samedi 27 février 2010

最好的時光 Three Times

Au départ, Three times devait être un film à sketches réalisé par trois cinéastes différents. Or l'un des films fondateurs de la Nouvelle Vague taiwanaise des années 80 est L'Homme Sandwich, qui est précisément un film à sketches. Vous en aviez réalisé un des trois segments. Pourquoi revenir à ce type de film à ce stade de votre carrière?

Parce que c'est un moyen plus pratique et plus rapide de s'exprimer pour les jeunes réalisateurs.

A quoi correspond l'ordre chronologique des segments ?

Au départ, dans le projet initial, il avait été décidé avec les deux autres réalisateurs que c'était moi qui devait réaliser le premier segment, celui de 1966. Cela s'est fait de façon très naturelle. La troisième partie se situait à l'origine dans les années 80-90. Ce qui devait changer. Dans ce projet, la musique était centrale et variait d'une époque à une autre.

Dans quelle mesure le choix des lieux de tournage a-t-il pu modifier le projet en cours de route?

Je n'ai jamais tourné en studio, j'ai toujours préféré les endroits qui existent. Pour moi les facteurs importants pour tourner mes films sont d'un côté les lieux, de l'autre les acteurs.

Vous avez fait les repérages, choisi les lieux de tournage. Est-ce qu'après avoir choisi les lieux le fait de fréquenter les lieux, de les observer a pu par exemple modifier certains points du scénario du film?

C'est vrai. Chaque lieu a son propre rythme. Je me pose les questions suivantes. Un lieu, qui le fréquentait exactement? Quelle situation avait lieu à quelle heure? La visite d'un lieu peut changer le scénario et aussi la manière de filmer.

A propos du premier segment de Three Times, vous aviez parlé des "filles de billard". Que représentaient-elles dans le Taïwan des années 60? Que représentaient-elles pour vous?

A l'époque, il n'y avait pas besoin de demander une licence pour ouvrir un salon de billard. Les patrons cherchaient alors de belles jeunes filles pour noter le comptage des points et attirer la clientèle masculine. A cette époque-là, il n'y avait pas tellement d'opportunités de travail pour les femmes: les usines japonaise ou américaines employant des Taïwanais par exemple. La main d'œuvre locale était employée parce qu'on pouvait la payer au lance-pierres et les produits de l'usine vendus seulement à l'exportation. Mais certains Taïwanais volaient les produits de l'usine pour les revendre sur place au noir. Une autre possibilité de travail pour les femmes étaient d'être coiffeuses. Et enfin de travailler dans un salon de billard. C'étaient des lieux très intéressant pour débuter dans les relations hommes/femmes, pour y trouver des jeunes filles. J'étais très timide avec les filles, il m'était difficile de les draguer. Dans la réalité, je n'ai pas pris la main de la jeune fille qu'on voit dans le film. La première fois que j'ai tenu la main d'une fille, c'était à 16 ans.

D'une fille de billard?

Non, d'une fille de deux ans plus jeune que moi.

A quoi correspond dans cette partie le recours à des standards internationaux comme Rain and Tears et Smoke gets in your eyes?

La présence américaine amenait sur place la culture des Etats-Unis, notamment à travers la radio. Et la radio passaient des chansons américaines très célèbres.

Entendiez-vous ces chansons chez vous ou au billard?

Au billard surtout. J'ai découvert Rain and tears quand j'ai fait mon service militaire et Smoke gets in your eyes au billard.

Concernant le premier segment de Three Times, ce qui m'a frappé est la richesse des rapports humains dans des situations anodines. Est-ce que vous pensez que ce genre de rapports extrêmement riches sur le plan humain est encore possible dans le Taïwan d'aujourd'hui?

Non. A Taïwan aujourd'hui, les jeunes commencent par le contact physique avant de se poser la question de l'amour.

Mais en même temps dans Millenium Mambo on pourrait voir la trajectoire de Vicky comme la conquête d'une forme de richesse humaine dans son rapport avec les autres.

Oui. Ce qu'elle cherche dans Millenium Mambo c'est ce type de rapports humains, l'amour en particulier. Mais en même temps dans la réalité elle ne le trouve pas. Dans Millenium Mambo le personnage de Vicky est une projection de moi-même, de ma quête de l'amour.

