Qu'est-ce qui caractérise désormais cette nouvelle vague, terme un peu trop commode, mais qui recouvre cependant un certain état d'esprit, une humeur, une atmosphère ? En parlant d'humeur ou d'atmosphère, on n'est jamais loin du compte : si vous rencontrez, emprisonnés dans un écran d'ordinateur ou de télévision, des visages légèrement verdâtres et inquiétants ressemblant à des traces fantomatiques, c'est que vous êtes devant un film japonais. Prenez peur, l'angoisse n'est jamais très loin.
Si ces images tentent de communiquer avec vous depuis l'au-delà, refusez tout contact car c'est Kiyoshi Kurosawa à l'autre bout du fil, à moins que ce ne soit Miike, Nakata ou Kawase, toute cette génération venue au cinéma par les histoires de fantômes. Ces diables de cinéastes semblent directement branchés sur les ténèbres, et leurs virus sont particulièrement contagieux : apparitions, surgissements. Tous les éclats de la mise en scène des spectres, de Ring 1 et 2 à Dark Water, de Kaïro à Charisma, de Shara au récent Dolls de Kitano, sont somptueux, parfois, et terribles, souvent. La menace est partout, y compris sur les murs les plus hermétiques et sur la bande sonore du film, surtout dans ses pages a priori les plus calmes et les plus sereines.
On se dit, face à ces images, à cet autisme, à ces branchements rhizomatiques, à cette pâleur d'outre-tombe parfois relevée d'éclats de violence ou de burlesque, que Kurosawa et ses copains ou copines sont vraiment fous, de cette folie dont semblent faits les japonais les plus gentiment déments, ceux qui filment la norme pour qu'en surgisse des excroissances toujours plus morbides et monstrueuses. Le plus impressionant n'est pas tant que cette folie soit partagée - quels jeunes cinéastes japonais y échappent aujourd'hui ? Quels spectateurs la refusent ? Pas vous : vous adorez ça, et la délectation est à la hauteur de l'angoisse éprouvée -, mais qu'elle soit assumée avec tant de délicatesse, de finesse, voire d'amabilité. Tous ces cinéastes, que l'on commence à bien connaître par les festivals d'Europe et du monde, sont d'une compagine adorable, à peine punks, plus essentiellement polis, plus ou moins excentriques, mais généralement décontractés et prévenants - même le plus maniaque d'entre eux, Kitano, qui s'adoucit au contact de tout journaliste français.
Souriants, inventifs, pervers, branchés sur l'air du temps, notamment technologique, cinéphiles et cultivés (beaucoup ont été formés par les universités, l'Ecole de cinéma de Tokyo, la lecture des Cahiers du Cinéma/Japon ou dans le culte de Shigehiko Hasumi, un professeur de cinéma au charisme sans égal), ces jeunes cinéastes n'ont pas fini de nous faire mal.
Antoine de Baecque