Il est touchant de constater que, lorsqu'il décrit l'évolution de son travail, Sharits commence en deux occasions par faire état de cette autodestruction : dans les articles "Exposition/Images gelées" (1974) et "Entendre : Voir" (1975). Tout se passe comme si, à l'origine du cinéma sharitsien, devait se trouver la destruction d'images antécédentes dont on ne veut plus, que l'on ne veut plus faire et donc qu'il ne faut plus voir. Une telle origine bien sûr s'avère plus symbolique qu'effective puisque la destruction des films narratifs date de 1966 et que la réalisation du premier film "sharitsien" date de 1965 : il s'agit de Ray Gun Virus, son premier flicker (film à clignotement, succession rapide de photogrammes choisis pour la puissance de leur contraste, par exemple entre positif et négatif, ou entre couleurs, ou entre figuration et abstraction).
L'oeuvre de Sharits appartient à un courant de l'histoire qui s'est baptisé lui-même "Cinéma structurel", courant dominant dans le cinéma expérimentaal entre la fin des années 60 et celle des années 70. Les auteurs qui font partie de ce mouvement international sont américains (Sharits, George Landow, Hollis Frampton...), canadiens (Michael Snow, Joyce Wieland...), autichiens (Kurt Kren, Peter Kubelka...), allemands (Birgit et Wilhelm Hein...), anglais (Malcolm Le Grice, Peter Gidal...). Bien sûr, le travail de chacun de ces auteurs diffère des autres mais, s'il faut désigner leur commun dénominateur, on peut formuler deux principes fondamentaux :
1) un film structurel est un film réflexif - c'est à dire qu'il se consacre à élucider quelque chose de son propre fonctionnement et donc participe d'une description voire d'une définition du cinéma;
2) un film structurel s'inscrit dans un programme d'investigation d'ensemble sut les propriétés et les puissances du cinéma - ou, plus exactement, ainsi que le désigne Sharits lui-même, du "cinématique" (cinematics).
Sur la base de ces deux principes, une alternative devient possible et a donné lieu à une distinction esthétique au sein même du mouvement structurel (distinction qui ne s'est jamais monnayée en ruptures ou exclusions, au contraire d'autres mouvements d'avant-garde comme le Surréalisme, le Cinéma structurel s'est plutôt distingué par sa formidable capacité d'intégration et d'acceuil en matière d'initiatives théoriques et pratiques) :
1) soit une oeuvre s'en tient à l'accomplissement de ces deux principes ; c'es ce que Peter Gidal a nommé "le cinéma structurel/matérialiste", qui se consacre à la pureté de la recherche sur le cinématographique ;
2) soit une oeuvre prend en charge une réalité autre que ce qui relève strictement du dispositif cinématographique : c'est ce que l'on pourrait nommer, à la suite d'un autre analyste de ce mouvement, P. Adams Sitney, "le cinéma structurel/visionnaire". Cette fois, il s'agit d'entrelacer l'investigation réflexive et un motif ou problème exogène.
Nicole Brenez