de trajet
dans le temps, les deux premières parties sont vécues et filmées comme
passées.
Orient-Extrême : A la base, le projet de Three Times devait
être centré autour des musiques qui ont marqué les époques du film. Est-ce que
le fait de rendre compte de la création musicale, dans la dernière partie, était
une façon de répondre à ce premier postulat ?
Hou Hsiao-Hsien : Au départ nous devions être trois
réalisateurs à faire le film, chacun réalisant une partie, et l’idée était de se
contrer sur les musiques qui ont pu marquer les époques du récit. Il devait y
avoir les années 60, les années 80-90 et l’époque actuelle. Mais quand j’ai
repris moi-même le projet je me suis éloigné de cet aspect pour mieux centrer le
film autour de la thématique amoureuse. En fait l’idée de rendre compte de la
création musicale était induite par le personnage de Jing (Shu Qi), qui est
inspiré d’un personnage réel. Il s’agit d’une fille qui aime se prendre en
photo, elle a un blog et compose de la musique. Shu Qi avait déjà joué dans
Millenium Mambo dans un contexte contemporain, et je voulais éviter de
me répéter dans la troisième partie, j’ai donc voulu qu’elle prenne appui sur
cette fille, qui amenait un univers très différent.
Orient-Extrême : D’ailleurs, alors que Shu Qi était le centre de
Millenium Mambo, elle semble à présent plus au service d’un film très
écrit. Qu’est-ce qui a changé dans votre façon de travailler avec elle
?
Hou Hsiao-Hsien : Ce qui s’est passé avec Shu Qi c’est que
Millenium Mambo a été pour elle un tournant, depuis elle a complètement
changé sa façon de jouer. Elle s’est débarrassée de toute pression liée au fait
d’« interpréter ». Par ailleurs, il y a tout un travail de préparation pour les
rôles - apprendre à chanter en anglais pour la troisième partie par exemple –
qu’elle n’avait pas eu à faire sur Millenium Mambo, où j’ai tenu à la
filmer en l’altérant le moins possible.
Propos reccueillis par Guillaume
Denis. Troubés ici.