lundi 31 octobre 2011

Lully - Atys. Acte III

SCENE 1 - Le theatre change et represente le palais du grand sacrificateur de Cybele. Atys seul.
Que servent les faveurs que nous fait la
fortune
quand l' amour nous rend malheureux ?
Je pers l' unique bien qui peut combler
mes voeux,
et tout autre bien m' importune.
Que servent les faveurs que nous fait la fortune
quand l' amour nous rend malheureux ?

SCENE 2 - Idas, Doris, Atys
Idas

peut-on icy parler sans feindre ?

Atys
je commande en ces lieux, vous n' y devez rien
craindre.

Doris
mon frere est vostre amy.

Idas
fiez-vous à ma soeur.

Atys
vous devez avec moy partager mon bonheur.

Idas, et Doris
Nous venons partager vos mortelles allarmes ;
sangaride les yeux en larmes
nous vient d' ouvrir son coeur.

Atys
l' heure aproche où l' hymen voudra qu' elle se livre
au pouvoir d' un heureux espoux.

Idas, et Doris.
Elle ne peut vivre
pour un autre que pour vous.

Atys
qui peut la dégager du devoir qui la presse ?

Idas, et Doris.
Elle veut elle mesme aux pieds de la deesse
declarer hautement vos secretes amours.

Atys
Cybele pour moy s' interesse,
j' ose tout esperer de son divin secours...
mais quoy, trahir le roy ! Tromper son esperance !
De tant de biens receus est-ce la recompense ?

Idas, et Doris

Dans l' empire amoureux
le devoir n' a point de puissance ;
l' amour dispence
les rivaux d' estre genereux ;
il faut souvent pour devenir heureux
qu' il en couste un peu d' innocence.

Atys
je souhaite, je crains, je veux, je me repens.
Idas, et Doris.
Verrez-vous un rival heureux à vos dépens ?

Atys
je ne puis me resoudre à cette violence.

Atys, Idas, et Doris
En vain, un coeur, incertain de son choix.
Met en balance mille fois
l' amour et la reconnoissance,
l' amour toûjours emporte la balance.

Atys
le plus juste party cede enfin au plus fort.
Allez, prenez soin de mon sort,
que Sangaride icy se rende en diligence.

SCENE 3 - Atys seul.
Nous pouvons nous flater de l' espoir le plus doux
Cybele et l' amour sont pour nous.
Mais du devoir trahi j' entends la voix pressante
qui m' accuse et qui m' épouvante.
Laisse mon coeur en paix, impuissante vertu,
n' ay-je point assez combatu ?
Quand l' amour malgré toy me contraint à me rendre,
que me demandes-tu ?
Puisque tu ne peux me deffendre,
que me sert-il d' entendre
les vains reproches que tu fais ?
Impuissante vertu laisse mon coeur en paix.
Mais le sommeil vient me surprendre,
je combats vainement sa charmante douceur.
Il faut laisser suspendre
les troubles de mon coeur.

Atys s' endort.

SCENE 4 - Le theatre change et represente un antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le dieu du sommeil se vient rendre accompagné des songes agreables et funestes. Atys dormant. Le sommeil, Morphée, Phobetor,
Phantase, les songes agreables. Les songes funestes. Le sommeil. Morphée. Phobetor. Phantase. Deux songes joüants de la violle. Deux songes joüants du theorbe. Six songes joüants de la flutte. Douze songes funestes chantants. Seize songes agreables et funestes dançans. Huit songes agreables dançants. Huit songes funestes dançants.
Le Sommeil
dormons, dormons tous ;
ah que le repos est doux !

Morphée
regnez, divin sommeil, regnez sur tout le monde,
répandez vos pavots les plus assoupissans ;
calmez les soins, charmez les sens,
retenez tous les coeurs dans une paix profonde.

Phobetor
ne vous faites point violence,
coulez, murmurez, clairs ruisseaux,
il n' est permis qu' au bruit des eaux
de troubler la douceur d' un si charmant silence.

