SCENE 1 - Le theatre change et represente
le temple de Cybele. Celaenus roy de Phrygie. Atys, suivans
de Celaenus.
Celaenus
n' avancez pas plus loin, ne suivez point
mes pas ;
sortez. Toy ne me quitte pas.
Atys, il faut attendre icy que la déesse
nomme un grand sacrificateur.
Atys
son choix sera pour vous, seigneur ; quelle
tristesse semble avoir surpris vostre coeur ?
Celaenus
les roys les plus puissans connoissent l' importance
d' un si glorieux choix :
qui pourra l' obtenir estendra sa puissance
par tout où de Cybele on revere les loix.
Atys
elle honore aujourd' huy ces lieux de sa presence,
c' est pour vous preferer aux plus puissans des roys.
Celaenus
mais quand j' ay veu tantost la beauté qui
m' enchante,
n' as-tu point remarqué comme elle estoit tremblante ?
Atys
à nos jeux, à nos chants, j' estois trop appliqué,
hors la feste, seigneur, je n' ay rien remarqué.
Celaenus
son trouble m' a surpris. Elle t' ouvre son ame ;
n' y découvres-tu point quelque secrette flâme ?
Quelque rival caché ?
Atys
seigneur, que dites vous ?
Celaenus
le seul nom de rival allume mon couroux.
J' ay bien peur que le ciel n' ait pû voir sans envie
le bonheur de ma vie,
et si j' estois aimé mon sort seroit trop doux.
Ne t' estonnes point tant de voir la jalousie
dont mon ame est saisie,
on ne peut bien aimer sans estre un peu jaloux.
Atys
seigneur, soyez content, que rien ne vous allarme ;
l' hymen va vous donner la beauté qui vous
charme,
vous serez son heureux espoux.
Celaenus
tu peux me rasseurer, Atys, je te veux croire,
c' est son coeur que je veux avoir,
dy-moy s' il est en mon pouvoir ?
Atys
son coeur suit avec soin le devoir et la gloire,
et vous avez pour vous la gloire et le devoir.
Celaenus
ne me déguise point ce que tu peux connaistre.
Si j' ay ce que j' aime en ce jour
l' hymen seul m' en rend-t' il le maistre ?
La gloire et le devoir auront tout fait, peut-estre,
et ne laissent pour moy rien à faire à l' amour.
Atys
vous aimez d' un amour trop delicat, trop tendre.
Celaenus
l' indifferent Atys ne le sçauroit comprendre.
Atys
qu' un indifferent est heureux !
Il joüit d' un destin paisible.
Le ciel fait un present bien cher, bien dangereux,
lorsqu' il donne un coeur trop sensible.
Celaenus
quand on aime bien tendrement
on ne cesse jamais de souffrir, et de craindre ;
dans le bonheur le plus charmant,
on est ingenieux à se faire un tourment,
et l' on prend plaisir à se plaindre.
Va songe à mon hymen, et voy si tout est prest,
laisse-moy seul icy, la deesse paraist.
SCENE 2 -Cybele, Celaenus, Melisse, troupe de prestresses de Cybele.
Cybele
je veux joindre en ces lieux la gloire et
l' abondance,
d' un sacrificateur je veux faire le choix,
et le roy de Phrygie auroit la preference
si je voulois choisir entre les plus grands roys.
Le puissant dieu des flots vous donna la naissance,
un peuple renommé s' est mis sous vostre loy ;
vous avez sans mes soins, d' ailleurs, trop de
puissance,
je veux faire un bonheur qui ne soit dû qu' à moy.
Vous estimez Atys, et c' est avec justice,
je pretens que mon choix à vos voeux soit propice,
c' est Atys que je veux choisir.
Celaenus
j' aime Atys, et je voy sa gloire avec plaisir.
Je suis roy, Neptune est mon pere,
j' espouse une beauté qui va combler mes voeux :
le souhait qui me reste à faire,
c' est de voir mon amy parfaitement heureux.
Cybele
il m' est doux que mon choix à vos desirs réponde ;
une grande divinité
doit faire sa felicité
du bien de tout le monde.
Mais sur tout le bonheur d' un roy chery des cieux
fait le plus doux plaisir des dieux.
Celaenus
le sang aproche Atys de la nymphe que j' aime,
son merite l' égale aux roys :
il soûtiendra mieux que moy-mesme
la majesté supresme
de vos divines loix.
