Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours jusqu’à aujourd’hui ?
J’ai grandi dans une famille ordinaire... rien de bien particulier. Mais mon père et ma mère sont fous de lecture : il y a énormément de livres sur nos étagères. J’ai donc commencé à lire quand j’étais jeune enfant, m’asseyant dans un tiroir et lisant toute la journée.A 16 ans, j’ai rejoint un groupe par hasard et j’ai travaillé en tant qu’auteure et chanteuse. Le groupe s’appelait Hopscotch. Notre premier album est sorti en 2002, son titre était A Wishful Way. Mon premier roman, La Forêt Zèbre, a été publié en même temps. La réalisatrice de Butterfly a entendu notre musique et l’a beaucoup aimée : elle m’a donc proposé de jouer dans son film. Nous sommes devenues amies et j’ai joué une jeune fille venant de Wuhan dans Butterfly. A ma grande surprise, j’ai été nominée pour de nombreuses récompenses importantes et ai remporté le Hong Kong Award de la Meilleure Nouvelle Actrice. C’est ainsi que je me suis retrouvée à jouer dans toujours plus de films.
Lorsque vous étiez petite fille, quels étaient vos rêves ? Etiez-vous du genre à vouloir décrocher la Lune ?
Mes parents étaient rebelles quand ils étaient jeunes ! Ils m’ont donc traitée comme une amie. Bien que nous n’étions pas riches à cette époque, l’atmosphère familiale était vraiment bonne. Mes rêves ? Beaucoup : devenir scientifique, écrivaine, peintre, chanteuse, danseuse… Quand j’étais jeune, j’avais le sentiment que je pourrais faire un tas de choses, il n’y avait pas de but précis.
Et aujourd’hui ?
Maintenant, je fais toujours un tas de choses. Jouer, écrire, faire de la musique, prendre des photos…
Vous êtes aujourd’hui chanteuse, romancière et actrice, mais également étudiante à l’Université de Beijing. Qu’est-ce qui vous motive à poursuivre vos études ? Que souhaiteriez-vous faire une fois celles-ci terminées ?
J’étudie l’anglais, ce n’est pas difficile et je pense que je pourrais finir une bonne partie de mes études seule. Mes principales occupations étant de lire et de m’asseoir face à mon ordinateur, je ne passe pas beaucoup de temps à traîner. Il m’est donc facile de bien gérer mon temps. Par exemple, pendant le tournage de Voiture de Luxe, j’ai pu lire une dizaine de livres sur mon temps libre.
Comment vous voyez-vous dans 10 ans ?
Je ne sais pas…
A 17 ans, vous êtes devenue auteure, compositrice et interprète du groupe Hopscotch. Comment cela s’est-il fait ?
Le guitariste du groupe est un ami. Ils se sont retrouvés sans interprète et je les ai donc rejoints. Par ailleurs, j’ai commencé à écrire très jeune, mais je n’avais jamais imaginé que je serais un jour publiée. Mais quelques amis ont lu le brouillon de La Forêt Zèbre et ont trouvé que c’était bien, le roman a donc été publié. Je suis une personne passive, qui attend toujours quelque chose. Et, avec beaucoup de chance, quelque chose s’est produit.
Votre groupe a rencontré un vif succès en Chine continentale. Pouvez-vous revenir sur cette période ?
A cette époque, j’étais une jeune lycéenne de 17 ans. Les gens étaient donc intrigués. Mais notre premier album était entièrement en anglais, ce qui est extrêmement rare en Chine. Nous étions donc à contre-courant. De plus, notre musique est un mélange de trip-hop et d’indie-pop, rien à voir avec la pop chinoise.
Vous étiez particulièrement jeune et veniez de commencer votre carrière. Comment avez-vous vécu cette période ?
La plupart du temps, je fais ce qui me plait. Par chance, mes centres d’intérêt sont devenus mon travail, donc j’aime travailler.
Pourquoi avoir choisi d’écrire tous vos textes en anglais ?
Pour le premier album, tout était en Anglais. J’essaie maintenant d’écrire des chansons chinoises. J’ai grandi avec les Smashing Pumpkins, Nirvana, Sonic Youth, Placebo, Doors, Velvet Underground, Mogwai, Alec Empire, Radiohead, … Il était donc bien plus simple d’écrire des chansons en anglais compte tenu du fait que j’écoute très peu de pop chinoise.
Après le tournage de Butterfly, vous avez dit être incapable de choisir entre la musique et le cinéma. En est-il toujours de même aujourd’hui ?
Exactement pareil.
Pourquoi n’avez-vous pas sorti de nouvel album depuis 2002 ? Quels sont vos projets musicaux ?
Nous avons eu de gros problèmes avec notre label initial. Il y a eu un procès, c’est maintenant terminé. J’ai déjà écrit beaucoup de nouvelles chansons. La démo est presque terminée, l’album sortira plus tard.
