Mia Hansen-Loeve : Vous défendez aussi le cinéma expérimental. Pouvez-vous me parler du cinéma d'Andy Warhol ?
Jonas Mekas : Il y a plusieurs époques dans son cinéma. La période silencieuse, la période sonore, puis une autre qui commence avec, arrivée de Paul Morrissey et des autres. Ces périodes sont très différentes les unes des autres. Pour moi, la plus importante est la silencieuse. Sleep, Empire, Heat. A cette époque, Andy est très proche de certains courants dans la musique contemporaine, comme de La Monte Young qui étire une seule note pendant quatre, cinq voire six heures. On en perçoit ainsi les variations et les échos. Il est aussi très familier de mouvements qui viennent des autres arts contemporains, notamment du théâtre de happenings, Jim Dine, Oldenburg par exemple et, bien sûr, plus tard, Fluxus. Puis, à la période sonore, des gens nouveaux imposent leur personnalité. C'est une période très riche, notamment en tant que documentation d'une certaine marge, parfois joyeuse, parfois très triste, de la société. Andy lui a permis de faire ce qu'elle avait envie. Le chef-d'œuvre de cette période, c'est naturellement Chelsea Girls (1966). S'il ne devait rester qu'un film, ce serait celui-là. Et c'est un film narratif, avec de nombreux personnages et de nombreuses histoires enchevêtrées. C'est un film très réjouissant. Puis Paul Morrissey reprend le flambeau. Moi, j'organisais les événements. Pendant la période silencieuse, tout le monde attaquait Warhol, se moquait de lui. Même aujourd'hui, la plupart des gens ne le prennent pas vraiment au sérieux. Il fallait donc que je le défende, que j'essaie de persuader, d'expliquer pourquoi Warhol est important. Il est important, parce qu'il a révélé un aspect de la société que personne n'avait montré, et d'une telle façon que personne ne peut l'imiter. Personne. On peut dire la même chose de Rossellini,d'Eisenstein, de Dreyer - de Godard, je ne suis pas si sûr. On ne peut pas imiter Rossellini, on ne peut pas imiter Dreyer, on ne peut pas imiter Renoir. A l'époque, une des critiques adressées à Warhol était : «Tout le monde peut faire pareil... » Non. Personne ne l'a imité et personne ne peut l'imiter. Ceux qui ont essayé ont échoué. L' œuvre de Warhol est bien trop liée à son époque, à son tempérament, aux gens qui l'entouraient. C'est une capsule de temps totalement unique. L' œuvre de Warhol est absolument originale. Et tout ce qu'elle contient est unique.
Propos recueillis au Café des Images, à Hérouville-Saint-Clair le 26 novembre 2003 et publiès dans les Cahiers du Cinéma n° 587