dimanche 30 octobre 2011

Lully - Atys. Acte I

SCENE 1 - La scene est en Phrygie. Le theatre represente une montagne consacrée à Cybele.
Atys
allons, allons, accourez tous,
Cybele va descendre.
Trop heureux phrygiens, venez icy l' attendre.
Mille peuples seront jaloux
des faveurs que sur nous
sa bonté va répandre

SCENE 2
Idas, Atys
allons, allons, accourez tous,
Cybele va descendre.

Atys
le soleil peint nos champs des plus vives couleurs,
il a seché les pleurs
que sur l' émail des prez a répandu l' aurore ;
et ses rayons nouveaux ont déja fait éclorre
mille nouvelles fleurs.

Idas
vous veillez lorsque tout sommeille ;
vous nous éveillez si matin,
que vous ferez croire à la fin
que c' est l' amour qui vous éveille.

Atys
non, tu dois mieux juger du party que je prens.
Mon coeur veut fuir toûjours les soins et les
mysteres ;
j' aime l' heureuse paix des coeurs indifferents ;
si leurs plaisirs ne sont pas grands,
au moins leurs peines sont legeres.

Idas
tost ou tard l' amour est vainqueur,
en vain les plus fiers s' en deffendent,
on ne peut refuser son coeur
à de beaux yeux qui le demandent.
Atys, ne feignez plus, je sçais vostre secret.
Ne craignez rien, je suis discret.
Dans un bois solitaire et sombre,
l' indifferent Atys se croyoit seul, un jour ;
sous un feüillage épais où je resvois à l' ombre,
je l' entendis parler d' amour.

Atys
si je parle d' amour, c' est contre son empire,
j' en fais mon plus doux entretien.

Idas
tel se vante de n' aymer rien,
dont le coeur en secret soûpire.
J' entendis vos regrets, et je les sçais si bien
que si vous en doutez je vais vous les redire.
Amans qui vous plaignez, vous estes trop heureux :
mon coeur de tous les coeurs est le plus amoureux,
et tout prés d' expirer je suis reduit à feindre ;
que c' est un tourment rigoureux
de mourir d' amour sans se plaindre !
Amans qui vous plaignez, vous estes trop heureux.

Atys
Idas, il est trop vray, mon coeur n' est que trop
tendre,
l' amour me fait sentir ses plus funestes coups.
Qu' aucun autre que toy n' en puisse rien apprendre.

SCENE 3 - Sangaride, Doris, Atys, Idas
Sangaride, et Doris.

Allons, allons, accourez tous,
Cybele va descendre.

Sangaride
que dans nos concerts les plus doux,
son nom sacré se fasse entendre.

Atys
sur l' univers entier son pouvoir doit s' étendre.

Sangaride
les dieux suivent ses loix et craignent son couroux.

Atys, Sangaride, Idas, Doris
quels honneurs ! Quels respects ne doit-on point luy
rendre ?
Allons, allons, accourez tous,
Cybele va descendre.

Sangaride
escoutons les oyseaux de ces bois d' alentour,
ils remplissent leurs chants d' une douceur nouvelle.
On diroit que dans ce beau jour,
ils ne parlent que de Cybele.

Atys
si vous les écoutez, ils parleront d' amour.
Un roy redoutable,
amoureux, aimable,
va devenir vostre espoux ;
tout parle d' amour pour vous.

Sangaride
il est vray, je triomphe, et j' aime ma victoire.
Quand l' amour fait regner, est-il un plus grand
bien ?
Pour vous, Atys, vous n' aimez rien,
et vous en faites gloire.

Atys
l' amour fait trop verser de pleurs ;
souvent ses douceurs sont mortelles :
il ne faut regarder les belles
que comme on voit d' aimables fleurs.
J' aime les roses nouvelles,
j' aime à les voir s' embellir,
sans leurs épines cruelles,
j' aimerois à les cueillir.

Sangaride
quand le peril est agreable,
le moyen de s' en allarmer ?
Est-ce un grand mal de trop aimer
ce que l' on trouve aimable ?
Peut-on estre insensible aux plus charmans appas ?

Atys
non vous ne me connoissez pas.
Je me deffens d' aimer autant qu' il m' est possible ;
si j' aimois, un jour, par malheur,
je connoy bien mon coeur
il seroit trop sensible.
Mais il faut que chacun s' assemble prés de vous,
Cybele pourroit nous surprendre.