Le Sommeil, Morphée, Phobetor, et Phantase.
Dormons, dormons tous,
ah que le repos est doux !
Les songes agreables aprochent d' Atys, et
par leurs chants, et par leurs dances, luy font
connoistre l' amour de Cybele, et le bonheur
qu' il en doit esperer.

Morphée
escoute, escoute Atys la gloire qui t' appelle,
sois sensible à l' honneur d' estre aimé de Cybele,
joüis heureux Atys de ta felicité.

Morphée, Phobetor, et Phantase.
Mais souvien-toy que la beauté,
quand elle est immortelle,
demande la fidelité
d' une amour éternelle.

Phantase
que l' amour a d' attraits
lors qu' il commence
à faire sentir sa puissance !
Que l' amour a d' attraits
lors qu' il commence
pour ne finir jamais.
Trop heureux un amant
qu' amour exemte
des peines d' une longue attente !
Trop heureux un amant
qu' amour exemte
de crainte et de tourment !

Phobetor
gouste en paix chaque jour une douceur nouvelle,
partage l' heureux sort d' une divinité,
ne vante plus la liberté,
il n' en est point du prix d' une chaîne si belle.

Morphée, Phobetor, et Phantase
Mais souvien-toy que la beauté,
quand elle est immortelle,
demande la fidelité
d' une amour éternelle.

Phantase
que l' amour a d' attraits
lors qu' il commence
à faire sentir sa puissance !
Que l' amour a d' attraits
lors qu' il commence
pour ne finir jamais !
Les songes funestes approchent d' Atys, et le
menacent de la vengeance de Cybele s' il mesprise
son amour, et s' il ne l' ayme pas avec fidelité.

Un Songe Funeste
garde-toy d' offencer un amour glorieux,
c' est pour toy que Cybele abandonne les cieux
ne trahis point son esperance.
Il n' est point pour les dieux de mespris innocent,
ils sont jaloux des coeurs, ils aiment la vengeance,
il est dangereux qu' on offence
un amour tout-puissant.

Choeur De Songes Funestes
l' amour qu' on outrage
se transforme en rage,
et ne pardonne pas
aux plus charmants appas.
Si tu n' aimes point Cybele
d' une amour fidelle,
malheureux, que tu souffriras !
Tu periras :
crains une vengeance cruelle,
tremble, crains un affreux trépas.

Atys espouvanté par les songes funestes, se
resveille en sursaut, le sommeil et les songes
disparoissent avec l' antre où ils estoient, et
Atys se retrouve dans le mesme palais où il s' estoit
endormy.

SCENE 5 - Atys, Cybele, Melisse
Atys
venez à mon secours ô dieux ! ô justes dieux !

Cybele
Atys, ne craignez rien, Cybele, est en ces lieux.

Atys
pardonnez au desordre où mon coeur s' abandonne ;
c' est un songe...

Cybele
parlez, quel songe vous estonne ?
Expliquez-moy vostre embaras.

Atys
les songes sont trompeurs, et je ne les croy pas.
Les plaisirs et les peines
dont en dormant on est seduit,
sont des chimeres vaines
que le resveil détruit.

Cybele
ne mesprisez pas tant les songes
l' amour peut emprunter leur voix,
s' ils font souvent des mensonges,
ils disent vray quelque fois.
Ils parloient par mon ordre, et vous les devez croire.

Atys
ô ciel !

Cybele
n' en doutez point, connoissez vostre gloire.
Respondez avec liberté,
je vous demande un coeur qui dépend de luy-mesme.

Atys
une grande divinité
doit s' assûrer toujours de mon respect extresme.

Cybele
les dieux dans leur grandeur supresme
reçoivent tant d' honneurs qu' ils en sont rebutez,
ils se lassent souvent d' estre trop respectez,
ils sont plus contents qu' on les aime.

Atys
je sçay trop ce que je vous doy
pour manquer de reconnoissance...

SCENE 6 - Sangaride, Cybele, Atys, Melisse
Sangaride se jettant aux pieds de Cybele.

