Comment avez vous procédé pour l'adaptation du roman dont est tiré Ring ?
J'ai été assez fidèle au roman de Koji Suzuki. J'ai principalement modifié deux choses : dans le livre, le protagoniste était un homme, et j'ai préféré le transformer en une femme qui lutte pour son enfant pendant une semaine. Nous avons également ajouté l'apparition du fantôme, à la fin du film, avec le consentement, et même l'enthousiasme, de l'auteur. Une médium ayant vécu au Japon il y a quatre-vingts ans a servi de modèle au personnage de la mère de Sadako. J'ai essayé de créer une ambiance bizarre et onirique. J'ai beaucoup travaillé avec le scénariste pour trouver des images qui évoqueraient le rêve d'un aveugle, en prenant comme référence Un chien andalou de Luis Buñuel et les mangas d'horreur. La scène du miroir qui bouge sur le mur m'a été inspirée par ma rencontre avec une actrice médium. Le plan des écritures en mouvement provient de l'expérience d'un ami du scénariste qui voyait les lettres bouger toutes seules quand il lisait le journal. On a utilisé pas mal de trucages, surtout pour les images de la cassette maudite. Mais pour le reste du film, je n'ai pas voulu abuser des effets numériques, qui restent très discrets, à la différence des films américains.
Le son a une grande importance dans le film.
J'ai conscience de l'importance du son dans les films d'horreur. Avec les techniciens, nous avons beaucoup travaillé sur la création de sons bizarres, anormaux. Dans une scène, nous avons modifié le son de la pluie qui tombe pour mettre le spectateur mal à l'aise. Nous avons utilisé en tout cent pistes sonores : cinquante pour la musique et cinquante pour les bruitages. ?
Le film n'exprime-t-il pas une sorte de revanche de l'image contre le spectateur ?
La haine de Sadako engendre directement des images vidéo, qui sont ensuite dupliquées pour répandre la malédiction. Les spectateurs ont eu peur après Ring de regarder des cassettes vidéo. Je suis d'accord pour parler de vengeance de l'image à propos du film. Lorsque j'étais enfant, j'éprouvais une véritable terreur devant un puits de campagne, qui me semblait être une des portes de l'enfer. Inconsciemment, le puits qui m'a traumatisé dans mon enfance m'a sans doute inspiré pour Ring. Mais le puits est également un élément récurrent de la littérature fantastique japonaise, souvent lié aux femmes fantômes.
Il y a des similitudes entre Ring et votre film Ghost Actress.
Ghost Actress racontait l'histoire d'un studio de cinéma hanté. On y trouve au moins un point commun avec les deux Ring, puisqu'il y est aussi question d'une cassette qui porte malheur aux gens qui la regarde. C'était avant même que je lise le roman de Koji Suzuki. Un jeune réalisateur commence son premier film dans ce studio et lors des tests de caméra, les opérateurs découvrent des images qu'ils n'ont pas filmées, et qui provoquent la mort accidentelle des membres de l'équipe de tournage, un par un. J'ai été le premier surpris de constater les similitudes entre l'histoire de ce film et Ring. Sauf que dans Ghost Actress, j'avais davantage montré le fantôme dans scène finale, et c'était moins efficace. C'est pour cela que dans Ring j'ai choisi de cacher le visage du fantôme, de le dissimuler derrière ses cheveux. Le résultat est beaucoup plus terrifiant.
Vous avez travaillé sur des films érotiques . Voyez-vous des points communs entre horreur et érotisme ?
Oui. Tatsumi Kumashiro et Masaru Konuma, deux réalisateurs très excentriques de la Nikkatsu dont j'ai été l'assistant, ont inventé des astuces de mises en scène très différentes pour contourner la censure et filmer des actes sexuels (simulés). Kumashiro a choisi de reculer la caméra et de filmer les scènes d'amour en plans d'ensemble, afin de pouvoir tout montrer. Cela donne un résultat pas très excitant à mon goût, mais intéressant du point de vue cinématographique. Konuma au contraire a essayé de trouver une solution pour moins montrer et obtenir un résultat plus excitant, à l'aide du gros plan par exemple. J'ai un peu suivi son modèle dans le domaine de la peur. Les sensations érotiques et la peur sont voisines, ce sont deux formes primitives d'émotion. Sur Ring 2, j'ai découvert une vraie sensualité qui se dégageait d'un gros plan du visage terrifié de l'actrice principale.
Que pensez-vous de Kiyoshi Kurosawa qui oeuvre sur le même terrain que vous ?
J'appartiens à la même génération de cinéastes que lui, même si je suis plus jeune que lui (Nakata est né en 1961, ndr), et nos carrières sont toutes les deux marquées par la diversité des supports et des genres cinématographiques abordés. Mais je crois que j'appartiens plutôt à la vieille école des cinéastes, puisque j'ai d'abord été longtemps assistant et que je travaille davantage dans un registre du cinéma de divertissement. Kurosawa fait un cinéma sans concessions, qui ne se préoccupe pas des goûts du public.
Avez-vous été surpris par l'impact mondial de Ring ?
La mode des films d'horreur n'existait pas encore au Japon lors de la sortie de Ring. Je pense que le film a comblé une attente des spectateurs. La société de production a vendu les droits de Ring à la société Dreamworks, et c'est le scénariste de L.A. Confidential qui doit se charger de l'adaptation américaine. Mais il faut attendre les conclusions de la grève des scénaristes à Hollywood pour que le projet puisse être mis en chantier.
Entretien avec Olivier Père réalisé le 06 avril 2001 pour les inrocks.