Rien ne pourra troubler son zele,
son coeur s' est conservé libre jusqu' à ce jour ;
il faut tout un coeur pour Cybele,
à peine tout le mien peut suffire à l' amour.
Cybele
portez à vostre amy la premiere nouvelle
de l' honneur éclatant où ma faveur l' appelle.
SCENE 3 - Cybele, Melisse
Cybele
tu t' estonnes, Melisse, et mon choix te surprend ?
Melisse
Atys vous doit beaucoup, et son bonheur est grand.
Cybele
j' ay fait encor pour luy plus que tu ne peux croire.
Melisse
est-il pour un mortel un rang plus glorieux ?
Cybele
tu ne vois que sa moindre gloire ;
ce mortel dans mon coeur est au dessus des dieux.
Ce fut au jour fatal de ma derniere feste
que de l' aimable Atys je devins la conqueste :
je partis à regret pour retourner aux cieux,
tout m' y parût changé, rien n' y pleût à mes yeux.
Je sens un plaisir extrême
à revenir dans ces lieux ;
où peut-on jamais estre mieux,
qu' aux lieux où l' on voit ce qu' on aime.
Melisse
tous les dieux ont aimé, Cybele aime à son tour.
Vous méprisiez trop l' amour,
son nom vous sembloit étrange,
à la fin il vient un jour
où l' amour se vange.
Cybele
j' ay crû me faire un coeur maistre de tout son sort,
un coeur toûjours exempt de trouble et de tendresse.
Melisse
vous braviez à tort
l' amour qui vous blesse ;
le coeur le plus fort
à des momens de foiblesse.
Mais vous pouviez aimer, et descendre moins bas.
Cybele
non, trop d' égalité rend l' amour sans appas.
Quel plus haut rang ay-je à pretendre ?
Et dequoy mon pouvoir ne vient-il point à bout ?
Lors qu' on est au dessus de tout,
on se fait pour aimer un plaisir de descendre.
Je laisse aux dieux les biens dans le ciel preparez,
pour Atys, pour son coeur, je quitte tout sans
peine,
s' il m' oblige à descendre, un doux penchant
m' entraîne ;
les coeurs que le destin a le plus separez,
sont ceux qu' amour unit d' une plus forte chaîne.
Fay venir le sommeil ; que luy-mesme en ce jour,
prenne soin icy de conduire
les songes qui luy font la cour ;
Atys ne sçait point mon amour,
par un moyen nouveau je pretens l' en instruire.
Melisse se retire.
Cybele
que les plus doux zephirs, que les peuples divers,
qui des deux bouts de l' univers
sont venus me montrer leur zele,
celebrent la gloire immortelle
du sacrificateur dont Cybele a fait choix,
Atys doit dispenser mes loix,
honorez le choix de Cybele.
SCENE 4 - Les zephirs paroissent dans une gloire élevée et brillante. Les peuples differens qui sont venus à la feste de Cybele entrent dans le temple, et tous ensemble s' efforcent d' honorer Atys, qui vient revestu des habits de grand sacrificateur. Cinq zephirs dançans dans la gloire.Huit zephirs joüants du haut-bois et des cromornes, dans la gloire. Cinq zephirs joüants du haut-bois. Trois cromornes joüants dans la gloire. Troupe de peuples differens chantans qui accompagnent Atys. Six indiens et six egiptiens dançans. Six indiens. Six egiptiens.
Choeurs des peuples et des zephirs.
Celebrons la gloire immortelle
du sacrificateur dont Cybele a fait choix :
Atys doit dispenser ses loix,
honorons le choix de Cybele.
Que devant vous tout s' abaisse, et tout tremble ;
vivez heureux, vos jours sont nostre espoir :
rien n' est si beau que de voir ensemble
un grand merite avec un grand pouvoir.
Que l' on benisse
le ciel propice,
qui dans vos mains
met le sort des humains.
Atys
indigne que je suis des honneurs qu' on m' adresse,
je dois les recevoir au nom de la déesse ;
j' ose, puis qu' il luy plaist, luy presenter vos voeux :
pour le prix de vostre zele,
que la puissante Cybele
vous rende à jamais heureux.
Choeurs des peuples et des zephirs.
Que la puissante Cybele
nous rende à jamais heureux.
Tragédie en musique, ornée d'éntrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, représentée devant S.M. à Saint Germain en Laye, le 10e jour de janvier 1676 /paroles de Quinault, livret trouvé ici.