SCENE 1 - Le theatre change et represente des jardins agreables. Celaenus, Cybele, Melisse.
Celaenus
vous m' ostez Sangaride ? Inhumaine Cybelle ;
est-ce le prix du zele
que j' ay fait avec soin éclater à vos yeux ?
Preparez-vous ainsi la douceur eternelle
dont vous devez combler ces lieux ?
Est-ce ainsi que les roys sont protegez des dieux ?
Divinité cruelle,
descendez-vous exprés des cieux
pour troubler un amour fidelle ?
Et pour venir m' oster ce que j' aime le mieux ?
Cybele
j' aimois Atys, l' amour a fait mon injustice ;
il a pris soin de mon suplice ;
et si vous estes outragé,
bien-tost vous serez trop vangé.
Atys adore Sangaride.
Celaenus
Atys l' adore ? Ah le perfide !
Cybele
l' ingrat vous trahissoit, et vouloit me trahir :
il s' est trompé luy-mesme en croyant m' ébloüir.
Les zephirs l' ont laissé, seul, avec ce qu' il aime,
dans ces aimables lieux ;
je m' y suis cachée à leurs yeux ;
j' y viens d' estre témoin de leur amour extresme.
Celaenus
ô ciel ! Atys plairoit aux yeux qui m' ont charmé ?
Cybele
eh pouvez-vous douter qu' Atys ne soit aimé ?
Non, non, jamais amour n' eût tant de violence,
ils ont juré cent fois de s' aimer malgré nous,
et de braver nostre vengeance ;
ils nous ont appellez cruels, tyrans, jaloux ;
enfin leurs coeurs d' intelligence,
tous deux... ah je fremis au moment que j' y pense !
Tous deux s' abandonnoient à des transports si doux,
que je n' ay pû garder plus long-temps le silence :
ny retenir l' éclat de mon juste couroux.
Celaenus
la mort est pour leur crime une peine legere.
Cybele
mon coeur à les punir est assez engagé ;
je vous l' ay déja dit, croyez-en ma colere,
bien-tost vous serez trop vangé.
SCENE 2 - Atys, Sangaride, Cybele, Celaenus, Melisse, troupe de prestresses de Cybele.
Cybele et Celaenus
Venez vous livrer au suplice.
Atys, et Sangaride
Quoy la terre et le ciel contre nous sont armez ?
Souffrirez-vous qu' on nous punisse ?
Cybele, et Celaenus
Oubliez-vous vostre injustice ?
Atys et Sangaride
Ne vous souvient-il plus de nous avoir aimez ?
Cybele et Celaenus
Vous changez mon amour en haine legitime.
Atys et Sangaride
Pouvez-vous condamner
l' amour qui nous anime ?
Si c' est un crime,
quel crime est plus à pardonner ?
Cybele et Celaenus
Perfide, deviez-vous me taire
que c' estoit vainement que je voulois vous plaire ?
Atys et Sangaride
Ne pouvant suivre vos desirs,
nous croyons ne pouvoir mieux faire
que de vous épargner de mortels déplaisirs.
Cybele
d' un suplice cruel craignez l' horreur extresme.
Cybele et Celaenus
Craignez un funeste trépas.
Atys et Sangaride
Vangez-vous, s' il le faut, ne me pardonnez pas,
mais pardonnez à ce que j' aime.
Cybele et Celaenus
C' est peu de nous trahir, vous nous bravez, ingrats ?
Atys et Sangaride
Serez-vous sans pitié ?
Cybele et Celaenus
Perdez toute esperance.
Atys et Sangaride
L' amour nous a forcez à vous faire une offence,
il demande grace pour nous.
Cybele et Celaenus
L' amour en couroux
demande vengeance.
Cybele
toy, qui portes par tout et la rage et l' horreur,
cesse de tourmenter les criminelles ombres,
vien, cruelle alecton, sors des royaumes sombres,
inspire au coeur d' Atys ta barbare fureur.
SCENE 3 - Alecton, Atys, Sangaride, Cybele, Celaenus, Melisse, Idas, Doris, troupe de prestresses de Cybele, choeur de phrygiens. Alecton sort des enfers, tenant à la main un flambeau qu' elle secouë en volant et en passant au dessus d' Atys.
Atys
ciel ! Quelle vapeur m' environne !
Tous mes sens sont troublez, je fremis, je
frissonne,
je tremble, et tout à coup, une infernale ardeur
vient enflammer mon sang, et devorer mon coeur.
Dieux ! Que vois-je ? Le ciel s' arme contre la
terre ?
Quel desordre ! Quel bruit ! Quel éclat de tonnerre !
Quels abysmes profonds sous mes pas sont ouverts !
Que de fantosmes vains sont sortis des enfers !
Il parle à Cybele, qu' il prend pour Sangaride.
