Martine Kahane : En janvier 1676, Louis XIV régnait depuis quinze ans. Il atteignait une quarantaine brillante et ne dansait plus. On n’habitait pas encore Versailles et c’est à Saint-Germain-en-Laye qu’on préparait Atys. Cette création fut un triomphe. Le roi fit reprendre le spectacle à la cour et à la ville, jusqu’à la mort de Lully et au-delà dans des versions moins authentiques. Puis deux siècles de silence recouvrent l’œuvre. Jusqu’au jour de 1985 où Massimo Bogianckino, Florentin comme le compositeur et alors directeur de l’Opéra de Paris, décide avec son collaborateur Thierry Fouquet, qui se trouve à la tête de la Salle Favart, d’y célébrer le tricentenaire de la mort de Lully. Ils s’adressent à vous et vous donnent carte blanche pour le choix du titre.
Jean-Marie Villégier : William Christie et moi nous sommes rencontrés en Avignon cet été-là, au bar de l’Hôtel d’Europe, pour discuter de notre choix parmi les œuvres du tandem Lully-Quinault.
William Christie : Nous avons d’abord retenu Thésée, Bellérophon et Atys. Puis tu as vite tranché en faveur d’Atys, convaincu de sa supériorité dramatique sur les deux autres.
Jean-Marie Villégier : Je ne pouvais en juger que d’après le texte, la musique m’étant alors inconnue. Le livret, en effet excellent, était considéré par Voltaire et ses contemporains comme une œuvre majeure du siècle de Louis XIV. Quinault faisait l’objet d’une admiration générale au XVIIIe siècle.
Agnès Terrier : Ses livrets furent repris à l’Opéra jusqu’à la Révolution et remis en musique par d’autres compositeurs : Gluck, Jean-Chrétien Bach et Piccinni. Celui-ci signa en 1780 un nouvel Atys sur le livret de Quinault révisé par Marmontel. Qu’estimez-vous plus particulièrement réussi dans le livret ainsi que dans le sujet ?
Jean-Marie Villégier : Plusieurs caractéristiques distinguent Atys des autres réalisations du tandem. D’abord, Quinault y pousse au maximum le flirt de la tragédie en musique avec la tragédie classique, plus précisément avec la tragédie racinienne. La présence des machines y est réduite et l’unité d’action y est respectée, avec peu d’épisodes divergents et presque sans incursion vers la comédie. Prologue mis à part, on n’y trouve qu’un seul personnage divin, Cybèle, qui nourrit des passions très humaines. Tout le contraire d’Alceste où les dieux pullulent ! Le dénouement sanglant, qui fut qualifié de « barbare » par La Harpe au siècle suivant, fait exception dans le genre de la tragédie lyrique où les fins sont souvent heureuses.
Martine Kahane : Atys est une tragédie en musique, ce qui signifie que la danse y occupe une place cruciale.
Jean-Marie Villégier : Je dois à Thierry Fouquet d’avoir rencontré Francine Lancelot, un choix validé à cent pour cent par William. Notre grande tristesse est qu’elle ne soit plus là pour reprendre le spectacle qui lui doit beaucoup. Heureusement, nous collaborons en 2011 avec Béatrice Massin qui fut son assistante dès l’origine.
Martine Kahane : Comment avez-vous abordé la partition ?
William Christie : Je dirigeais une classe de musique vocale baroque au CNSMDP où nous explorions un répertoire et des pratiques encore peu répandus. J’ai tout naturellement employé mes étudiants comme des « cobayes ». Nous avons commencé par lire le livret, la première condition d’un e bonne interprétation consistant à connaître et comprendre les paroles. Ainsi, en abordant la partition, nous avons pu apprécier l’énergie qu’elle apportait aux paroles et la vitesse qu’elle insufflait à l’action scénique, en accélération constante jusqu’à l’extraordinaire fin du 4e acte, avant le désastre final du 5e. Nous étions admiratifs de la qualité des divertissements chorégraphiques et de leur intégration si intelligente à l’action dramatique. Enfin l’expressivité de la musique a été une source constante d’étonnement : tous les moments importants que nous avions repérés dans le livret recevaient un traitement mélodique spécifique, juste et inoubliable.
La simplicité et l’homogénéité de l’œuvre m’avaient convaincu avant même notre rencontre en Avignon !
Jean-Marie Villégier : C’est avec cette petite équipe du Conservatoire que tu as réalisé, au Petit Théâtre *salle de répétition+ de l’Opéra Comique, l’enregistrement de travail qui m’a permis ainsi qu’à Francine de préparer le spectacle.