Plutôt Muse ou plutôt Placebo ? Pourquoi ?
Placebo. Parce qu’ils me touchent.
Le fait que le réalisateur de Butterfly soit une femme était-il rassurant pour vous ?
La réalisatrice est maintenant l’une de mes meilleures amies. J’imagine qu’il y avait quelque chose d’identique dans nos instincts ; nous sommes donc facilement devenues amies et avons travaillé joyeusement ensemble. Après Butterfly, nous avons fait ensemble un court métrage qui s’appelle August Story. C’est toujours passionnant de travailler avec elle.
Butterfly est un film riche qui traite de nombreux sujets : crise du couple et de la famille, homosexualité, intolérance, passage de l’enfance à l’âge adulte, etc. Quels sont les aspects qui vous ont le plus touchée ?
J’ai vu beaucoup de films de ce genre. Il n’y avait donc rien d’étrange à mes yeux. Le script était vraiment excellent. Mais un film français appelé La Vie Rêvée des Anges m’a par exemple beaucoup plus émue.
En quoi vous sentiez-vous proche de votre personnage ? En quoi était-il particulièrement différent de vous ?
Nous sommes totalement différentes. Je suis passive, elle est active. Nous sommes opposées.
Pouvez-vous expliquer comment un passage entier de votre roman s’est retrouvé dans le film ?
Comme je l’ai dit, la réalisatrice et moi sommes très amies. Elle a beaucoup aimé mon roman et a donc ajouté au film quelques passages du livre. Et j’ai écrit la dernière scène du film pour elle, les chaussons qui tombent de la terrasse.
Avec Curse of Lola, vous jouez à nouveau sous la direction d’une femme. Hasard ? Comment avez-vous obtenu le rôle ?
Ah, c’est une coïncidence... La réalisatrice trouvait que je correspondais bien au personnage. Elle a également pris une chanteuse pour jouer l’héroïne de son second film. Mon personnage est une danseuse, heureusement que je sais un peu danser.
Ce film a été tourné en Chine continentale. Quelles différences d’avec un tournage à Hong Kong retenez-vous ?
C’est très différent. A Hong Kong, les gens sont des fous du travail. Pendant le tournage de Butterfly, je ne pouvais dormir que 3 ou 4 heures par jour. Il est plus agréable de travailler en Chine continentale.
Dans ce film, la représentation explicite des meurtres et de la scène d’amour peuvent-ils, selon vous, être perçus comme une volonté de faire bouger les choses dans le cinéma de Chine continentale ?
Li Hong est une artiste, les scènes sont donc très différentes. La Chine devient de plus en plus ouverte. Nous pouvions faire ce que nous voulions. Il y a toujours quelques problèmes, mais ce n’est pas propre à la Chine. Dans le monde entier, les gens ont des problèmes différents.
Qu’est-ce qui vous a décidée à accepter ce rôle dans Voiture de luxe ?
A la fois le script et le réalisateur. Et le tournage avait lieu dans ma ville d’origine, Wuhan.
Dans Voiture de Luxe, votre personnage est parti vivre en ville, espérant peut-être s’élever socialement et être plus heureuse. Y avez-vous vu un parallèle avec votre livre, qui aborde l’attrait des lumières de la ville ?
Nous sommes tous à la recherche de quelque chose de meilleur. Comme diraient les Rolling Stones, « I Can’t Get No Satisfaction ». Nous avons tous des problèmes, parce que nous sommes humains, et la vie nous met une certaine pression. Nous cherchons à nous échapper, mais sans savoir où nous allons. Dans Voiture de Luxe, je suis partie vivre en ville, et dans La Forêt Zèbre, ils se sont réfugiés dans une vague illusion.
Lors de notre rencontre, Wang Chao a dit à propos de votre rôle qu’il constituait un défi : « J’ai choisi Tian Yuan pour ses qualités d’actrice. Toutefois, ses deux films précédents n’étaient pas du tout des rôles de composition : c’étaient des personnages qui lui ressemblaient vraiment, qui ressemblaient à sa vie. Pour jouer Yanhong, c’était complètement différent : au niveau de sa personnalité et de sa vie, ce personnage ne ressemble en rien à Tian Yuan. C’était donc un réel défi pour elle. » Avez-vous vraiment perçu ce rôle comme un défi ? Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?
Le plus gros défi était de changer mon apparence. En me regardant dans le miroir, j’étais choquée : je ne parvenais plus à me reconnaître.Le film a été tourné en haute définition, et avant celui-ci, mes précédents films étaient tournés en pellicule. J’avais cette fois-ci plus d’espace pour m’exprimer. Avant le début du tournage, je n’avais de cesse de lire le script, encore et encore. Et j’ai été dans quelques boites pour parler aux filles. Dans Voiture de Luxe, j’ai changé mon apparence. Mes amis m’ont appelée pour me demander si c’était vraiment moi dans le film. « Elle ne te ressemble pas du tout » ont-ils dit.