Sangaride, ah fuyez la mort que vous prepare
une divinité barbare :
c' est vostre seul peril qui cause ma terreur.
Sangaride
Atys reconnoissez vostre funeste erreur.
Atys prenant Sangaride pour un monstre
Quel monstre vient à nous ! Quelle fureur le guide !
Ah respecte, cruel, l' aimable Sangaride.
Sangaride
Atys, mon cher Atys.
Atys
quels hurlements affreux !
Celaenus à Sangaride
Fuyez, sauvez-vous de sa rage.
Atys tenant à la main le cousteau sacré
qui sert aux sacrifices.
Il faut combatre ; amour, seconde mon courage.
Atys court aprés Sangaride qui fuït dans un des costez du theatre.
Celaenus, et le choeur.
Arreste, arreste malheureux.
Celaenus court aprés Atys.
Sangaride dans un des costez du theatre
Atys !
Le Choeur
ô ciel !
Sangaride
je meurs.
Le Choeur
Atys, Atys luy-mesme,
fait perir ce qu' il aime !
Celaenus revenant sur le theatre
Je n' ay pû retenir ses efforts furieux,
Sangaride expire à vos yeux.
Cybele
Atys me sacrifie une indigne rivale.
Partagez avec moy la douceur sans égale,
que l' on gouste en vengeant un amour outragé.
Je vous l' avois promis.
Celaenus
ô promesse fatale !
Sangaride n' est plus, et je suis trop vangé.
Celaenus se retire au costé du theatre, où est
Sangaride morte.
SCENE 4 - Atys, Cybele, Idas, Melisse, choeur de phrygiens.
Atys
que je viens d' immoler une grande victime !
Sangaride est sauvée, et c' est par ma valeur.
Cybele touchant Atys
Acheve ma vengeance, Atys, connoy ton crime,
et repren ta raison pour sentir ton malheur.
Atys
un calme heureux succede aux troubles de mon coeur.
Sangaride, nymphe charmante,
qu' estes-vous devenue ? Où puis-je avoir recours ?
Divinité toute puissante,
Cybele, ayez pitié de nos tendres amours,
rendez-moy, Sangaride, espargnez ses beaux jours.
Cybele montrant à Atys Sangaride morte
Tu la peux voir, regarde.
Atys
ah quelle barbarie !
Sangaride a perdu la vie !
Ah quelle main cruelle ! Ah quel coeur inhumain ! ...
Cybele
les coups dont elle meurt sont de ta propre main.
Atys
moy, j' aurois immolé la beauté qui m' enchante ?
ô ciel ! Ma main sanglante
est de ce crime horrible un tesmoin trop certain !
Le Choeur
Atys, Atys luy-mesme,
fait perir ce qu' il aime.
Atys
quoy, Sangaride est morte ? Atys est son boureau !
Quelle vengeance ô dieux ! Quel supplice nouveau !
Quelles horreurs sont comparables
aux horreurs que je sens ?
Dieux cruels, dieux impitoyables,
n' estes-vous tout-puissants
que pour faire des miserables ?
Cybele
Atys, je vous ay trop aimé :
cét amour par vous-mesme en couroux transformé
fait voir encor sa violence :
jugez, ingrat, jugez en ce funeste jour,
de la grandeur de mon amour
par la grandeur de ma vengeance.
Atys
barbare ! Quel amour qui prend soin d' inventer
les plus horribles maux que la rage peut faire !
Bien-heureux qui peut éviter
le malheur de vous plaire.
ô dieux ! Injustes dieux ! Que n' estes-vous mortels ?
Faut-il que pour vous seuls vous gardiez la
vengeance ?
C' est trop, c' est trop souffrir leur cruelle
puissance,
chassons-les d' icy bas, renversons leurs autels.
Quoy, Sangaride est morte ? Atys, Atys luy-mesme
fait perir ce qu' il aime.
Le Choeur
Atys, Atys luy-mesme
fait perir ce qu' il aime.
Cybele ordonnant d' emporter le corps de Sangaride morte
Ostez ce triste objet.
Atys
ah ! Ne m' arrachez pas
ce qui reste de tant d' appas :
en fussiez-vous jalouse encore,
il faut que je l' adore
jusques dans l' horreur du trépas.
SCENE 5 - Cybele, Melisse
Cybele
je commence à trouver sa peine trop cruelle,
une tendre pitié rappelle
l' amour que mon couroux croyoit avoir banny,
ma rivale n' est plus, Atys n' est plus coupable,
qu' il est aisé d' aimer un criminel aimable
aprés l' avoir puny.
Que son desespoir m' espouvante !
Ses jours sont en peril, et j' en fremis d' effroy :
je veux d' un soin si cher ne me fier qu' à moy,
allons... mais quel spectacle à mes yeux se presente ?
C' est Atys mourant que je voy !
