samedi 8 mai 2010

Dario Argento

S'il y a des questions auxquelles je ne peux pas répondre, je te le dis avant. Parce que je peux mentir. Quand j'étais journaliste il y a très longtemps, je parlais avec des metteurs en scène, leur posais des questions et bla bla bla, ils connaissaient tout. Alors je me disais "Ce sont des monstres !". Beaucoup d'entre eux disaient une chose, le lendemain une autre. Moi, si je ne sais pas, je ne te dis rien !

Est-ce que vous aimez les films qui font peur, et pourquoi ?

Certainement, oui, mais ce ne sont pas les seuls films que j'aime. Il y a deux personnes, le metteur en scène Dario Argento et une autre personne, moi en ce moment. Je ne connais pas très bien Dario Argento ! C'est vrai ! Quelques fois je voudrais m'arrêter pendant deux ans pour parler avec lui, parce que lui, il travaille, il pense ! Moi je le regarde travailler si intensément... C'est une chose un peu schizophrénique. Moi, je voudrais savoir pourquoi dans mes films, il y a toujours de l'eau, des femmes, qu'elles soient protagonistes ou victimes. Mes héros sont toujours des femmes. Pourquoi tous ces couloirs, toutes ces portes ? C'est quelque chose d'instinctif. Ma fille me demande aussi, quelquefois. Mais je ne sais pas !

Est-ce que vous avez peur dans la vie quotidienne ?

Oui, comme tous. J'ai peur des voitures, de plein de choses de la vie quotidienne, mais aussi de choses plus profondes, de la nuit, quand je suis seul à la maison ou quand je voyage. J'ai des peurs sombres, de choses inexplicables. Ca dépend de mon état d'âme. Je me rappelle avoir lu il y a longtemps un livre d'Anatole France sur le diable, pas vraiment un livre de peur, avec un diable sympathique [Il s'agit probablement du Puits de Sainte Claire]. Je le lisais, j'étais peut-être dans un état d'âme particulier, j'étais tout seul à la maison et je sentais la présence de ce diable. Moi je ne crois pas au diable. Je crois au bien et au mal, mais le diable, avec sa queue fourchue et tout ça, j'y crois pas. En lisant ce livre, je me suis dis que le diable existait peut-être. Je ne sais pas pourquoi. J'ai lu des livres incroyables. Ca, c'était un livre très gentil. Ca devait être mon état d'âme, à moins qu'il n'y ait eu dans ce livre un message un peu inconnu, mystérieux.

Est-ce que la mort vous angoisse ?

Oui. Quand mon père est mort, ça a été une chose terrible pour moi. Il était aussi mon producteur [notamment de son premier long métrage, L'oiseau au plumage de cristal]. J'étais très lié à lui.

Dans tous vos films, il y a une limite, une frontière. Dans Le Fantôme de l'opéra, il y a le monde souterrain et au-dessus le monde ordinaire...

Oui, et quand tu passes cette frontière, tu trouves peut-être quelque chose de merveilleux, peut-être quelque chose d'horrible. C'est la porte du mystère. La vie, c'est comme dans une chambre noire. Au milieu de la chambre, il y a un petit fil, très fin, tendu, qui sépare le bien du mal. Mes personnages franchissent parfois cette ligne, parfois non.

Quelques fois ils la franchissent très tranquillement alors que nous, nous en serions incapables !

Quelques fois il n'y a pas de lumière et tu ne vois pas le fil, alors, tu découvres certaines choses par hasard ou parce que tu n'étais pas attentif.

A la fin du Fantôme de l'opéra, Christine quitte avec regret le fantôme, le côté sombre, et va vers la lumière. Lumière qu'elle aime aussi, puisqu'elle aime le Baron. N'est-ce pas une allégorie de votre parcours de réalisateur, qui quitte un certain côté sombre des choses, peut-être un certain genre de films ?

Non, absolument pas. C'est lié à ce film. Je suis très attaché à mon côté sombre. Je ne peux pas l'oublier, il fait partie de ma vie. Tout le monde a un côté sombre, un peu malin, un peu cruel. C'est Freud qui l'a découvert. Quand tu le connais, tu peux dialoguer avec ton côté sombre, il devient quelque chose de présent dans ta vie. Alors tu peux dialoguer avec lui sans qu'il te mange. Sinon il te mange et tu deviens fou, un serial killer..

Certains plans de vos films semblent directement sortis de l'inconscient ou du rêve. Cela fait penser à Ingmar Bergman qui a dit avoir construit certains de ses scénarii à partir de fragments de rêves, notamment Cris et chuchotements. Par ailleurs vous avez dit que Bergman était votre réalisateur favori. Y a-t-il là un lien entre vous deux ?

