Objectif Cinéma : Beaucoup de films taiwanais sont marqués par la mélancolie, comme vos films, de quoi est-ce le symptôme ?
Tsai Ming Lang : Ce n’est pas seulement le cas du cinéma taiwanais, on voit ça de manière globale dans les films qui puisent dans l’intériorité, cette partie de tristesse, d’angoisse fait partie de notre quotidien. Il n’y a que dans le cinéma commercial que tout finit bien. Déjà dans le muet, on trouvait cette mélancolie. Ce qui est particulier à Taiwan, on le découvre en regardant la télévision qui comporte 99 chaînes, et on s’aperçoit qu’on vit dans une espèce de trouble, les gens perdent leurs repères, les gens n’ont plus vraiment de direction. On vit dans un soi-disant progrès alors qu’il y a encore des catastrophes naturelles, que les gens sont au chômage, que les jeunes ne peuvent pas payer leurs études. Ca se ressent dans le cinéma, cette incompréhension face à leur propre société.
Objectif Cinéma : Le côté pessimiste de vos films était jusqu’à maintenant comme camouflé par l’aspect comédie musicale, un peu paillette. Avec La Saveur de la Pastèque, il semble qu’il y ait une rupture, que la tristesse se révèle.
Tsai Ming Lang : Il s’agit de voir un groupe de personnes qui tournent un film porno. Ils vendent leur corps, c’est assez cruel, je ne pouvais donc pas faire autrement de montrer de cette façon là. Parallèlement, on ne peut pas vivre toujours dans la douleur, on a besoin de choses qui nous rendent heureux. Pour moi ce sont les chansons que l’on entend dans mes films, elles me donnent de l’énergie pour faire face à une certaine réalité quotidienne. On les a parfois oublié car nous sommes pris dans un engrenage moderne, mais elles sont toujours là et portent un message un peu naïf, elles sont vraies, on en a tous rêvés. Je veux dire que ces choses-là ont existé et existent toujours mais qu’on les a simplement oubliées.
Objectif Cinéma : Mais ce dernier film se termine vraiment de façon pessimiste et violente, alors que dans The Hole par exemple, même si ça se termine mal, il y a toujours une note d’espoir et de poésie.
Tsai Ming Lang : Les interprétations sont différentes selon les publics. Pour vous c’est une fin pessimiste, pour d’autre un message d’espoir sur l’amour. Cette fin reste ouverte à l’interprétation de chacun. Il est difficile de juger les réactions de personnages. Ce qui est essentiel c’est que comme dans The Hole, ça reflète l’intériorité de ces deux personnages. On ne sait pas si ça arrive réellement. Ces deux personnages, même s’ils ont une manière violente et cruelle d’atteindre leur but, c’est une manière de prouver que tout ce qu’ils ont vécu a réellement existé, comme si c’était la seule façon de conserver cet amour naissant, malgré le contexte difficile. A travers cette situation quasi-surréelle, on scrute l’intériorité de ces deux personnages.
Extrait d'un entretien réalisé par Cécile Giraud pour Objectif Cinéma et qu'on peut lire ici dans son intégralité.