SCENE 6 - Atys, Idas, Cybele, Melisse, prestresses de Cybele.
Idas soûtenant Atys
Il s' est percé le sein, et mes soins pour sa vie
n' ont pû prevenir sa fureur.
Cybele
ah ! C' est ma barbarie,
c' est moy, qui luy perce le coeur.
Atys
je meurs, l' amour me guide
dans la nuit du trépas ;
je vais où sera Sangaride,
inhumaine, je vais où vous ne serez pas.
Cybele
Atys, il est trop vray, ma rigueur est extresme,
plaignez-vous, je veux tout souffrir.
Pourquoy suis-je immortelle en vous voyant perir ?
Atys, et Cybele
Il est doux de mourir
avec ce que l' on aime.
Cybele
que mon amour funeste armé contre moy-mesme,
ne peut-il vous venger de toutes mes rigueurs.
Atys
je suis assez vengé, vous m' aimez, et je meurs.
Cybele
malgré le destin implacable
qui rend de ton trépas l' arrest irrevocable,
Atys, sois à jamais l' objet de mes amours :
reprens un sort nouveau, deviens un arbre aimable
que Cybele aimera toûjours.
Atys prend la forme de l' arbre aimé de la déesse Cybele, que l' on appelle pin.
Cybele
venez furieux corybantes,
venez joindre à mes cris vos clameurs esclatantes ;
venez, nymphes des eaux, venez dieux des forests,
par vos plaintes les plus touchantes
secondez mes tristes regrets.
SCENE 7 - Cybele, troupe de nymphes des eaux, troupe de divinitez des bois, troupe de corybantes. Quatre nymphes chantantes. Huit dieux des bois chantants. Quatorze corybantes chantantes. Huit corybantes dançantes. Trois dieux des bois, dançants. Trois nymphes dançantes.
Cybele
Atys, l' aimable Atys, malgré tous ses attraits,
descend dans la nuit éternelle ;
mais malgré la mort cruelle,
l' amour de Cybele
ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
celebrez son nouveanelle ;
mais malgré la mort cruelle,
l' amour de Cybele
ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
celebrez son nouveanelle ;
mais malgré la mort cruelle,
l' amour de Cybele
ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
celebrez son nouveau destin,
pleurez sa funeste avanture.
Choeur des nymphes des eaux, et des
divinitez des bois.
Celebrons son nouveau destin,
pleurons sa funeste aventure.
Cybele
que cét arbre sacré
soit reveré
de toute la nature.
Qu' il s' esleve au dessus des arbres les plus beaux :
qu' il soit voisin des cieux, qu' il regne sur les
eaux ;
qu' il ne puisse brûler que d' une flame pure.
Que cét arbre sacré
soit reveré
de toute la nature.
Le choeur repete ces trois derniers vers.
Cybele
que ses rameaux soient toûjours verds :
que les plus rigoureux hyvers
ne leur fassent jamais d' injure,
que cét arbre sacré
soit reveré
de toute la nature.
Le choeur repete ces trois derniers vers.
Cybele, et le choeur des divinitez des bois et des eaux
Quelle douleur !
Cybele, et le choeur des corybantes
Ah ! Quelle rage !
Cybele, et les choeurs.
Ah ! Quel malheur !
Cybele
Atys au printemps de son âge
perit comme une fleur
qu' un soudain orage
renverse et ravage.
Cybele, et le choeur des divinitez des bois, et des eaux
Quelle douleur !
Cybele, et le choeur des corybantes
Ah ! Quelle rage !
Cybele, et les choeurs
Ah ! Quel mal-heur !
Les divinitez des bois et des eaux, avec les
corybantes, honorent le nouvel arbre, et le
consacrent à Cybele. Les regrets des divinitez
des bois et des eaux, et les cris des corybantes,
sont secondez et terminez par des tremblemens
de terre, par des esclairs, et par des esclats de
tonnerre.
Cybele, et le choeur des divinitez des bois, et des eaux
Que le malheur d' Atys afflige tout le monde.
Cybele, et le choeur des corybantes
Que tout sente, icy bas,
l' horreur d' un si cruel trépas.
Cybele, et le choeur des divinitez des bois, et des eaux
Penetrons tous les coeurs d' une douleur profonde :
que les bois, que les eaux, perdent tous leurs appas.
Cybele, et le choeur des corybantes
Que le tonnerre nous responde :
que la terre fremisse, et tremble sous nos pas.
Cybele, et le choeur des divinitez des bois, et des eaux
Que le malheur d' Atys afflige tout le monde.
Tous Ensemble
que tout sente, icy bas,
l' horreur d' un si cruel trépas.
Tragédie en musique, ornée d'éntrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, représentée devant S.M. à Saint Germain en Laye, le 10e jour de janvier 1676 /paroles de Quinault, livret trouvé ici.