Agnès Terrier : La simplicité de la partition provient-elle du respect de Lully pour les paroles du livret ?
William Christie : Il est rare en effet d’observer un équilibre aussi parfait dans le répertoire vocal occidental. Les ouvrages de Lully peuvent être rapprochés des premiers opéras italiens du début du XVIIe siècle. Ce moment de grâce fut d’aussi courte durée ici qu’outre-mont car les compositeurs et le public italiens puis français cédèrent rapidement à la séduction du lyrisme virtuose et au culte du chanteur.
Martine Kahane : Comment se présentait la partition ?
William Christie : À la Bibliothèque nationale de France se trouvait un microfilm de l’édition Ballard dont on ne pouvait obtenir une copie qu’au terme d’un très long délai. Je me suis donc tourné vers la Library of Congress de Washington qui m’a procuré très rapidement un fac-similé. Nous avons eu cette chance de disposer d’une excellente édition parue peu de temps après la mort de Lully : elle comporte les parties de remplissage pour les voix intermédiaires de hautecontre, taille et quinte, ainsi que de précieuses indications d’orchestration signalant où interviennent flûtes et hautbois. Nous avons donc pu nous focaliser sur la réalisation de la basse continue et sur le choix des instruments du continuo, ce qui reste à charge des interprètes dans toute la musique de cette époque. Nous avons ainsi reconstitué l’orchestre de Lully dans la fosse de la Salle Favart.
Agnès Terrier : Comment avez-vous construit votre interprétation ?
Jean-Marie Villégier : Le livret situe l’action dans un milieu de pastorale mythologique. Or nous savons que chacun, à la Cour comme à la Ville, s’ingéniait à trouver dans les œuvres de Lully et Quinault des allusions, des « applications » à la vie personnelle du Roi, à ses amours. À l’automne du règne, lors des soirées musicales des Appartements, on jouait et rejouait des extraits de ces opéras en versions de concert, sans machines, avec une poignée de membres de la famille royale et d’artistes comme Couperin, Hotteterre et Marais. J’ai choisi de placer l’œuvre dans ce contexte, plus précisément à la Cour de Louis XIV vingt ans après Atys, lorsque le roi, sous l’influence de Madame de Maintenon et d’une série de grands deuils, se déprend de la tragédie lyrique. Cette Cour endeuillée célèbre indéfiniment le deuil d’Atys. Dans le prologue de l’opéra en effet, Melpomène déclare que Cybèle souhaite renouveler le souvenir de son amour. La tragédie se présente donc à la fois comm e une action dramatique et comme une célébration, une grande pompe funèbre ordonnée par la déesse. Par rapport aux sources parcimonieuses (dans Les Fastes et Les Métamorphoses d’Ovide), Quinault invente
le fait que Sangaride et Atys sont secrètement amoureux avant le début de l’œuvre. Dès lors que Cybèle a choisi Atys pour grand-prêtre et Sangar le roi Célénus pour gendre, les amants sont condamnés à la soumission et au secret. L’œuvre reflète ce que Saint-Simon désigne comme une « cour dangereuse », où la soumission et le secret sont de règle.
Martine Kahane : Quels choix de décor avez-vous fait ?
Jean-Marie Villégier : Le livret mentionnant six décors - celui du prologue et ceux des cinq actes -, l’idée du décor unique ne s’est pas imposée immédiatement. Lorsqu’elle a commencé à germer, je pensais que ce décor serait traversé, brisé par des objets mystérieux, des objets volants, autant d’irruptions du merveilleux. C’est en fin de réflexion que j’ai choisi de me référer au fastueux mobilier d’argent des Grands Appartements, fondu en 1689 pour financer la guerre de la ligue d’Augsbourg. Ce trône, ces banquettes, ces torchères et ces consoles figurent dans le spectacle une sorte d’outillage magique et remplacent les effets de machinerie spectaculaire indiqués dans le livret. Tommasi s’est inspiré d’une petite gravure que je lui ai remise pour concevoir ce vestibule de tragédie, où les veines d’un marbre sombre forment une tache symétrique obtenue comme par pliage : semblable à un test de Rorschach, elle stimule l’imaginaire. Quelques années après « Atys », j’ai monté une tragi-comédie de Quinault, Le Fantôme amoureux, et je lus alors à propos d’Atys dans une grosse thèse sur Quinault signée Étienne Gros : « On pourrait songer à monter l’œuvre dans un décor unique ». Cet universitaire aixois des années vingt était arrivé à la même évidence que moi par l’analyse littéraire.
