dimanche 28 septembre 2008

王超 Wang Chao

Quelle est votre histoire ? Comment êtes-vous devenu réalisateur ?

Cela a commencé au collège. J’aimais déjà beaucoup le cinéma. Au lycée, j’étais abonné à une revue sur le cinéma international. J’ai ainsi pu accéder à des traductions de scénarios de films, de théories cinématographiques. J’ai pu avoir contact avec l’esthétique cinématographique occidentale. Dans les années 80, alors que j’étais ouvrier à Nankin, je voyais beaucoup de films occidentaux : Truffaut, Fassbinder... A cette époque, de nombreux films étrangers étaient disponibles en Chine dans les cinémas. Je suis très nostalgique de cette époque. Dans les années 80, je me suis beaucoup intéressé à la littérature et à la philosophie, je peux dire que j’étais un intellectuel. A cette époque, il y avait beaucoup de changements politiques, de débats... Cela m’a permis de poser un regard d’observateur, de réfléchir sur la Chine de cette époque. Après 1989, je me suis tourné vers le cinéma, puisque c’était important pour moi d’avoir un regard intellectuel sur cette évolution. C’est en 2000 que j’ai sauté le pas, que j’ai pris ma première caméra et que j’ai tourné mon premier film. J’ai pu ainsi exprimer tout mon amour pour le cinéma et mon regard sur la Chine.

D’où vous vient l’idée de Voiture de luxe ?

Cette histoire vient de la vie, de ma vie. Lorsque je fais des films, je dois chercher des financements, et les producteurs chinois aiment beaucoup faire des réunions dans les boîtes de nuit. C’est comme ça que j’ai pu observer ces jeunes prostituées, qui venaient de la campagne et qui, malgré leur lourd maquillage, étaient très simples et avaient un visage très naïf. Un jour, je me suis posé la question "Et si leur père venait ce soir ?"... Comment feraient-elles face, comment expliqueraient-elles la situation, quelle serait leur réaction ?

La Chine qu’on voit dans ce film paraît assez réelle. Votre volonté était-elle d’être le plus réaliste possible, ou d’exagérer certains aspects, pour dénoncer des choses, pour démontrer certaines théories ?

C’est un film réaliste, bien entendu. Mais c’est également un film dans lequel il y a du drame, de la théâtralité. On a les deux aspects. Pourquoi ? Pour que le plus large public découvre et apprécie mon film, il fallait qu’il y ait un rythme assez rapide dans l’action. C’est un film réaliste avec de l’action. En tant que réalisateur, je tiens à avoir une attitude de réalisateur par rapport à la réalité chinoise.

Justement, parlons de cette réalité… La chine qu’on voit dans le film est assez divisée, malade. Ce film n’est pas très optimiste par rapport à la Chine. Etes-vous malgré tout confiant pour l’avenir de votre pays ?

"Même si le chemin est difficile, l’espoir est toujours présent", comme je dis souvent. Je place l’espoir dans les petites gens, les gens du peuple. On voir l’espoir dans le concret, la vie de tous les jours.

Pour un film chinois, on se pose toujours la question de la censure. Qu’en est-il pour ce film ?

Voiture de luxe a été autorisé par le bureau du cinéma. Depuis le mois dernier, il est diffusé dans les salles chinoises, et est même sorti en DVD. Et ça marche très bien.

Et pour vos précédents films ?

L’Orphelin d’Anyang était un film underground, pas sorti en salles. Jour et nuit était un film autorisé, mais il n’est sorti qu’en DVD et à la télévision.

En Chine, Voiture de luxe est-il montré au grand public, ou cela demeure-t-il confidentiel, pour les intellectuels ?

Le film est sorti dans les salles commerciales, tout le monde peut le voir. Le cercle des intellectuels connaît mon cinéma plutôt à travers les DVD.

Voiture de luxe a été lauréat du prix Un Certain Regard à Cannes cette année. Est-ce important pour vous d’avoir la reconnaissance des professionnels ?

Bien sûr que c’est important pour moi. Quelque part, c’est la consécration de ces trois films et de ces cinq ans de tournage. En plus, cela m’aide dans mes futurs projets.

Justement, comment financez-vous vos films ? Recevez-vous des aides de l’Etat chinois ?

Sur Voiture de luxe, le financement est français et chinois. Côté chinois, ce sont des sociétés de production privées. Je ne reçois pas d’aide du gouvernement.

Comment voyez-vous le cinéma chinois à l’heure actuelle ?

Il est difficile de faire un film en Chine, surtout un film d’art et d’essai. Il y a tout un système… Pour des raisons économiques, aussi. Mais beaucoup de réalisateurs ont le courage de le faire quand même. Ca va plutôt en s’améliorant. Les films d’auteurs ont commencé dans les années 90 en Chine. Au début c’était des films underground. Ce sont de plus en plus des films autorisés. La situation est difficile, le parcours est difficile, mais la situation
s’améliore…

Comment avez-vous choisi Tian Yuan pour jouer votre héroïne ?

J’ai découvert Tian Yuan dans son premier film. Elle était très bien. C’est comme ça que je l’ai choisie. Je l’ai choisie pour son côté mélancolique. Je voulais créer un personnage de prostituée différente, un peu hors norme.

Vos futurs films ?

Ma trilogie sur la Chine contemporaine est achevée. Je vais peut-être faire une trilogie sur la Chine ancienne. Ou une fresque historique de 1949 à aujourd’hui. Ou une histoire d’amour dans la classe moyenne chinoise, car même si la classe moyenne est sensée être heureuse en Chine, elle a également beaucoup de problèmes.

Dans vos films, vous montrez les "petites gens", le peuple. Vous êtes un intellectuel, faites partie d’une élite. Comment vivez-vous cette contradiction ? Comment restez-vous proche du peuple et de ses problèmes ?

Après l’école, j’ai été ouvrier pendant cinq ans, avant d’aller à l’université. Mes parents sont ouvriers. Je ne suis pas un intellectuel "classique". Je suis vraiment issu du peuple. Même à Pékin, je suis un travailleur. Comme tous ces travailleurs qui viennent de la province. Certains font des maisons, moi je fais des films. Les gens avec qui je travaille ne sont pas forcément de Pékin. Par exemple, quand je tourne des films, les éclairagistes viennent de la campagne, sont des ouvriers, des provinciaux…

Propos recueillis par Rémy Pellissier pour Evene.fr - Mai 2006