Atys, et Idas.
Allons, allons, accourez tous,
Cybele va descendre.

SCENE 4 - Sangaride, Doris
Sangaride
Atys est trop heureux.

Doris
l' amitié fut toûjours égale entre vous deux,
et le sang d' assez prés vous lie :
quel que soit son bon-heur, luy portez-vous envie ?
Vous, qu' aujourd' huy l' hymen avec de si beaux
noeuds
doit unir au roy de Phrygie ?

Sangaride
Atys, est trop heureux.
Souverain de son coeur, maistre de tous ses voeux,
sans crainte, sans melancolie,
il joüit en repos des beaux jours de sa vie ;
Atys ne connoist point les tourmens amoureux,
Atys est trop heureux.

Doris
quel mal vous fait l' amour ? Vostre chagrin
m' estonne.

Sangaride
je te fie un secret qui n' est sceu de personne.
Je devrois aimer un amant
qui m' offre une couronne ;
mais, helas ! Vainement
le devoir me l' ordonne,
l' amour, pour mon tourment,
en ordonne autrement.

Doris
aimeriez-vous Atys, luy dont l' indifference
brave avec tant d' orgueil l' amour et sa puissance ?
Sangaride
j' aime, Atys, en secret, mon crime, est sans
témoins.
Pour vaincre mon amour, je mets tout en usage,
j' appelle ma raison, j' anime mon courage ;
mais à quoy servent tous mes soins ?
Mon coeur en souffre davantage,
et n' en aime pas moins.

Doris
c' est le commun deffaut des belles.
L' ardeur des conquestes nouvelles
fait negliger les coeurs qu' on a trop tost charmez,
et les indifferents sont quelquefois aimez
aux dépens des amants fidelles.
Mais vous vous exposez à des peines cruelles.

Sangaride
toûjours aux yeux d'Atys je seray sans appas ;
je le sçay, j' y consens, je veux, s' il est possible,
qu' il soit encor plus insensible ;
s' il me pouvoit aimer, que deviendrois-je ? Helas !
C' est mon plus grand bon-heur qu' Atys ne m' aime pas.
Je pretens estre heureuse, au moins, en apparence ;
au destin d' un grand roy je me vais attacher.

Sangaride, et Doris.
Un amour malheureux dont le devoir s' offence,
se doit condamner au silence ;
un amour malheureux qu' on nous peut reprocher,
ne sçauroit trop bien se cacher.

SCENE 5 - Atys, Sangaride, Doris
Atys
on voit dans ces campagnes
tous nos phrygiens s' avancer.

Doris
je vais prendre soin de presser
les nymphes nos compagnes.

SCENE 6 - Atys, Sangaride
Atys
Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.

Sangaride
nous ordonnons tous deux la feste de Cybele,
l' honneur est égal entre nous.

Atys
ce jour mesme, un grand roy doit estre vostre
espoux,
je ne vous vis jamais si contente et si belle ;
que le sort du roy sera doux !

Sangaride
l' indifferent Atys n' en sera point jaloux.

Atys
vivez tous deux contens, c' est ma plus chere envie ;
j' ay pressé vostre hymen, j' ay servy vos amours.
Mais enfin ce grand jour, le plus beau de vos jours,
sera le dernier de ma vie.

Sangaride
ô dieux !

Atys
ce n' est qu' à vous que je veux reveler
le secret desespoir où mon malheur me livre ;
je n' ay que trop sceu feindre, il est temps de
parler ;
qui n' a plus qu' un moment à vivre,
n' a plus rien à dissimuler.

Sangaride
je fremis, ma crainte est extresme ;
Atys, par quel malheur faut-il vous voir perir ?

Atys
vous me condamnerez vous mesme,
et vous me laisserez mourir.

Sangaride
j' armeray, s' il le faut, tout le pouvoir supresme...

Atys
non, rien ne me peut secourir,
je meurs d' amour pour vous, je n' en sçaurois
guerir ;

Sangaride
quoy ? Vous ?

Atys
il est trop vray.

Sangaride
vous m' aimez ?

Atys
je vous aime.
Vous me condamnerez vous mesme,
et vous me laisserez mourir.
J' ay merité qu' on me punisse,
j' offence un rival genereux,
qui par mille bien-faits a prevenu mes voeux :
mais je l' offence en vain, vous luy rendez justice ;
ah ! Que c' est un cruel suplice
d' avoüer qu' un rival est digne d' estre heureux !
Prononcez mon arrest, parlez sans vous contraindre.