Martine Kahane : Qu’en fut-il des costumes ?
Jean-Marie Villégier : Patrice Cauchetier a opéré de magistrales variations à partir d’une autre source : les gravures représentant les Grands Appartements. On sait que ces soirées versaillaises rassemblaient les courtisans lorsqu’il n’y avait pas de spectacle, soit les lundis, mercredis et vendredis. D’abord plaisantes, ces soirées sont devenues pesantes. On soupirait : « Ce soir, il y a Appartement ! » Le roi jouait au billard, la reine aux cartes et elle perdait beaucoup d’argent. On ne sait rien des couleurs des costumes mais le fait de les observer aujourd’hui sur des tirages brillants de gravures noir et blanc nous a amenés à penser le spectacle en noir, blanc, gris et argent, à matérialiser dans les costumes le deuil collectif de la Cour.
Dans ma documentation de départ, j’avais rassemblé beaucoup d’images de pompes funèbres, des cérémonies qui étaient toujours somptueuses. Les GrandsAppartements nous ont aidés à réduire la pompe tout en restant funèbres. Notre choix interprétatif s’est avéré économique : chaque choriste incarnant un courtisan, il ne
change pas de costume à chaque acte comme le préconise le livret, qui attribue à chacun plusieurs rôles. Seuls les interprètes des Songes ainsi qu’Atys se changent en cours de spectacle pour un total de cent quinze costumes qui, parfaitement conservés au Centre national du costume de scène à Moulins, font l’objet d’une restauration pour la recréation du spectacle.
Martine Kahane : Quels chanteurs avez-vous rassemblés pour constituer cette Cour dangereuse ?
William Christie : Nous avons sélectionné les chanteurs à deux afin que leur physique et leur théâtralité soient aussi conformes au projet que leur musicalité, leur niveau de français et leur sens du langage, qualité encore trop rare chez les chanteurs. Peut-on imaginer cette musique si dépouillée et si simple privée de la musicalité de la langue ? Elle serait d’une fadeur insupportable. Nous avons eu énormément de plaisir à travailler la partition dans le but de restituer cette langue.
Jean-Marie Villégier : L’importance de la déclamation constitue en effet un aspect capital du travail de William sur Atys. La musique est si étroitement liée à l’expression langagière.
Agnès Terrier : Avez-vous songé à reconstituer la prononciation d’époque ?
William Christie : Nous en avons évoqué la possibilité mais avons pris ce que je crois être une bonne décision : présenter l’œuvre en français moderne tout en rehaussant le texte par les moyens rhétoriques, inflexions et accents, employés par Lully lui-même.
Martine Kahane : Peu de temps après vous avoir réunis pour préparer cette production, Massimo Bogianckino fut élu maire de Florence. Le partenariat monté par Thierry Fouquet entre l’Opéra de Paris, le Teatro Comunale, l’Opéra de Montpellier alors dirigé par Henri Maier et le Théâtre de Caen dirigé par François-Xavier Hauville permit de dégager le budget nécessaire. Le Comunale étant alors en travaux, la production fut répétée d’abord à l’Opéra Comique puis cr éée au Teatro Metastasio de Prato en décembre 1986. Ce fut immédiatement un événement.
William Christie : En effet. Ainsi, tout près de Prato habitait l’historien de l’art John Pope-Hennessy, ancien directeur du British Museum. Ayant entendu parler de la chose, il est venu avec le grand critique musical Andrew Porter du New Yorker. Ils ont été frappés par l’œuvre et le spectacle. Pope-Hennessy a passé une partie de la nuit au téléphone à mobiliser de nouveaux spectateurs. Si bien que lorsque nous sommes arrivés à Paris, ce qu’on appelle le « buzz » battait son plein et était perceptible dans le théâtre mais aussi dans la rue.
Agnès Terrier : Lorsque le public a découvert le spectacle, a-t-on d’emblée perçu la dimension interprétative de votre travail ?