La cellule familiale est quelque chose de très important dans votre cinéma. Et dans Millenium Mambo j'avais l'impression que lorsqu'elle forme ce groupe avec les deux japonais, qu'elle est avec eux à Hokkaido, ou qu'elle avait avec Jack Kao des rapports de type père/fille, que c'étaient de nouvelles formes de cellules familiales.

Oui, c'est vrai mais c'est une autre approche. Dans Millenium Mambo, je porte un regard sur les jeunes, j'arrive un peu à ressentir leurs envies et le personnage de HSU Chi c'est moi. Quand Vicky se dirige vers le Japon, cela représente un espoir pour elle.

Concernant le second segment, comment vous est venu le fait de le traiter comme un film muet?

1911 était l'époque de l'occupation japonaise. Les Japonais occupaient Taïwan depuis 1895. La présence japonaise était contestée. Les hommes de lettre gardaient leurs cheveux longs par attachement à la culture chinoise. Ils parlaient en mandarin ancien. Il était difficile aujourd'hui de le faire apprendre aux deux acteurs. Et si on fait parler cette langue aux acteurs, cela peut déranger le public d'aujourd'hui. D'où ma décision.

Un point particulier m'a intrigué. Le segment est en muet avec intertitres. Mais lors des passages où HSU Chi chante, on entend dans la bande son une partie chantée synchrone du mouvement des lèvres de l'actrice.

Lors du tournage, j'ai quand même enregistré le son afin que les acteurs se concentrent sur leur rôle. HSU Chi a dû apprendre les chansons pour que ses lèvres soient synchrones. Ces chansons proviennent de disques d'une chanteuse taiwanaise contemporaine. Cette dernière a enregistré des chansons de courtisanes des années 10.

Le passage 1911, a-t-il représenté une expérience de tournage très différente de celle des Fleurs de Shanghaï?

Oui, ça se ressemble parce que ce sont des maisons closes de courtisanes à Taiwan venant de Chine continentale.

Je parlais de ce que vous avez ressenti.

Pas du tout. Parce que d'une part les Fleurs de Shanghaï se passe à la fin du 19ème siècle alors qu'on est en 1911 et en plus pour 1911 on a trouvé l'architecture ancienne à Taïwan.

Sur le troisième segment, le personnage de HSU Chi est inspiré d'un site internet. Quel est votre rapport à l'internet aussi bien dans votre travail de cinéaste qu'en tant que simple utilisateur?

Je fréquente beaucoup de jeunes mais je ne sais pas utiliser un ordinateur. La directrice de casting a trouvé ce personnage sur un site internet. Mon assistant-réalisateur a d'ailleurs tourné son premier film avec la personne qui apparaît sur le site comme premier rôle. J'ai ensuite un peu visité le site et ai trouvé cette personnage très intéréssant. J'ai montré le site à HSU Chi. Elle a trouvé le personnage intéressant et le travail a ainsi pu commencer.

Pourriez-vous me parler de votre travail d'observation de la jeunesse et du monde de la nuit effectué pour vos films contemporains?

7 ou 8 ans avant Millenium Mambo, j'ai fréquenté pendant un an des boites branchées. A cette époque, la jeunesse allait en boite tous les soirs pour écouter de la techno et prendre de l'ecstasy. C'était très intense. Ils restaient en boite jusqu'à l'aube avant d'ensuite aller chanter dans des karaokés jusqu'à midi ou au début de l'après-midi. Ils allaient se coucher pour recommencer le soir suivant. Le sommet, c'était vers 2000. Aujourd'hui, ça s'est calmé, la fréquentation des boites n'est plus aussi massive et ça ressemble à l'Europe. Ca a marqué un début de la drug culture comparable à ce qui s'était passé auparavant au Royaume Uni et qu'on voit dans Trainspotting.

Est-ce que ce que vous dites sur la difficulté de retrouver de vrais rapports humains s'applique au dernier segment de Three Times?

Oui.

A l'époque des Fleurs de Shanghaï, vous aviez affirmé vouloir ne vous consacrer en tant que cinéaste qu'à l'époque contemporaine. Comptez-vous à l'avenir poursuivre dans cette voie?

Oui.

Début d'une interview réalisée par Ordell Robbie à Paris les 7 et 9 novembre 2005 pour Cinémasie qu'on peut lire
ici.