Si l’on prend en considération qu’un film est l’écoulement d’une ligne modulée, constitué d’éléments distribués par le clignotement, alors on comprend mieux la relation qui unit musique et film d’un point de vue compositionnel. Ayant étudié la musique pendant plusieurs années, la connaissance de celle-ci a permis à Sharits de composer ses films à partir de motifs musicaux qui sont de véritables déclencheurs ; Beethoven et Mahler pour Declarative Mode, Mozart pour T,O,U,C,H,I,N,G, Bach pour N:O:T:H:I:N:G. Ce n’est pas tant la transcription de la mélodie qui l’intéresse que la possibilité offerte aux musiciens de travailler avec de tels outils. Le flicker organise en accords de couleurs les séries de photogrammes de couleurs pures. À cet égard, Shutter Interface est exemplaire. Cette installation juxtapose selon les versions deux ou quatre projections qui se chevauchent partiellement. Dans ces zones où les bandes de flicker se superposent, on visualise des harmoniques et des résonances chromatiques, qui ne sont pas sur les rubans mais qui résultent de la périodicité et de la juxtaposition temporelle des photogrammes de couleurs pures clignotants. Ces accords, selon leur modulation, induisent des lignes mélodiques pour lesquelles les dessins modulaires autant que les partitions de travail sont des chaînons essentiels. Ils inscrivent le développement d’une proposition, mais ont une existence par eux-mêmes. Dans une interview, Paul Sharits parle de l’importance de ces travaux qui accompagnent la production de l’œuvre et de la nécessité de les montrer, au même titre que l’œuvre projetée : le film et le tableau de pellicule, les dessins. C’est d’autant plus important pour toutes les œuvres « in situ » (locational pieces) qui n’ont pas de durée définie puisqu’elles tournent en boucle, n’ont ni début ni fin. La partition, le dessin ou les Frozen Film Frames se présentent alors comme des moments distincts de l’œuvre mais cependant inséparables. Ils sont à la fois des moments de l’expérimentation d’un projet autant qu’ils élargissent l’usage du cinéma. Les dessins sont préparatoires (voir Score 3A for Declarative Mode, Analytical Studies IV), autant qu’ils sont la fidèle transcription du film, la partition. D’un côté, les Frame Studies, qui sont des partitions pouvant générer des films et des dessins, de l’autre les Studies for Frozen Film Frames, qui sont le rendu exact du film issu des Frame Studies.
Yann Beauvais. Figment (extrait).
[Une monographie sur Paul Sharits éditée par Yann Beauvais va être publiée par Les Presses du réel en février 2008.]