William Christie : Non, les gens m’arrêtaient dans la rue pour me féliciter pour ce retour aux costumes d’époque et aux perruques qui semblaient avoir cruellement manqué ! Évidemment, ces éléments visuels évoquent le Grand Siècle. Pour autant, il n’y a reconstitution ni scénographique, ni musicale. Ce que je n’aurais pas dit il y a vingt-cinq ans, je ne crains pas de l’affirmer aujourd’hui : la part de William Christie dans la réalisation musicale est considérable ! Peut-être avons-nous produit une version postmoderne de l’œuvre ? En tout cas, c’est parce qu’elle appartient résolument à la fin du XXe siècle qu’elle a été efficace.
Jean-Marie Villégier : Qu’elle procède ou non à une actualisation, une mise en scène est par définition éphémère, comme le regard d’un temps sur un autre temps. Son espérance de vie est limitée. Il n’existe pas de mise en scène idéale. Atys vivra au-delà de nous, sous d’autres regards et c’est bien ainsi.
Martine Kahane : Votre spectacle a tout de même fait découvrir à une génération de spectateurs Lully, Quinault, Atys et l’opéra politique de la cour de Louis XIV. Ce que nous avions lu dans les livres, nous l’avons appréhendé au théâtre : ce fut une révolution.
Agnès Terrier : Atys a-t-il eu un impact aussi important dans le milieu théâtral ?
Jean-Marie Villégier : Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Notre conception du répertoire classique a été fixée lors de la fondation de la Comédie-Française en 1680. Molière et Racine, un peu de Corneille, tel est son patrimoine initial. Le théâtre de la Renaissance, le théâtre « baroque » tombent alors dans l’oubli. À la Comédie-Française, grâce à Jean-Pierre Vincent, j’ai monté La Mort de Sénèque, tragédie que Tristan L’Hermite avait écrite pour le jeune Molière et qui n’y avait jamais été jouée. Avec ma compagnie, j’ai monté des œuvres de Larivey, Hardy, Mairet, Brosse, Rotrou. J’ai présenté quatre pièces de Garnier, contemporain de Shakespeare. Sa Troade est un chef-d'œuvre.
William Christie : De même que son Hippolyte que nous avions évoqué lorsque nous avons monté Hippolyte et Aricie de Rameau à l’Opéra de Paris en 1997. Je demeure convaincu que si les acteurs renouaient avec l’art de la déclamation et un travail vocal comparable à celui des chanteurs, le répertoire parlé baroque serait en aussi bonne santé que le répertoire lyrique. Quel dommage !
Jean-Marie Villégier : Le travail d’exploration mené par Les Arts Florissants montre la voie. Il faut s’interroger sur la mémoire et sur l’oubli.
William Christie : Nous partageons le même intérêt pour un autre théâtre, comme les comédies ballets par exemple, un répertoire extraordinaire ! Pensez que si l’on rétablit la partie musicale de ces œuvres, on récupère des milliers de vers écrits par Molière lui-même et la belle musique de divertissements que Lully a su parfaitement intégrer aux comédies ! Il est très rare qu’on puisse voir ces pièces dans leur intégralité et je me suis passionné pour L’Amour médecin et Le Sicilien, que nous avons montés ensemble à la Comédie-Française en 2005.
Agnès Terrier : 26 représentations d’Atys en 1986-1987, 19 lors de la reprise de 1989 qui vous a menés jusqu’à la Brooklyn Academy of Music de New York, 26 lors de la reprise de 1992 où vous êtes repartis à la BAM et avez aussi conquis le Teatro de la Zarzuela à Madrid. Le spectacle a-t-il évolué durant cette période ?
Jean-Marie Villégier : Il faut d’abord souligner un fait exceptionnel, c’est que le spectacle a toujours été interprété par le même ensemble et dirigé par le même chef d’orchestre, alors que tant de productions lyriques changent de conception musicale au gré des reprises. D’autre part, il y a eu un véritable passage de témoin au sein de la distribution, plusieurs chanteurs progressant comme par promotion interne du statut de choriste à celui de soliste, de petits à de grands rôles. Ces deux spécificités ont permis à notre travail de se dérouler dans un esprit de troupe presque unique de nos jours et ont favorisé un véritable approfondissement de l’interprétation et du spectacle, qui n’a cessé de se bonifier.
William Christie : Interprétation qui, comme on le sait, repose dans la musique baroque sur l’engagement créatif de chaque artiste. Il est vrai qu’Atys s’est avéré une pépinière pour tout le mouvement baroque français, si l’on songe que Marc Minkowski, Christophe Rousset, Hugo Reyne, Hervé Niquet et tant d’autres y participaient en 1987 comme musiciens ou comme choristes !
Martine Kahane : Qu’est-ce que ce spectacle a changé dans vos vies ?