Oui, c'est vrai. Mais pas seulement avec Bergman, plusieurs metteurs en scène parlent de rêves. Ses films sont presque comme des rêves. Il donne un rythme au film qui est celui d'un rêve. Dans mes films aussi il y a beaucoup de choses qu'on n'explique pas. Mais, pour moi, ces choses ont des significations. Dans mes rêves, il y a une architecture parfaite. Je pense qu'il faut rester mystérieux. Comme dans Inferno où il faut résoudre des énigmes. Le film c'est tout ça, ce mystère. Une jeune fille a découvert dans un livre le mystère de la vie. Ce film m'a beaucoup touché. A sa sortie, beaucoup de gens ne l'ont pas compris, disaient qu'il n'avait pas de sens. Mais il a un sens ! C'est un film difficile, comme escalader une montagne. C'est un peu ésotérique.

Toujours en rapport avec le rêve, dans plusieurs de vos films il y a une scène "primale", généralement au début du film, à laquelle le ou la protagoniste principal assiste, mais qu'il ne comprend pas dans sa totalité. Par la suite, il essayera de décrypter cette scène dans laquelle se trouve la solution de l'énigme du film...

Oui, mais ce n'est pas important de résoudre l'énigme. Ce qui est intéressant, c'est la recherche pendant tout le film. Dans tous mes films il y a quelqu'un qui cherche, qui est poussé par cette fièvre de recherche, parfois sans aucun sens, sans vraie raison.

Le parcours du personnage principal est donc de chercher une réponse, de déchiffrer cette scène primale. Il y a là un parallèle avec la psychanalyse et le travail d'exhumation du contenu latent d'un rêve qu'effectue un psychanalyste. Est-ce volontaire ?

Non, c'est inconscient. J'écris comme un fou. Les choses viennent naturellement. Mais il est vrai que j'ai une adoration pour Freud et Jung. Je suis allé plusieurs fois visiter la maison de Freud et les lieux où il a vécu. Je pense que les lieux où l'on vit sont très importants, d'où mon pèlerinage. J'ai fait la même chose avec l'autre amour de ma vie, Edgar Allan Poe. J'ai fait toute l'Amérique pour chercher où il est né, où il s'est marié, où il a étudié. J'ai tourné un petit documentaire sur ça.

Avez-vous lu la psychanalyse des oeuvres d'Edgar Poe par Marie Bonaparte?

Oui et je l'ai fait lire à George Romero quand il faisait L'étrange cas de Monsieur Valdemar [son sketch du film Two evil eyes, dont Argento réalisa l'autre partie, Le chat noir].

Donc, vous connaissez bien les théories de l'inconscient, mais ne les utilisez pas...
On dit que les scènes de meurtres sont des scènes érotiques, on dit que les hommes sont moins habiles que les femmes pour comprendre cela. On dit beaucoup de choses...Avez-vous déjà fait une psychanalyse ?


Non.

Vos films sont-ils un moyen pour vous d'évacuer des choses ?

Non, je ne pense pas. Ce n'est pas aussi simple que ça ; tu manges et puis tu vas au cabinet... Ils ne sont pas la digestion de tout ce que l'on est.

Vous êtes maintenant parvenu à un stade qui doit vous offrir une certaine tranquillité, une stabilité ?

(Etonné) Quelle tranquillité, quelle stabilité pensez-vous que j'aie ?

D'un point de vue professionnel...

Non. J'ai une grande instabilité. Je suis comme toujours au bord de l'abîme, j'ai peur de plein de choses. C'est la raison pour laquelle je ne vois pas mes films avec le public. J'ai une angoisse incroyable de faire des films. Chaque fois, j'ai peur.

Avez-vous toujours l'impression d'être en quête de quelque chose ?

Oui. C'est comme s'il y avait quelque chose, une autre personne qui me martyrisait, qui me faisait du mal. Chaque fois je traverse cette porte, cette ligne pour entrer dans une atmosphère un peu troublante, qui perturbe ma vie pendant au moins un an, et moi je ne peux plus dormir, plus penser, plus faire l'amour, rien, parce qu'il y a cette vie terrible, fausse, imaginaire mais réelle pour moi. Et je dois la représenter de la meilleure manière possible en matière de technique. Moi je suis obsédé par la technique, par la caméra. Alors, j'ai peur de cela, je ne suis pas tranquille.

Aimez-vous être déstabilisé alors ?

Non, moi j'aimerais être aux Seychelles, sous le soleil, sur le sable, ne rien faire et ne penser à rien ! Mais c'est un rêve, une chose impossible parce que là-bas, après un certain temps, je préférerais retourner à ma vie à New York, à Paris ou à Rome. Je recommencerais à penser à des histoires, à écrire...

Vous avez dit qu'avant vos débuts dans la réalisation, vous avez vu des milliers de films. Avez-vous un film culte ?

Non. J'étais passionné par les films de recherche, surtout les films expressionnistes allemands et le futurisme russe. Aussi le cinéma américain des années 40 et 50, les films noirs, désespérés. Egalement les films de Murnau, Fritz Lang et of course du maître Hitchcock.

Interview de Rodolphe Gianni et Christian Cools le 30 janvier 1998, trouvée
ici.