Vous semblez favoriser un cinéma de qualité en tournant principalement dans des films d’auteurs alors que l’on peut penser qu’il vous serait possible de jouer dans des films peut-être plus commerciaux et au public moins restreint. Pouvez-vous expliquer votre position sur ce point et dire quels sont les principaux critères dans vos choix artistiques ?
En fait, je choisis ce qui me plait. Je pense que je ne suis pas impatiente de gagner beaucoup d’argent ou de devenir célèbre. Je peux donc choisir ce qui me plait et me sentir équilibrée.
Comment résumeriez-vous ou présenteriez-vous votre roman à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler ?
C’est un roman à propos des possibilités, à propos des possibilités que l’on ne peut posséder.
Plus que la transition de l’enfance à l’âge adulte, vous décrivez une prise de conscience par certains de vos personnages d’une forme de réalité qu’ils rejettent. Ils acquièrent une certaine lucidité, souvent mal vécue. A quel degré avez-vous été influencée par votre propre expérience ?
J’ai bien entendu été influencée par ma propre expérience. Je me suis souvent sentie désespérée au lycée, et maintenant c’est pareil, après tout, nous sommes humains, et il y a un instinct de destruction en nous. Je suis facilement déprimée.
De quel personnage de votre roman vous sentez-vous la plus proche ? Minnie ? Ce ? Pourquoi ?
Le deux. Les écrivains ne peuvent s’empêcher d’écrire à propos d’eux-mêmes.
On note une sorte de fascination, de contemplation pour les pieds de vos personnages féminins. Vous insistez régulièrement sur le fait qu’elles se déplacent pieds nus, et les personnages proches de Ce sont en admiration devant les traits fins de son talon ou de ses orteils. Ces descriptions sont, malgré leur brièveté, très évocatrices et parviennent sans peine à induire une certaine sensualité dans les déplacements et une image précise de la beauté du personnage. Pouvez-vous discuter de ce choix ?
En fait, quand j’écris, j’essaie de décrire les images qui sont dans ma tête. A mes yeux, les pieds nus sont beaux, et ils sont en contact avec le sol. En Chine, le toucher est l’extrémité du corps, et on trouve au niveau des pieds des points liés à nos organes. C’est comme utiliser le corps entier pour toucher le sol.
Pouvez-vous nous parler de vos projets littéraires ?
Juste continuer d’écrire. Mon nouveau roman sera bientôt publié, certainement à la fin de cette année.
Isabel Chan et Joman Chiang n’avaient jamais entendu parler des événements de juin 1989 avant le tournage de Butterfly. Et vous ? Ne vous semble-t-il pas choquant que si peu de monde en Chine sache ce qui s’est passé, alors que ces événements sont connus du monde entier ?
Tout le monde a entendu parler de ces événements, mais seules les personnes ayant vécu ces événements savent ce qui s’est passé exactement.
Un film comme Butterfly n’aurait jamais pu se faire en Chine continentale en raison des thèmes qu’il aborde. Il semblerait toutefois que l’on aille vers plus de tolérance de la part du Bureau de la Censure en Chine. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
La censure n’est qu’une politique.
Lors de notre entretien, Wang Chao a dit au sujet des trois plus grandes villes chinoises : « Quand on veut vraiment parler d’un contexte chinois, d’une vie chinoise quotidienne, de particularités de la Chine, Beijing et Shanghai ne sont vraiment pas représentatives. Wuhan, c’est vraiment la Chine. » Vous qui êtes née à Wuhan et vivez à Beijing, pouvez-vous nous parler du contraste entre ces deux villes ?
Pour dire la vérité, Wuhan est une ville ennuyeuse. Mais Wuhan est mystérieuse... La Chine est si grande, et chaque ville est différente. La Chine est plus grande que l’Europe : voyager d’une ville à l’autre est donc comme aller d’un pays à un autre. Beijing et Shanghai sont les deux plus grandes villes ; nous avons des artistes, des personnes riches, des menteurs et des politiciens. Il y a des spectacles et des fêtes chaque nuit. Et Wuhan est pleine de vie elle-même. Je pense que décrire les différences entre ces deux villes me prendrait une journée entière.
Alors que le cinéma hongkongais se porte relativement mal, les regards commencent à se tourner vers la Chine continentale. Deux types de films se distinguent : films à gros budget de réalisateurs de la cinquième génération et films confidentiels ou underground d’auteurs de la sixième génération. Quel est votre regard sur cette situation ? Comment voyez-vous l’avenir ?
Je crois en la jeune génération. Je viens juste de terminer le tournage d’un court-métrage avec un jeune réalisateur, c’était passionnant et plaisant. Bien que l’ancienne génération garde le contrôle pour le moment, la plus jeune ressortira bientôt.
Propos recueillis par Aurélien Dirler du 21 au 26 septembre 2006 (par e-mail) pour cinémasie.