William Christie : Atys a permis aux Arts Florissants de se consolider à un moment délicat et nous a engagés dans un fructueux compagnonnage avec la Ville de Caen qui dure depuis plus de vingt ans. Nous avons aussi continué à travailler avec Jean-Marie dans un partenariat d’une grande richesse et monté Médée à l’Opéra Comique en 1993, Rodelinda à Glyndebourne en 1998, Les Métamorphoses de Psyché en 1999. Enfin, c’est un plaisir d’entendre que 1987 marque pour beaucoup le tournant du renouveau baroque : le public a alors pris conscience de l’importance du répertoire de Lully à Rameau et les grandes institutions les inscrivent désormais dans leurs saisons.
Jean-Marie Villégier : Je dois aussi au succès d’Atys d’avoir été nommé à la direction du Théâtre national de Strasbourg, sur proposition de Jack Lang, par Bernard Faivre d’Arcier. L’aventure fut brève, trop brève, mais passionnante. Je suis fier des trois saisons que j’y ai programmées. Je lui dois d’avoir retrouvé Les Arts Flo sur les spectacles que William vient d’évoquer, spectacles qui, je crois, n’étaient pas indignes d’Atys.
Martine Kahane : En 2011, vous reprenez ce spectacle ou plutôt vous en présentez une recréation qui donnera aussi lieu à une diffusion en direct sur plusieurs media, à la production du premier DVD lyrique en 3D et à la publication de la partition aux Éditions des Abbesses. Qu’est-ce qui a rendu possible cette ultime métamorphose d’Atys ?
William Christie : Lors des splendides représentations versaillaises de juin 1987, un public mondain et international s’était pressé à l’Opéra Royal. C’est ainsi que Ronald P. Stanton découvrit le spectacle. J’ai rencontré il y a environ trois ans cet Américain fortuné, francophile, dirigeant d’une grande entreprise internationale. Il voulait me parler d’Atys et avait sollicité la Brooklyn Academy of Music dont il est un mécène. Lors d’un charmant déjeuner, il m’a confié souhaiter revoir Atys avant sa mort. J’ai adoré la candeur avec laquelle il m’a raconté comment Atys avait changé sa vie. Est-ce que j’acceptais de diriger à nouveau le spectacle s’il assumait le coût de la production ? Cette recréation a lieu grâce à lui. Elle mobilise sensiblement les mêmes producteurs : Caen, Versailles, New York, l’Opéra Comique ayant retrouvé son autonomie et l’Opéra de Bordeaux dirigé par Thierry Fouquet.
Agnès Terrier : En quoi est-ce une recréation plus qu’une reprise ?
William Christie : Il serait malhonnête d’annoncer une copie conforme. De l’équipe d’origine, nous ne retrouverons que Nicolas Rivenq et Bernard Deletré. Nous avons de nouveaux chanteurs dont il faut respecter l’art et la personnalité. Stéphanie d’Oustrac succède à Guillemette Laurens et à Jennifer Smith dans le rôle de Cybèle : ces trois merveilleuses interprètes auront chacune bâti le personnage avec leurs individualités. C’est notre jeune promotion du Jardin des Voix qui interprètera le prologue, choix hautement symbolique ! Lorsque j’écoute l’enregistrement réalisé en 1987 et que nous rééditions cette année, je dis fièrement qu’il n’a pas vieilli : sa fraîcheur est intacte. Mais comme j’ai évolué durant ces vingt-quatre années, mes idées ne sont plus forcément les mêmes. Il y aura des changements dans l’orchestration, en grande partie redevables aux personnalités qui constitueront le continuo. Débit et architecture de la musique, en lien étroit avec la scène, ne changeront pas. Je dois rester fidèle à l’extraordinaire architecture du spectacle définie par Jean-Marie et Francine : je suis bien encadré !
Jean-Marie Villégier : Je pourrais reprendre les mots de William. Je vais pour la première fois de ma carrière noter ma mise en scène d’après les documents vidéo de l’époque. Je compte sur cela et sur l’aide de Christophe Galland, qui était mon assistant à l’époque, pour centrer ensuite mon travail sur les personnalités des nouveaux interprètes. Faire une mise en scène, c’est inventer un jeu de société. On crée les cartes, on définit les règles du jeu. Ensuite, on joue les parties avec des personnes. Chaque reprise consiste à jouer le même jeu, mais une autre partie avec d’autres partenaires.
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