J' ay recours à vostre puissance,
reyne des dieux, protegez-moy.
L' interest d' Atys vous en presse...

Atys interrompant Sangaride

Je parleray pour vous, que vostre crainte cesse.

Sangaride
tous deux unis des plus beaux noeuds...

Atys interrompant Sangaride

Le sang et l' amitié nous unissent tous deux.
Que vostre secours la délivre
des loix d' un hymen rigoureux,
ce sont les plus doux de ses voeux
de pouvoir à jamais vous servir et vous suivre.

Cybele
les dieux sont les protecteurs
de la liberté des coeurs.
Allez, ne craignez point le roy ny sa colere,
j' auray soin d' appaiser
le fleuve sangar vostre pere ;
Atys veut vous favoriser,
Cybele en sa faveur ne peut rien refuser.

Atys
ah ! C' en est trop...

Cybele
non, non, il n' est pas necessaire
que vous cachiez vostre bonheur,
je ne prétens point faire
un vain mystere
d' un amour qui vous fait honneur.
Ce n' est point à Cybele à craindre d' en trop dire.
Il est vray, j' aime Atys, pour luy j' ay tout quitté,
sans luy je ne veux plus de grandeur ny d' empire,
pour ma felicité
son coeur seul peut suffire.
Allez, Atys luy-mesme ira vous garantir
de la fatale violence
où vous ne pouvez consentir.

Sangaride se retire.

Cybele parle à Atys
Laissez-nous, attendez mes ordres pour partir,
je prétens vous armer de ma toute-puissance.

SCENE 7 - Cybele, Melisse
Cybele
qu' Atys dans ses respects mesle d' indifference !
L' ingrat Atys ne m' aime pas ;
l' amour veut de l' amour, tout autre prix l' offence,
et souvent le respect et la reconnoissance
sont l' excuse des coeurs ingrats.

Melisse
ce n' est pas un si grand crime
de ne s' exprimer pas bien,
un coeur qui n' aima jamais rien
sçait peu comment l' amour s' exprime.

Cybele
Sangaride est aimable, Atys peut tout charmer,
ils tesmoignent trop s' estimer,
et de simples parents sont moins d' intelligence :
ils se sont aimez dés l' enfance,
ils pourroient enfin trop s' aimer.
Je crains une amitié que tant d' ardeur anime.
Rien n' est si trompeur que l' estime :
c' est un nom supposé
qu' on donne quelque fois à l' amour desguisé.
Je pretens m' esclaircir, leur feinte sera vaine.

Melisse
quels secrets par les dieux ne sont point penetrez ?
Deux coeurs à feindre preparez
ont beau cacher leur chaîne,
on abuse avec peine
les dieux par l' amour esclairez.

Cybele
va, Melisse, donne ordre à l' aimable zephire
d' accomplir promptement tout ce qu' Atys desire.

SCENE 8 - Cybele seule.
Espoir si cher, et si doux,
ah ! Pourquoy me trompez-vous ?
Des suprêmes grandeurs vous m' avez fait descendre,
mille coeurs m' adoroient, je les neglige tous,
je n' en demande qu' un, il a peine à se rendre ;
je ne sens que chagrins, et que soupçons jaloux ;
est-ce le sort charmant que je devois attendre ?
Espoir si cher, et si doux,
ah ! Pourquoy me trompez-vous ?
Helas ! Par tant d' attraits falloit-il me
surprendre ?
Heureuse, si toûjours j' avois pû m' en deffendre !
L' amour qui me flattoit me cachoit son couroux :
c' est donc pour me fraper des plus funestes coups,
que le cruel amour m' a fait un coeur si tendre ?
Espoir si cher, et si doux,
ah ! Pourquoy me trompez-vous ?

Tragédie en musique, ornée d'éntrées de ballet, de machines et de changements de théâtre, représentée devant S.M. à Saint Germain en Laye, le 10e jour de janvier 1676 /paroles de Quinault, livret trouvé ici.