Sangaride
helas !

Atys
vous soûpirez ? Je voy couler vos pleurs ?
D' un malheureux amour plaignez-vous les douleurs ?

Sangaride
Atys, que vous seriez à plaindre
si vous sçaviez tous vos malheurs !

Atys
si je vous pers, et si je meurs,
que puis-je encore avoir à craindre ?

Sangaride
c' est peu de perdre en moy ce qui vous a charmé,
vous me perdez, Atys, et vous estes aimé.

Atys
aimé ! Qu' entens-je ? ô ciel ! Quel aveu favorable !

Sangaride
vous en serez plus miserable.

Atys
mon malheur en est plus affreux,
le bonheur que je pers doit redoubler ma rage ;
mais n' importe, aimez-moy, s' il se peut, d' avantage,
quand j' en devrois mourir cent fois plus
malheureux.

Sangaride
si vous cherchez la mort, il faut que je vous
suive ;
vivez, c' est mon amour qui vous en fait la loy.

Atys
hé comment ! Hé pourquoy
voulez-vous que je vive,
si vous ne vivez pas pour moy ?

Atys et Sangaride.
Si l' hymen unissoit mon destin et le vostre,
que ses noeuds auroient eû d' attraits !
L' amour fit nos coeurs l' un pour l' autre,
faut-il que le devoir les separe à jamais ?

Atys
devoir impitoyable !
Ah quelle cruauté !

Sangaride
on vient, feignez encor, craignez d' estre écouté.

Atys
aimons un bien plus durable
que l' éclat de la beauté :
rien n' est plus aimable
que la liberté.

SCENE 7
- Atys, Sangaride, Doris, Idas choeur de phrygiens chantans. Choeur de phrygiennes chantantes. Troupe de phrygiens dançans. Troupe de phrygiennes dançantes. Dix hommes phrygiens chantans conduits par Atys. Dix femmes phrygiennes chantantes conduites par Sangaride. Six phrygiens dançans. Six nimphes phrygiennes dançantes.
Atys
mais déja de ce mont sacré
le sommet paroist éclairé
d' une splendeur nouvelle.

Sangaride s' avançant vers la montagne.
La déesse descend, allons au devant d' elle.

Atys et Sangaride.
Commençons, commençons
de celebrer icy sa feste solemnelle,
commençons, commençons
nos jeux et nos chansons.

Le choeur repete ces deux derniers vers.

Atys et Sangaride.
Il est temps que chacun fasse éclater son zele.
Venez, reine des dieux, venez,
venez, favorable Cybele.

Les choeurs repetent ces deux derniers vers.

Atys
quittez vostre cour immortelle,
choisissez ces lieux fortunez
pour vostre demeure éternelle.
Les Choeurs
venez, reine des dieux, venez.

Sangaride
la terre sous vos pas va devenir plus belle
que le sejour des dieux que vous abandonnez.

Les Choeurs
venez, favorable Cybele.

Atys et Sangaride.
Venez voir les autels qui vous sont destinez.

Atys, Sangaride, Idas, Doris, et les choeurs.
Ecoutez un peuple fidelle
qui vous appelle,
venez, reine des dieux, venez,
venez, favorable Cybele.

SCENE 8 - La déesse Cybele paroist sur son char, et les phrygiens et les phrygiennes luy témoignent leur joye et leur respect.
Cybele sur son char.
Venez tous dans mon temple, et que chacun revere
le sacrificateur dont je vais faire choix :
je m' expliqueray par sa voix,
les voeux qu' il m' offrira seront seurs de me
plaire.
Je reçoy vos respects ; j' aime à voir les honneurs
dont vous me presentez un éclatant hommage,
mais l' hommage des coeurs
est ce que j' aime davantage.
Vous devez vous animer
d' une ardeur nouvelle,
s' il faut honorer Cybele,
il faut encor plus l' aimer.
Cybele portée par son char volant, se
va rendre dans son temple. Tous les phrygiens
s' empressent d' y aller, et repetent les quatre
derniers vers que la déesse a prononcez.

Les Choeurs
nous devons nous animer
d' une ardeur nouvelle,
s' il faut honorer Cybele,
il faut encor plus l' aimer.

Tragédie en musique, ornée d'éntrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, représentée devant S.M. à Saint Germain en Laye, le 10e jour de janvier 1676 /paroles de Quinault, livret trouvé ici.